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parties les tempêtes, les oscillations des éléments sociaux ont jusqu'ici privé les intelligences de ce calme et de cette liberté nécessaires aux profondes études.

Une des sciences demeurées par suite le plus en souffrance est celle du droit. Des causes particulières ont concouru à ce résultat. Telle a été, par exemple, la rédaction des codes et leur coïncidence avec une révolution. C'est l'effet ordinaire des législations nouvelles de faire croire qu'on y trouvera désormais la raison et la solution de tout, et qu'on peut rompre avec le passé. Ce préjugé, né dans les classes inférieures, envahit bientôt tous les rangs. La mission de l'autorité publique est alors de soutenir et encourager la doctrine : c'est ce qui a eu lieu dans les pays d'Allemagne dotés d'une législation nouvelle, à l'exception peut-être de l'Autriche. Mais en France, les codes étaient nés à la suite d'une révolution qui avait tout détruit, et sous l'influence d'un homme qui résumait la nation en lui. Le préjugé fut fortifié de la haine du passé et de l'enthousiasme pour un grand homme. Celui-ci d'ailleurs, animé de l'esprit d'autocratie et de conquête, songeait plutôt à former des guerriers que des jurisconsultes. Le code demeura donc, avec quelques débris de droit romain, le seul objet de l'enseignement. Quant au droit ecclésiastique, cette noble branche du droit qui a jeté un si vif éclat pendant tout le moyen âge, il parut condamné à l'oubli; et, chose étrange! ce droit de l'Eglise, professé concurremment dans les facultés de théologie et de droit des universités allemandes, n'est même enseigné ex-professo que dans le plus petit nombre de nos séminaires.

D'où vient donc qu'au milieu du désastre commun il ne se soit pas conservé aussi dans l'enseignement universitaire quelques débris du droit ecclésiastique? D'où vient que l'enseignement n'en ait pas refleuri du moins dans le clergé ?

La juridiction ecclésiastique, peu étendue dans son principe, s'était augmentée par l'effet des priviléges des empereurs, de la décadence du droit romain et de la confiance des peuples. Plus tard, au milieu de la diversité des lois et de la barbarie des tribunaux séculiers, son unité, sa douceur et la régularité de sa procédure l'étendirent successivement; mais il était à croire, qu'une fois formés à son exemple, les tribunaux séculiers en restreindraient à leur tour les limites. C'est ce qui eut lieu; dès lors le droit ecclésiasti

que dut en même temps décroître. D'autres circonstances contribuèrent à en diminuer la vogue. Un certain esprit d'opposition contre la hiérarchie, né dans le grand schisme d'Occident, fit éclater des controverses qui captivèrent l'attention, se perpétuèrent, et, par leur caractère de petitesse et le concours des sectes philosophiques, ne pouvaient que faire tomber en discrédit l'étude générale de cette branche du droit. Survint aussi la rivalité du droit romain, rivalité d'autant plus redoutable qu'elle avait été plus longtemps écartée. En Allemagne, l'enseignement du droit canonique et celui du droit romain avaient pénétré simultanément sous l'influence des universités d'Italie. Les universités nationales, fondées sur leur modèle, en gardèrent fidèlement la tradition, et ce double enseignement s'y maintint, protégé par le respect du passé. Dans l'université de Paris au contraire, laquelle était spécialement consacrée à la théologie, le droit canonique avait dès le principe exercé la prééminence, et un empire exclusif lui avait été garanti par une défense d'Honorius III d'y enseigner le droit romain. Cette défense, renouvelée aux états de Blois en 1579, ne fut entièrement levée qu'un siècle après. Le droit romain dut s'élever alors d'autant plus vivement qu'il avait été plus longtemps comprimé, que tout tendait à restreindre la juridiction ecclésiastique, et que les fondements de la hiérarchie étaient minés. Joignez à cela le caractère particulier et exclusif des controverses religieuses qui suivirent, l'esprit et les mœurs du siècle dernier, et la révolution qui détruisit jusqu'au christianisme même. La religion fut rappelée, il est vrai, mais comme un besoin des peuples, et non comme une croyance de l'état. Le culte fut donc rétabli, mais la religion ne fut pas admise à pénétrer de nouveau de son esprit la société civile. Plusieurs institutions de l'Eglise demeurèrent supprimées; sa juridiction ne lui fut point rendue. Ainsi la société religieuse cessa de marcher de front avec la société civile. La législation civile resta abandonnée à ellemême, et la doctrine n'alla plus puiser des préceptes dans une législation dont il semblait qu'on s'était affranchi. D'ailleurs l'enseignement vivant avait, au milieu des tempêtes politiques, dû perdre ses organes; et cette chaîne de la tradition une fois rompue, il était difficile d'en reprendre les anneaux. Enfin la plupart des ouvrages français sur cette matière étaient écrits sous un point de vue étroit et exclusif, et il n'y en avait pas qui pût ou servir de base à l'ensei

