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le nom peu connu obtint des lettres en ces termes : Un tel fait noble et comte pour avoir sauvé l'Etat un tel jour? II resta avec ce titre, qui a servi de fortune à toute sa famille.»

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M. de la Fayette. «On supprimera ces mots : A été fait noble et comte, et l'on dira simplement: A SAUVÉ L'É

TAT UN TEL JOUR.»

M. l'abbé Maury parle contre la proposition.

que

M. Mathieu de Montmorency. « Je ne sais, Messieurs, si c'est le talent très-remarquable du préopinant ou mon infériorité que je sens mieux que tout autre, qui m'empêche de songer à le réfuter; mais il me semble que j'ai un motif aussi vrai, plus étendu et plus déterminant, dans mon profond respect pour l'assemblée nationale, pour cette declaration des droits, qui l'a tant honorée, et qui, malgré toute l'éloquence de M. l'abbé Maury, efface de notre Code constitutionnel toute institution de noblesse; c'est l'ardeur avec laquelle je m'associerai toujours avec ces grands ét éternels principes qu'elle n'a cessé de professer, de consacrer et de propager par ses exemples et par ses décrets. Je me bornerai donc à une chose plus simple et plus utile de réfuter M. l'abbé Maury, je lui fournirai, au contraire, une nouvelle proposition à réfuter. Je ne suis pas bien sûr qu'elle ait échappé à la justice des préopinans, car lorsqu'un pareil sujet a éte traité pendant que ques instans dans une assemblée telle que l'assemblée nationale, celui qui a en le malheur d'y être arrivé quelques minutes trop tard, doit craindre de trouver le champ complètement moissonné. Si la vaine ostentation des livrées a excité le zèle d'un des préopinans, je demande que dans ce jour de l'anéantissement général des distinctions anti sociales, qui, quelque vaines, quelque puériles qu'elles puissent être, contrarient vos principes, l'Assemblée n'épargne pas une des marques qui rappellent le plus le système féodal et l'esprit chevaleresque. Que toutes les armes et armoiries soient donc abolies, que tous les Français ne portent plus désormais que les mêmes enseignes, celles de la liberté, lesquelles désormais sont confondues avec celles de la France. »

Le décret est mis aux voix, c'est le signal du tumulte. Plusieurs membres gentilshommes déclarent ne pouvoir plus, sans se compromettre, assister aux séances de l'assemblée; quelques-uns se retirent, d'autres, en groupes, assiégent la tribune, et, de la main, menacent le président.

Us veulent parler; mais leur voix est étouffée sous les cris de la discussion est fermée; aux voix! aux voix ! Enfin, le décret passe à une grande majorité, et au milieu des vifs applaudissemens qui partent à-la-fois de l'Assemblée et des tribunes.

Ainsi se termina la mémorable séance du 19 juin 1790, ou plutôt cette fête nationale, à laquelle Louis XVI prit part en sanctionnant le décret suivant :

DÉCRET.

L'Assemblée nationale décrète que la noblesse héréditaire est pour toujours abolie en France; qu'en conséquence les titres de marquis, chevalier, écuyer, comte, vicomte, messire, prince, baron, vidame, noble, duc, et tous autres titres semblables, ne seront pris par qui que ce soit, ni donnés à personne; qu'aucun citoyen français ne pourra prendre que le vrai nom de sa famille; qu'il ne pourra non plus porter ni faire porter de livrée, ni avoir d'ar-' moiries; que l'encens ne sera brûlé dans les temples que pour honorer la Divinité, et ne sera offert à qui que ce soit; que les titres de monseigneur et messeigneurs ne seront donnés ni à aucun corps, ni à aucun individu, ainsi que les titres d'excellence, d'altesse, d'éminence, de grandeur.

» Sans que, sous prétexte du présent décret, aucun citoyen puisse se permettre d'attenter aux monumens placés dans les temples, aux chartres, titres et autres renseignemens intéressant les familles ou les propriétés, ni aux décorations d'aucuns lieux publics ou particuliers, et sans que l'exécution des dispositions relatives aux livrées et aux armes placées sur les voitures puisse être suivie ni exigée, par qui que ce soit, avant le 14 juillet, pour les citoyens vivant à Paris, et avant trois mois pour ceux qui habitent les provinces.

