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Cependant quelques-uns de ses industriels furent incarcérés, d'autres partirent pour aller défendre ses frontières menacées 2, et pendant cette malheureuse époque, le commerce fut à peu près réduit à la consommation locale.

Mais quand la tempête fut apaisée et que la nation eut repris ses allures normales, quand l'industriel fut assuré de recevoir le prix de sa marchandise et le eultivateur de jouir des fruits de son labeur, de même qu'après les massacres du siége de 1557, sa population intelligente se remit très-vite au travail. Les fileuses reprirent leurs rouets, les tisseurs leurs navettes, et les négociants leurs affaires et leurs relations.

Le commerce venait d'éprouver une catastrophe épouvantable, de laquelle il cherchait à se remettre et dont il avait hâte de sortir.

Il est toutefois à remarquer que c'est à l'époque où la France finissait sa révolution politique, qu'une révolution industrielle s'opérait en Angleterre, par l'emploi de la vapeur comme moteur principal de ses manufactures, et par le perfectionnement prodigieux de ses machines à filer le coton.

L'une des conséquences de ces nouvelles découvertes

1 M. Pierre Joly et son fils Samuel furent incarcérés tous les deux en 1793, le père à Pommery, et le fils à l'Abbaye, à Paris.

2 Plusieurs habitants de Saint-Quentin furent envoyés à Valenciennes pour y défendre la ville, et d'autres partirent pour la frontière où ils firent partie du corps d'armée commandé par le général Dampierre, qui attaqua les Hollandais le 27 octobre 1792, dans les plaines de Vingt-Coux où ces derniers et les Autrichiens furent forcés de battre en retraite. (Précis historique de 1789, manuscrits de Grébert.)

devait tendre, tôt ou tard, au remplacement d'une partie des tissus de lin par des étoffes de coton.

Les industriels du district de Saint-Quentin furent. des premiers à s'en préoccuper, et voyant diminuer la consommation de leurs batistes, et se rappelant qu'ils avaient déja fabriqué avec avantage, de 1750 à 1772, des mousselines, ils ne doutèrent pas que les tisserands, assez habiles pour faire les linons de la plus grande finesse, pouvaient être aussi bien employés à la production de toute autre étoffe, si délicate qu'elle fût. Ils pensèrent avec raison qu'ils possédaient les éléments nécessaires pour organiser une fabrication de ces tissus de coton auxquels le public et la mode accordaient une si grande faveur, et, en combattant l'Angleterre avec ses propres armes, ils cherchèrent à imiter ses produits.

Le commerce de coton n'était sans doute pas en France à sa naissance, mais il était encore dans son enfance, et il avait besoin d'être encouragé. L'appui qui lui était nécessaire, il le trouva dans le premier consul. Le général Bonaparte, dont les échos des Alpes et du Nil redisaient la gloire, se trouvait, comme Colbert, comme Turgot, comme tous ceux qui arrivent au pouvoir, après de longs désordres, en présence d'une fortune publique à reconstituer. Le premier consul se plaça de suite en protecteur de l'industrie française, et en particulier de l'industrie du coton. Sachant mieux que personne que le commerce est l'agent le plus puissant de la prépondérance politique d'une nation, dès qu'il le put, il chercha à le relever et

à lui venir en aide. Trop habile pour ne pas se rendre compte de la place considérable que les étoffes de coton étaient appelées à occuper dans l'industrie, il en encouragea la production, et saisit avec empressement toutes les occasions qui se présentaient pour seconder le développement d'une fabrication qu'il savait être une source de richesses pour ses manufactures et un moyen certain de combattre la puissance industrielle. de l'Angleterre.

Déjà nous avons dit sommairement ce que fut à Saint-Quentin, au xvm siècle, cette fabrication du coton. Nous allons maintenant indiquer son origine, ce qu'elle était en France au commencement du XIX siècle, et le développement qu'elle sut y acquérir.

Le tissage du coton remonte aux époques les plus reculées de l'antiquité. Au temps d'Hérodote, qui écrivait vers l'an 445 avant l'ère chrétienne, les Indiens portaient des vêtements de coton. « Ce peuple, a-t-il » dit, possédait une sorte de plante qui, au lieu de >> fruit, produisait de la laine d'une qualité meilleure » et plus belle que celle des moutons; les Indiens » en faisaient leurs vêtements. Si donc à cette époque, >> ajoute l'historien grec, le peuple lui-même portait » des tissus de coton, il est probable qu'il en était >> ainsi depuis plusieurs siècles, car les Indiens ont » toujours été cités pour leur éloignement pour toute » espèce d'invention 1. »

En 1252, les étoffes de coton étaient déjà, dans la

1 Hérodote, livre III, chapitre vi.

Crimée et dans la Russie du Nord, un article important de commerce pour les vêtements; on les apportait du Turkestan.

L'Arménie avait aussi, vers le même siècle, une manufacture de très-beaux tissus de coton, et cette laine végétale croissait abondamment en Perse. Elle y était aussi manufacturée dans toutes les provinces qui bordent l'Indus.

On a cependant été étonné que le peuple chinois soit resté sans manufacture de coton jusqu'à la fin du XIe siècle, lorsque cette industrie florissait depuis plus de 2000 ans dans l'Inde, pays voisin de la Chine.

En 1569, suivant les uns1, en 1590, suivant d'autres2, parurent en Angleterre les toiles de coton, provenant du royaume de Benin sur la côte de Guinée; ces toiles avaient été tissées dans ce pays.

En Amérique la fabrication des tissus de coton avait atteint déjà un grand développement, lorsque ce continent fut découvert par les Espagnols.

Quant à l'Europe, l'art de fabriquer les étoffes de coton y pénétra plus tard que dans les autres parties du monde; mais en revanche, nulle part le génie de l'homme ne lui a fait prendre un plus prodigieux développement.

Aux siècle, les Maures, qui étaient alors maîtres de la plus grande partie de l'Espagne, naturalisèrent le cotonnier dans le royaume de Valence. Des

1 Mimerel. Rapport de l'Exposition de Londres en 1855. 2 Des Tissus anciens et modernes, par Bezon, 6e volume, page 166.

manufactures de coton s'établirent presque aussitôt à Séville et à Cordoue. - Au XIV siècle, les tissus de coton fabriqués à Grenade étaient renommés par leur finesse et leur beauté. - Barcelone ensuite tira un excellent parti de cette industrie, qui devint l'objet de transactions fort importantes.

1

Ce n'est qu'au commencement du xive siècle que l'on trouve quelques traces du tissage du coton en Italie, et ce n'est qu'en 1560 que les villes de la Belgique firent venir de ces étoffes de Venise et de Milan 2.

Les Anglais, nous l'avons dit, s'attachèrent d'abord à la fabrication de la laine; cette préférence s'explique par la proximité du pays d'où on en tirait les qualités les plus fines. Il n'en fut pas de même lorsqu'ils essayèrent de confectionner des tissus de coton; les mêmes ressources n'existaient plus pour eux, et ils eurent, au contraire, à lutter contre de nombreux obstacles.

Les historiens ne sont pas d'accord sur l'époque précise où s'introduisit en Angleterre le tissage des étoffes de coton; on pense généralement que ce fut vers la fin du xvI° siècle; cependant cette assertion a des contradicteurs. L'un d'eux affirme 3: « que les pre»mières balles de coton qui y parvinrent y furent

1 Barcelone est encore la ville d'Espagne où l'on fabrique le plus de tissus de colon.

2 Description des Pays-Bas, par Guichardin.

3 Biographie générale et Histoire de Munchester, par Aikin.

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