gnement universitaire, ou guider le jurisconsulte dans le dédale des sources.

Le clergé a dù subir l'influence de la plupart de ces circonstances; et peut-être aussi la nécessité de former promptement des ministres pour le service des autels l'a-t-elle empêché de donner à la science dans ses établissements d'enseignement toute l'extension désirable.

L'étude du droit ecclésiastique est-elle appelée en France à de meilleures destinées? Nous l'espérons. A combien de titres en effet elle se recommande!

Le droit ecclésiastique est le droit de la grande société chrétienne; quel membre de cette société peut rester indifférent au droit qui la régit?

Ce droit a pénétré nos institutions et nos lois. Comment dans leur étude peut-on négliger l'une des sources dont elles émanent?

On étudie le droit romain pour y puiser des leçons de sagesse et de prudence. Le droit ecclésiastique n'offre-t-il pas aussi de riches et féconds enseignements au législateur et au jurisconsulte? Quelle législation plus noble dans son objet, plus élevée dans ses vues, plus fine dans ses détails? où trouver plus de modération et de circonspection, plus de respect des droits, plus de douceur et de charité? Dans le droit public, dans le droit civil, dans la procédure, dans le droit pénal elle a servi de précurseur et de modèle aux législations modernes. Qui nierait qu'elle puisse encore leur fournir d'utiles et de nombreux préceptes? L'esprit qui la dirige et l'éclaire, n'est-ce pas cet esprit chrétien qui scul peut donner la vie aux institutions et aux lois, et leur imprimer le cachet de la durée? Où donc le législateur et le jurisconsulte peuvent-ils puiser de plus heureuses inspirations?

Le clergé, dépositaire du pouvoir dans l'Église, peut-il ignorer la nature, l'étendue et l'exercice de ce pouvoir, la constitution de l'Église, la suprématie, le culte, la discipline, en un mot les institutions de la société qu'il est appelé à gouverner? Peut-il se borner à un aperçu pratique de ce qui existe, sans en puiser la raison dans l'étude des lois présentes et passées? Elite de la milice chrétienne, ne doit-il pas être en état de repousser toutes les attaques dirigées contre elle? et la plupart ne portent-elles pas sur son organisme, sa hiérarchie et les diverses branches de son droit?

Le droit ecclésiastique n'est pas moins nécessaire pour étudier le moyen âge et la civilisation de l'Europe. C'est par l'Église et en grande partie par ses lois et tribunaux que l'élément civilisateur a pénétré dans le monde. Dans l'ignorance de ce droit, la papauté a jusqu'ici presque toujours été calomniée, le moyen âge mal compris, les bienfaits de l'Église méconnus.