»Ne sont compris dans les dispositions du décret, tous les étrangers, lesquels pourront conserver les livrées et ar

moiries. >>

Ce n'est point dans les antichambres que la livrée a pris naissance, c'est dans les salons. Les rois attirèrent peuà-peu la noblesse à la cour; ils l'y fixèrent par l'attrait du luxe et des plaisirs, elle s'y trouva en présence des femmes, et Samson perdit sa force. La lutte continuelle de vanité qui s'établit entre les courtisans tourna à l'avantage du souverain, il rattacha toutes leurs prétentions a ses grâces, et

il les enchaîna avec des rubans. Avant l'invention des rabans on se servait des livrées; c'étaient des habits que le Roi distribuait à ceux qui venaient le visiter à certaines époques de l'année. Les nobles s'honoraient alors de porter le nom de valet auprès du Roi et des dames; ce mot de valet signifiait, dans l'origine, un homme illustre. Mais qu'est-ce qu'un courtisan ne peut pas rendre méprisable? Les nobles ont déshonoré le titre de valet et la livrée en les portant, et ils ont fini par les abandonner à leurs domestiques.

Considérations sur l'Etat actuel des Sociétés en Europe, avec des Observations sur la note secrète, sur le dernier ouvrage de madame de Staël, et sur celui de M. de Montlosier. Par G. Masuyer. (1)

L'auteur, avant de se liver aux considérations qui font le sujet de son livre et d'examiner les constitutions des gouvernemens européens, recherche d'abord quelle est la constitution morale et politique de l'homme, quelles sont ses qualités sociales, ses penchans anti-sociaux, et conclut que ce sont les mauvaises lois, les mauvaises institutions qui pervertissent l'homme et que les mauvais législateurs sont seuls responsables de tous nos vices. Il nous fait ensuite assister par la pensée à l'origine de toutes les associations politiques et s'appuyant sur l'histoire et sur les relations des voyageurs qui ont observé les rudimens de l'état social parmi les nations sauvages ou barbares, il trouve la plus grande analogie entr'elles toutes et démontrent qu'elles suivent à-peu-près les mêmes erremens dans leurs progrès vers l'état social. 11 divise en douze périodes principaux l'histoire de la civilisation, depuis l'état de famille, de hordes, de peuples nomades, jusqu'au dernier perfectionnement de l'art social. Enfin, il considère l'état social sous ces trois rapports: ce qu'il a été, ce qu'il est, ce qu'il doit être, et termine par cet axiome: «< Aucune associationpolitique ne peut se main» tenir sans une éducation nationale. » Ici l'auteur esquisse rapidement le plan de maisons d'éducation pour le premier

(1) Un vol. in-8°. A Paris, chez Henry Grand, rue Neuve des-Petits-Champs, n° 32, et chez Delaunay, au Palais-Royal, Prix 5 fr.

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et le second âge, et fait sentir combien le régime de ces établissemens aurait d'avantages sur celui que l'on suit dans les colléges royaux Telle est la vaste carrière que s'est tracée M. Masuyer et qu'il a parcourue à pas de géant. Nous n'oserions prononcer s'il a atteint le but, mais il est glorieux de l'avoir tenté. Il ne se propose rien moins que de signaler les causes d'instabilite de notre système politique, d'assurer à la majorite de la nation le plein et entier exercice de ses droits de cité, de mettre en action ce grand principe de la Charte: «Tous les Français sont également admissibles aux » emplois civils et militaires. » de démontrer la nécessité d'une loi organique de la liberté de la presse, qui ne laisse point cette liberté exposée à l'arbitraire des juges, mais la place au contraire sous la garantie d'un jury, etc. etc. Voici quelques-unes des maximes de l'auteur: « Il n'y a de sou» tien pour gouvernemens que par la majorité des ci>>toyens; toutes les fois que le prince se met en opposition avec les intérêts de cette majorité, il court à l'injustice » aux révolutions, à sa perte.

