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par le ministère responsable, parce que raison d'état et responsabilité sont nécessairement inséparables.

« Si la loi commmune, disait-il, prescrit de renvoyer devant les tribunaux tout individu français ou étranger qui, placé sur notre territoire, commet un attentat contre le gouvernement, on ne saurait cependant se dissimuler que les mesures à prendre contre madame la duchesse de Berry, comme envers tout autre membre de la famille déchue qui pourrait se trouver dans le même cas, doivent être déterminées par des considérations de sûreté publique et d'ordre intérieur.

« Vous ne ferez donc aujourd'hui, en abandonnant cette question à la politique, mais bien entendu à une politique responsable du parti qu'elle prendra, que ce qui s'est toujours fait, ce que vous avez déjà fait par la loi du 10 avril 1832. »

En conséquence la commission, tout en jugeant convenable de renvoyer au garde-des-sceaux quelques pétitions, comme contenant des atteintes à l'état de choses né de la révolution de juillet, proposait à l'unanimité de passer à l'ordre du jour, tant à l'égard de ces pétitions mêmes que de toutes les autres, attendu que ce n'était pas à la Chambre de statuer sur le sort d'une prisonnière, et qu'elle devait laisser au gouvernement, sous sa responsabilité, sa libre action.

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Immédiatement après ce rapport, le ministre des affaires étrangères, M. de Broglie, prit la parole: il traça l'historique et rechercha l'esprit des diverses résolutions adoptées par les Chambres depuis les événemens de juillet 1830, contre la famille déchue. Suivant lui, cette famille avait toujours été placée en dehors du droit public, et même du droit des gens. La France n'avait pas jugé lui devoir autre chose que ce qu'elle devait à des ennemis déclarés; toutefois en la dépouillant de toutes les garanties du droit commun, elle avait, jusqu'à un certain point, renoncé à lui en imposer les charges. La France, en désavouant Charles X et les siens, en les écartant de son territoire, s'était interdit de demander compte, la loi à la main, de leurs sentimens envers elle.. Ce qui le prouvait, c'est que la peine capitale ayant été proposée, comme sanction pénale, à la loi de bannissement, cette peine avait été rejetée à l'unanimité,

tant il était clair, aux yeux de tous, qu'entre la France et les princes de la branche aînée il y avait guerre, combat à outrance; mais que c'était au droit de la guerre, et non au droit pénal à prononcer.

La duchesse de Berry ayant débarqué sur un des points de notre côte méridionale, le gouvernement avait cru devoir exécuter la loi du 10 avril 1832, selon sa lettre, en ordonnant que la princesse serait sur-le-champ reconduite dans sa famille, et, selon son esprit, en ne scrutant pas les intentions qui l'avaient amenée en France. A la faveur d'un déguisement, la princesse s'échappa et vint s'établir en Vendée: elle y demeura six mois, s'épuisant à souffler le feu de la guerre civile.

Durant ces six mois, ajoutait le ministre, le gouvernement n'a rien négligé pour se saisir de sa personne; il n'a pu y réussir qu'au mois de novembre dernier. Mais alors se présentait une grave difficulté. Le gouvernement acquit la certitude que madame la duchesse de Berry, en restant dans la Vendée, résistait formellement non-seulement aux vœux, mais aux ordres de ses parens; il avait acquis la certitude qu'en restant dans la Vendée, elle résistait non-seulement aux conseils, mais aux instances de tout ce que son parti, soit en France, soit à l'étranger, compte d'hommes doués de quelque bon sens; il avait la certitude que, reconduite dans sa famille, elle reviendrait bientôt après; car cette vie d'aventures plus que de périls (je parle pour elle et non pour ceux qu'elle poussait à l'échafaud sans réussir à les égarer), cette vie plaisait trop à son imagination pour qu'elle y renonçât volontairement. Il devenait donc nécessaire de s'assurer de sa personne, il devenait nécessaire de la détenir comme on détient un prisonnier que la prudence ne permet pas de renvoyer sur sa parole, ou bien encore comme on détient un insensé auquel on ne peut laisser sa liberté sans mettre en péril la vie des citoyens paisibles.

« Pour cela, le droit moral ne manquait pas; mais les moyens légaux nous manquaient. Nous avons pris et nous avons dû prendre sur nous la détention provisoire; mais, en même temps, nous avons dù déclarer que nous rendrions compte aux Chambres de nos motifs et de notre conduite, que nous viendrions demander aux Chambres des pouvoirs que l'imprévoyance de la lei n'avait pas placés dans nos mains. Nous le devions d'autant plus qu'au même instant deux cours de justice, la cour royale d'Aix et la cour royale de Poitiers, interprétant à tort, selon nous, la situation des choses et la portée des lois existantes, avaient intenté des procès contre madame la duchesse de Berry. Entre les tribunaux et nous, dans une question de politique suprême, s'il en fut, nous avons dû penser que la législature seule était placée assez haut pour prononcer. Cette pensée nous l'avons énoncée, et nous avons pris l'engagement, à la face de l'Europe, de porter la question devant les Chambres, dere ndre les Chambres juges de cette question. Notre dessein était de vous la soumettre à l'ouverture de la session, immédiatement après la discussion de l'adresse ; mais le cours des événemens, dont personne ne dispose, a voulu que la session s'ouvrit au bruit du canon qui tonnait contre la citadelle d'Anvers. »