Le droit ecclésiastique offre de nos jours un intérêt tout spécial. C'est dans son domaine que s'agitent et s'agiteront longtemps les principales questions du droit public de la plupart des nations de l'Europe. Né au nom de la liberté, le protestantisme n'avait produit que la licence. Les réformateurs eux-mêmes sentirent bientôt le besoin d'une autorité; ils interposèrent la leur; mais cette autorité d'un jour et sans mission était impuissante. A défaut de la hiérarchie qu'ils avaient détruite, ils invoquèrent le pouvoir temporel et prostituèrent la religion aux souverains. De là un vaste système de despotisme organisé dans les pays protestants contre les confessions dissidentes, et surtout contre le catholicisme ennemi de toutes. De là une oppression d'autant plus lourde de nos jours qu'elle est plus contraire aux idées existantes et au besoin des peuples qui tendent à rentrer dans la majestueuse unité du catholicisme. Les luttes engagées à ce sujet entre les gouvernements et la conscience des peuples sont sans contredit une des phases les plus curieuses de l'histoire moderne. Or comment les apprécier, sans connaître le terrain sur lequel elles s'agitent?

Dans ces derniers temps, quelques efforts ont été faits pour réhabiliter parmi nous la science du droit ecclésiastique. Mais les nouveaux écrits, uniquement calqués sur quelques-uns de nos anciens auteurs, ont été dès leur naissance en arrière comme eux de la science, et comme eux aussi sont restreints dans le cadre étroit du droit national.

Dans l'imperfection et l'insuffisance de nos auteurs, il fallait qu'un ouvrage étranger vint nous communiquer la sève qui nous manque, et rétablir la science sur ses bases. L'ouvrage de M. Walter, qui, même en Allemagne, a donné une impulsion nouvelle à l'étude du droit ecclésiastique, m'a paru merveilleusement propre à ce but. En effet, il indique scrupuleusement les ouvrages utiles à consulter dans cette étude; par un exposé méthodique des sources de ce droit dans tous les temps et tous les pays, il met à même d'en

embrasser la science dans toute son étendue et d'entreprendre sur chacune de ses parties les travaux les plus complets et les plus solides. Il prend les institutions à leur origine, et les suit dans tous les temps et partout, de telle sorte que chacun en voit la raison première, et, comparant leurs modifications diverses, s'élève au dessus des préjugés de son époque et de son pays. En chaque matière, les principes sont posés avec une clarté et une précision qui ne laissent aucun refuge à l'ignorance ou à la mauvaise foi. Nul ouvrage en un mot n'offre un guide plus sûr pour des études élémentaires ou approfondies.

Auprès du droit catholique, l'auteur expose sous chaque matière celui des confessions séparées. Cette étude, entièrement neuve pour la France, est d'un immense intérêt et féconde en enseignements. Rien de plus propre en effet à faire ressortir la beauté des institutions catholiques que le parallèle des droits dissidents, droits desséchés par la séparation de la souche qui communiquait la sève, ou tombés dans les rouages de l'administration civile.

En un ouvrage de cette nature, je devais surtout m'attacher à rendre scrupuleusement et dans toute leur simplicité les pensées de l'auteur. L'actif concours qu'il m'a prêté m'est garant que ce livre est l'exacte reproduction de l'original.

Je me suis abstenu de toute addition ou annotation relative aux modifications apportées par le droit français. Un tel travail, dont il eût été difficile de déterminer les limites, eût rompu l'unité du livre et déparé le plan d'un ouvrage de droit commun, où d'ailleurs l'auteur trace nettement la voie des études spéciales. Je laisse donc à d'autres le soin d'entrer plus avant dans le détail. Qu'il me suffise de poser la première pierre de l'édifice et de rouvrir une lice trop longtemps fermée. Si les intelligences se jettent dans la carrière, si elles réédifient sur la base que je leur présente, mon ambition sera satisfaite, et mon partage est assez beau.

La classification adoptée par l'auteur doit être à l'avance exactement connue pour l'intelligence parfaite de l'ouvrage : il suffira, pour s'en pénétrer, de jeter un coup d'œil sur le sommaire.

Les signes typographiques usités dans les ouvrages scientifiques de l'Allemagne m'ont paru par cela même, et à raison de l'abréviation, utiles à répandre parmi nous. Ils ont donc été reproduits; ainsi la mort des personnages historiques est indiquée par une croix en tête de sa date.

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