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A ces ressources permanentes de richesse s'ajoute le travail des lapidaires. Il consiste, dans toute la vallée de Mijoux et lieux circonvoisins, à façonner des pierreries de diverses couleurs (saphir, topaze, émeraude et améthyste), que d'habiles ouvriers et des enfants intelligents taillent, percent, polissent et exportent pour l'orfévrerie et l'horlogerie en France, en Suisse et en Allemagne.

Le village de Lelex se compose aujourd'hui de l'église, du presbytère et de deux ou trois maisons dont l'une est une auberge. Le reste de la paroisse consiste en châlets isolés, éparpillés sur les deux revers de la vallée : cette disposition, en dehors de nos habitudes, donne à cette localité un aspect insolite et sauvage.

Il n'y avait, avant l'église actuelle, qu'une pauvre église mal bâtie, portant le millésime 1656; elle fut consacrée, en 1686, par Mgr Jean d'Aranthon d'Alex, alors évêque de Genève. Lelex dépendait alors de la paroisse et des moines de Chézery, qui en percevaient les dimes. On raconte que les habitants portaient leurs morts à cette distance, et que, plusieurs fois arrêtés dans ce pieux devoir par la tempête et les neiges, ils déposaient le cercueil et venaient le reprendre quand le passage étaient praticable.

A cette petite église froide, basse et humide, a succédé, en 1846, et grâces à l'activité et aux sacrifices de son bon pasteur, une gracieuse église en style ogival et gothique, lançant hardiment vers le ciel sa flèche octogonale, comme les sapins séculaires qui couronnent la vallée.

Ce petit monument contraste singulièrement par sa fraîcheur

avec la nudité de ce désert, où elle brille comme le lis resplendissant de blancheur au milieu des ronces: Sicut lilium inter spinas.

Le protestantisme, qui désola si long-temps le versant oriental du Jura de Gex, n'osa pas s'aventurer dans ces régions inconnues, habitées par de vieux catholiques dont la foi n'était pas facile à ébranler. Il ne dépassa pas la vallée de Chézery : il est vrai qu'il n'y avait à Lelex ni reliquaires en argent, ni métaux précieux, ni riches ornements à enlever, ni monastère à piller.

Qui croirait que les excentricités révolutionnaires aient pénétré dans cette plage inconnue, et jusqu'alors étrangère aux passions politiques? Sa vieille église fut envahie par les théophilanthropes de 93. Sa modeste cloche de 60 kilogrammes fut livrée aux fondeurs, et son sanctuaire servit tout-à-la-fois de club, de temple de la Raison, de municipalité, de prison et de cabaret.

Les prêtres assermentés n'osèrent pas se présenter devant ces énergiques montagnards qui avaient conservé un profond respect pour le culte de leurs pères, culte qu'ils ont conservé fidèlement et dans toute sa pureté.

NOTICE HISTORIQUE

SUR LE FORT-DE-L'ÉCLUSE.

Vu à quelque distance, l'ensemble du Fort-de-l'Ecluse, avec ses bâtiments hardiment superposés, ses galeries aériennes, et ses nombreuses petites ouvertures demi-circulaires, ressemble à ces fantastiques constructions orientales où domine la tyrannie, où réside le mystère sous la garde de la défiance et de la jalousie. Semblable à un géant armé de toutes pièces, il semble sortir des flancs du Mont Jura et se pencher sur les abîmes du Rhône, pour dire à l'étranger: On ne passe pas.

On ne passe pas, en effet, s'il gronde et ferme ses portes. Il faut sa permission pour franchir cet étroit passage, qui met Genève, le pays de Gex et la Suisse en communication avec Lyon et le midi de la France.

De l'autre côté du Rhône, et hors de France, s'élève le Mont Wache, aux pentes rapides, rayées de quelques petits sentiers connus seulement des chèvres ou de quelques hardis contrebandiers. Ce dangereux versant, en face du fort, est un prolongement du Mont Jura, qui se dirige brusquement au midi dans la Savoie.

Ces deux montagnes qui, dans les temps primitifs, n'en formaient qu'une, ont été divisées avec le temps par le

frottement des eaux du Rhône. Cet obstacle, en arrêtant le cours du fleuve, devait tenir le lac de Genève à une grande hauteur, et augmenter considérablement sa surface.

Vue de Genève, cette scissure a la forme d'un V: la branche méridionale (rive gauche) est à la Savoie; celle du nord (rive droite) appartient à la France. Très-resserré par la base du Jura et du Wache, le Rhône est hérissé de rochers à fleur d'eau qui s'opposent à tout essai de navigation: telle est l'infranchissable barrière que la nature a élevée entre la France et la Suisse méridionale!

L'Histoire ne fait mention de cet étroit passage que lorsque les légions romaines pénétrèrent dans les Gaules. César nous apprend, dans le premier livre de ses Commentaires, que les Helvètes, au nombre de 368,000, s'avancèrent dans la plaine de Gex et sur les bords du lac. On ne pouvait en sortir que par deux chemins : l'un, par le territoire des Allobroges (Savoyards), en traversant le pont du Rhône à Genève ; — l'autre, en passant par l'étroit défilé du Fort-de-l'Ecluse pour pénétrer dans la Michaille, qui faisait alors partie de la Séquanie. (Voy. chap. II, p. 16.)

Nous avons dit comment César força les Helvètes, suivis d'une immense quantité de charriots portant leurs femmes, leurs enfants et des vivres pour trois mois, à prendre la direction du dangereux passage de l'Ecluse où un char pouvait à peine passer. Il eut le temps d'aller en Italie et d'en ramener les cinq légions avec lesquelles il détruisit les deux tiers de cette foule confuse d'envahisseurs au passage de la Saône.

Rien ne prouve qu'à cette époque le passage de l'Ecluse

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