Dans cet instant solennel, où la France d'une part, et l'Europe continentale de l'autre, semblaient se mesurer de l'oeil, où les esprits prévenus à tort, croyaient voir commencer un ordre de faits plein d'incertitudes et de périls, une trève aux combats de la tribune, aux dissentimens politiques, fut généralement réclamée. Le ministère déféra à ce vœu ; il attendit; mais du moment que la question s'était engagée, il n'hésitait plus à la traiter avec confiance.

«Que nous reproche-t-on, en effet, messieurs? disait M. de Broglie; deux choses, si je ne m'abuse. Les uns nous disent: Vous ne deviez pas interrompre le cours de la justice, vous deviez livrer la duchesse de Berry à la vengeance des lois. D'autres nous disent : Non! madame la duchesse de Berry ne doit point être jugée ; vous avez bien fait de l'enfermer au château de Blaye; vous faites bien de l'y retenir prisonnière; mais vous devez agir seuls, vous ne devez pas faire partager votre responsabilité aux Chambres.

« Nous nous croyons fondés à repousser ces deux ordres de reproches. Nous n'avons point livré madame la duchesse de Berry aux tribunaux, pourquoi? Je l'ai dit tout à l'heure, parce que nous pensons que, dans l'état actuel des choses, les lois criminelles de France ne lui sont pas applica bles. Madame la duchesse de Berry et tous les princes de la branche aînée de la maison de Bourbon sont nos ennemis. Défendons-nous, c'est notre droit, défendons-nous; nous sommes trente millions contre six personnes, trente millions contre un vieillard, contre deux femmes, contre un enfant, c'est bien assez. (Interruption.) »

Le ministre soutenait qu'au fond ce sentiment était celui de toute la France, de ceux même qui réclamaient le plus haut la mise en jugement de la prisonnière. En effet, que demandaient-ils ? sa tête? Personne n'y songeait. On ne voulait qu'un jugement pour la forme, un simulacre de jugement, une comédie solennelle, dans laquelle tous les rôles seraient distribués d'avance, dont le dénouement serait prévu et réglé.

Eh bien, messieurs, je le demande, continuait le ministre, à quoi bon un tel jugement? A quoi est-il destiné? Ce n'est pas, j'en suis bien sûr, pour se donner le spectacle d'un grand abaissement de fortune, qu'on le demande; ce ne serait qu'une triste et odieuse jouissance; c'est uniquement pour satisfaire à un principe de droit écrit, au principe de l'égalité des Français devant la loi. Mais ce principe, quelque bon, quelque salu taire, quelque tutélaire qu'il puisse être, fût-il applicable ici, et il ne l'est pas (la duchesse de Berry n'est pas Française par sa naissance, et elle ne l'est plus par alliance (interruption); elle n'est plus Française par alliance, depuis l'acte du 7 août); eh bien! messieurs, ce principe fût-il applicable, ce qui n'est pas, ce principe n'est pas plus sacré que tant d'autres principes de droit écrit que vous avez fait fléchir vous-mêmes envers cette famille. Est-il plus sacré que le principe de la liberté individuelle, que

yous avez fait fléchir en ordonnant de transporter Charles X et les siens hors de France? Est-il plus sacré que le principe de l'irresponsabilité royale que vous avez fait fléchir quand vous avez déposé Charles X ? Et ce principe que nul ne doit être jugé que d'après une loi rendue, ne l'avez vous pas fait fléchir quand il s'est agi de tirer vengeance des ministres de Charles X? Sommes-nous donc, messieurs, dans cette position, où l'on doit dire: Périsse l'état plutôt qu'un principe! Je ne le pense pas, et jamais ces paroles ne deviendront les miennes, je le dis à dessein. Savez-vous d'ailleurs quelle question souleverait le jugement de madame de Berry? Pensez-vous, messieurs, que ce soit la question de savoir si madame de Berry était en Vendée? mais elle le proclame elle-même; ou celle de savoir si Madame a conspiré? mais elle l'a fait à la face de la France; si c'est elle qui est retenue prisonnière à Blaye? mais son identité est constatée. Non, messieurs, ce ne seraient pas ces questions qui seraient soulevées et discutées, mais celle de savoir si Madame avait le droit de faire ce qu'elle a fait, le droit d'insurrection contre le gouvernement de la révolution. (Violens murmures aux bancs de l'opposition.) Oui, messieurs, c'est celte question là qui serait soulevée. (Interruption.) »

Le ministre demandait à la Chambre s'il lui convenait que cette question fût portée devant des juges désignés par le hasard: il l'exhortait à songer au langage de l'accusée, à l'explosion de fureurs que ce langage ne pourrait manquer

d'exciter.