les

» Le roi de France, comme tout autre roi d'Europe, s'il » veut la stabilité du trône, doit vouloir l'unité d'intérêts » avec la majorité de la nation. »>

» Ilne peut y avoir unité d'intérêts que par le maintien de l'égalité des droits dans la majorité des citoyens. » » On ne gouverne que dans l'intérêt de la majorité, sa's » cela on opprime, et opprimer ce n'est pas gouverner. »

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Faisant ensuite l'application de ces principes, à la situation actuelle de la France, « Les grands et les vrais coupables de la révolution, dit-il, sont ceux qui, après l'ac»ceptation de la constitution en 1791, ont refusé de se » soumettre à l'ordre établi, et ont cherché par leurs efforts » et leurs excès à le renverser, soit sous un prétexte, soit sous un autre.... J'entends d'ici quelques-uns d'entr'eux » se récrier: Nous, des excès! Nous sommes purs » comme le panache de Henri IV. - Mais il n'est pas díffi»cile de prouver à ces immaculés que ce sont eux plus » que tous les démagogues ensemble qui sont la cause de tous les maux de la France. D'abord ils n'ont pas cessé » par les plus coupables efforts, d'attirer l'étranger sur le » sol natal, ils y sont rentrés avec l'ennemi, à différentes » époques, les armes à la main; ils y sont rentrés, comme » ils en sont sortis, avec le desir et l'espoir de régir à coups » de baton, ces trente millions de canaille restés fidèles au

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» sol natal;.... ce sont eux qui nous ont rendu Buonaparte » par leur arrogance envers les chefs d'une armée illustreet

:

>> malheureuse dont ils ont voulu faire proscrire les débris. » C'est pour eux et par eux que la nation éprouve un ac>> croissement considérable de dépenses.... Qu'est-ce » qu'ont poursuivi et voulu ces trente millions de canaille » qui ont si vaillamment défendu le sol natal ? Des lois ana»logues à celles qui nous régissent; et quand le Gouver» nement veut les consolider par des actes en harmonie avec » la Charte, voila ce qu'on ose appeler, sans pudeur, » gouverner dans le sens des intérêts révolutionnaires. Aux » yeux de ces nobles faiseurs les intérêts de vingt-neuf mil>> lions huit à neuf cent mille individus, ne sont que des in» térêts révolutionnaires! Ainsi donc les excès de cette » minorité se trouvent liés à tous les crimes, à tous les mal>> heurs de la révolution, et elle n'entre pour rien, que » comme obstacle, dans les triomphes, les succès en tout » genre de la majorité, pendant ces vingt-cinq ans de mal» heur à l'intérieur, et de gloire à l'extérieur. Le général >> Lecourbe me disait quelque tems avant le retour de Buo» naparte de l'île d'Elbe: j'ai été insulté jusques dans les an>> tichambres du roi, par ces faquins à talons rouges, à qui >> j'entendais dire assez haut pour que je puisse l'entendre » Qu'est ce que veut cet homme ? Un gouvernement? » Ah! ah! vraiment, un gouvernement pour des gens de » cette espèce ! etc. C'est la haute canaille. Or, le gé»néral Lecourbe, disgracié et indignement traité par Buo"naparte pour avoir suivi les sentimens de l'honneur et de » la loyauté, en défendant Moreau de tout son crédit et » de tout son pouvoir; le général Lecourbe qui avait pré» servé le territoire français de l'invasion du féroce. Souwa"row; qui dans deux campagues avait fait 60,000 prison"niers à l'ennemi, qui dans la dernière guerre avait défendu le territoire français avec huit à dix mille hommes » de gardes nationales, contre 50 à 60,000 autrichiens » qui les avait forcés à lui accorder toutes les capitulations » qu'il avait desirées, après leur avoir tué près de 18,000 » hommes, sans en avoir perdu plus de 6 à 800; le général >> Lecourbe auquel les autrichiens eux-mêmes avaient rendu » après sa mort tous les honneurs qu'un ennemi généreux » accorde même à ses vainqueurs; ce général accompagné » des pleurs de la petite et brave armée; ce général entin dans son cercueil, n'a pu être reçu avec les honneurs qui

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