« Croyez-vous, s'écriait-il, que ce sera assez de toutes les forces dont le gouvernement dispose pour protéger, selon le vent qui soufflera, tantôt la tête des juges, tantôt celle des accusés? Vous avez vu le jugement des ministres, vous avez vu pendant dix jours la ville de Paris tout entière sous les armes, la capitale du royaume dans l'attitude et l'anxiété d'une place de guerre qui va subir un assaut. Eh bien! vous n'avez rien vu. Vous avez vu les troubles du mois de juin; eh bien! vous n'avez rien vu. (Interruption.... M. Réalier-Dumas. C'est faire le procès au gouvernement actuel.)»

Enfin, rappelant les principes de la responsabilité ministérielle, et les diverses manières dont la Chambre pouvait, soit directement, soit indirectement, approuver la conduite des agens du pouvoir, le ministre terminait ainsi :

<<< Votre commission vous déclare que son avis est que la duchesse de Berry ne doit pas être jugée, votre commission vous declare que son avis est qu'elle doit rester emprisonnée dans une forteresse aussi long-temps que la sûreté de l'état d'exigera.

« La commission vous a dit qu'à cet égard le gouvernement a fait ce qu'il devait faire. Si vous adoptez ces conclusions, nous nous tiendrons pour approuvés, nous n'en demanderons pas davantage. Si vous voulez, au contraire, pénétrer plus avant dans la question; si vous voulez prendre sur vous la mesure elle-même, régler vous-mêmes les conditions de la captivité de madame la duchesse de Berry (Voix diverses. Non! non!), c'est votre droit. Nous ne viendrons pas le contester; nous réglerons notre conduite sur ce désir. Nous attendons la part de responsabilité que vous voudrez bien nous faire; nous l'acceptons d'avance. »>

Le premier orateur qui succéda au ministre, M. de Ludre, dit qu'il fallait que le parti carliste fût bien encouragé par l'indulgence dont la révolution de juillet avait usé à son égard, puisqu'il osait invoquer en sa faveur le principe de la souveraineté nationale. N'était-ce pas une chose prodigieuse que ce parti présentant son prétendant comme roi de France et de Navarre, et réclamant l'impunité pour une princesse de Naples? M. de Ludre termina en votant pour le renvoi de la pétition au garde-des-sceaux avec cette clause: Pour faire exécuter les lois du royaume.

Plusieurs orateurs développèrent et soutinrent les mêmes conclusions. M. de Briqueville rappela d'abord un discours dans lequel M. Guizot, déclarant que la révolution de juillet avait été faite pour abolir tout pouvoir extra-constitutionnel, pour enfermer désormais le gouvernement dans le cercle de la constitutionnalité et de la légalité, s'indignait contre la prétention d'un pouvoir extérieur et supérieur à la Charte, s'arrogeant le droit de faire des lois, de placer et de déplacer des personnes, de discuter des jugemens, de rendre des arrêts.

«Eh bien! ajoutait l'orateur, ces paroles datent du 29 décembre 1830; elles ont été dites par M. Guizot à l'occasion du procès des ministres. Il les prononça pour flétrir et dénoncer ce qu'il appelait le parti anarchique, la mauvaise queue de la révolution. D'où vient qu'aujourd'hui ces paroles tombent de tout leur poids sur ceux qui s'intitulaient exclusivement les amis de l'ordre et de la légalité, sur les collègues de l'orateur, sur les œuvres de son système?

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<< Voilà comment le programme du 13 mars se dément aussi chaque jour. Et pour attaquer et convaincre les actes du ministère, il suffirait de citer ses discours antérieurs.

« C'est ainsi que l'état de siége a été déclaré contraire aux lois par les paroles du maréchal Soult, et celles plus graves encore de M. Casimir Périer. C'est ainsi que M. Barthe a flétri du nom de torture, de peine immorale et digne de la Convention, l'envoi des garnisaires chez les parens des réfractaires, et que six mois après il adoptait cette mesure comme membre du conseil. C'est ainsi que M. le président actuel disait, le 23 décembre dernier, à propos du désarmement de la Vendée : « Pour faire un désarmement d'autorité envers tous, il aurait fallu plus qu'un acte du gouvernement, il aurait fallu une loi. On ne l'a pas demandée, le gouvernement n'a donc pas pu ordonner de lui-même cette mesure. »

« Depuis, M. le maréchal l'a ordonnée sans loi et de lui-même, e sempre bene. »

Laissant de côté les mesures prises en Vendée, l'orateur

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