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ouvrages du temps (1), et qui a été reproduit pour le Bulletin de la Société par notre collègue M. Daudin.

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(1) On remarque que ce dessin ne porte que la moitié de la

Henri IV, dit-on, éprouva au siége de Sens la vigueur des canoniers sénonais. Mais tous ces hauts faits étaient oubliés au commencement de l'année 1668, et les bons bourgeois qui montaient alors la garde à la porte Notre-Dame n'avaient, comme en des temps plus modernes, qu'un désir, celui de s'aller coucher dans leur lit au lieu de sommeiller lourdement sur les planches du corps-de-garde.

C'était pendant la guerre contre l'Espagne, pendant la conquête de la Franche-Comté. Tout l'est de la France était alors sous les armes, et Sens, qui avait pour gouverneur et capitaine messire Desfontella, voyait, chaque jour, vers les cinq heures du soir, défiler une compagnie de garde-bourgeoise, qui allait occuper les postes de la porte Notre-Dame, de la porte du Pont d'Yonne et de la porte Commune, et veiller à la sûreté publique.

Ce fut donc pendant que le grand roi prenait une à une les places-fortes de la Franche-Comté qu'arriva le petit épisode que nous voulons raconter.

Le dimanche 18 février 1668, Sébastien Epoigny, « pauvre voiturier par eau, demeurant à Sens, chargé de femme et d'enfans, » dit la lettre royale que nous possédons, montait la garde à la porte d'Yonne avec son escouade. Il devisait avec ses camarades sur les grands événements qui s'accomplissaient chaque jour: Besançon avait capitulé le 7; la nouvelle en était arrivée depuis deux jours; on savait que Dôle était assiégée et sur le point de se rendre, et le roi,

devise citée plus haut. Il a sans doute été modifié après la Ligue, alors que les passions étant calmées on était revenu à des sentiments plus modérés et à une plus juste appréciation des choses et du rôle de la ville de Sens.

jeune et déjà glorieux, semblait n'avoir qu'à se montrer pour vaincre.

Mais, malgré l'importance du rôle qu'il jouait, Epoigny trouva, sur les deux heures du matin, qu'il avait assez fait pour la patrie, et il voulut aller se coucher. Après avoir fait sa faction, il dit à maître Poissonnet, commandant du poste, << qu'il vouloit s'en aller coucher, afin de reposer le reste de la nuit, dans le dessein d'aller le matin au travail, et qu'il vouloit emporter son arme. »

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Vous pouvez partir, lui répondit majestueusement Poissonnet, mais je vous défends d'emporter votre mousquet. - Je veux l'emporter, dit Epoigny, de peur qu'il ne se perde et ne soit pris. Là-dessus, nouvelle défense du commandant. Mais vers les trois heures, Epoigny, profitant d'un moment d'absence ou du sommeil de son chef, prit son mousqueton, et s'étant écoulé du corps-de-garde, fila silencieusement, croyant échapper à maître Poissonnet, lorsqu'il fut aperçu par le nommé Leroy, qui était de -faction devant le poste, et qui s'écria: «En voilà un qui s'en va et qui emporte ses armes ! »>

Aussitôt le caporal et les hommes de garde sortent du poste, courent après le fuyard, l'atteignent et le ramènent jusqu'à la porte du corps-de-garde où ils veulent le désar

mer.

Epoigny résiste; les uns veulent s'emparer de son mousquet, les autres le tirent en arrière. Il se débat, et dans le tumulte, son arme chargée part et va atteindre un malheureux garde nommé Alexandre Deniset, qui était dans le poste. Celui-ci est frappé d'un coup de feu à la cuisse, il tombe par terre en criant: « Je suis mort! » Et, en effet, il mourut le lendemain, au grand regret de l'auteur involon

taire de sa mort. « Car, dit la lettre royale, Epoigny n'avoit eu aucun dessein de tirer son mousqueton, ni ne s'étoit mis en devoir de le faire; et c'est inopinément et sans querelle contre ledit Alexandre que ce malheur est arrivé. Epoigny étoit son voisin et avoit toujours bien vécu avec luy et sans reproches. >>

Le roi, informé de tous ces faits par une prompte enquête du lieutenant-criminel de Sens, daigna faire grâce à Epoigny. Cette aventure se passait au milieu des succès de Louis XIV: Dôle était prise, et le 19 février toute la Franche-Comté était soumise. Notre lettre de rémission, scellée du grand sceau, est datée de Paris le 25 février 1668. La solution de l'affaire n'avait pas été longue. La mort du garde Deniset avait eu lieu le 18, et sept jours après des lettres de grâce étaient délivrées à Epoigny. C'était être grand, même dans les petites choses, et le Roi, comme on disait alors en Europe, auprès duquel était intervenu heureusement soit Mgr de Gondrin, archevêque de Sens, soit le prince de Conty, gouverneur de Champagne, avait voulu montrer dans ce cast sa puissance et la rapidité avec laquelle elle s'exerçait au besoin. Le Conseil des Grâces s'empressa de répondre à la volonté royale, et les lettres de pardon et de rémission furent délivrées au pauvre Epoigny.

Lettre de rémission pour Sébastien Epoigny.

(25 février 1668.)

Louis, par la grâce de Dieu roy de France et de Navarre, à tous présens et à venir salut. Nous avons receu l'humble supplication de Sébastien Espoigny, pauvre voiturier par eau demeurant en nostre ville de Sens, chargé de femme et enffans, contenant que par nostre

ordre les habitans de ladite ville faisans guet aux portes d'icelle, ledict suppliant ayant esté commandé, se seroit, comme les autres de son escouade, rendu au corps-de-garde d'Yonne, le dimanche huitiesme febvrier présens mois et an, sur les cinq heures du soir, et y seroit demeuré jusques au lundi dix neuf, sur les deux heures du matin. Et lors, le suppliant ayant fait sa faction, dit au nommé Poissonnet, lieutenant commandant les soldatz, qu'il vouloit s'en aller coucher, afin de reposer le reste de la nuit, dans le dessein de s'en aller le matin à son travail, et qu'il vouloit emporter son arme. A quoi ledit Poissonnet lui avoit réparti qu'il pouvoit s'en aller, mais lui deffendoit de prendre son arme. A quoi ne respondit rien, sinon qu'il s'en vouloit aller et emporter son mousqueton, de crainte qu'il ne fût perdu. Et estant encore resté quelque temps audict corps. de garde jusques sur les trois heures, le suppliant auroit pris son mousqueton, se seroit escoulé dudict corps -de-garde et en allant fut aperceu par le nommé Leroy, qui estoit en sentinelle devant ledict corps-de-garde, qui auroit dit fort hault: En voilà un qui s'en va et emporte ses armes; et aussitost le caporal et autres seroient sortis dudict corps de-garde, couru après le suppliant et iceluy ramené jusques à la porte dudict corps-de-garde, où estans tous, lesdictz caporal et autres ayans voulu oster au suppliant son mousqueton, icelluy auroit lasché sur le nommé Alexandre Deniset, charretier, qui estoit dans ledict corps-de garde, sans sçavoir com. ment cela pouvoit estre arrivé, et si lui ou les autres faisans effors de prendre ledict mousqueton, avoient mis la main à la détente ; duquel coup ledict Alexandre fut atteint à la cuisse, tomba par terre, disant Je suis mort ! Et seroit décédé le lendemain vingt, au grand regret du suppliant, qui n'avoit aulcun dessein de tirer ledict mousqueton, ne s'estoit mis en debvoir de le faire, et ce qui est inopiné. ment arrivé; le suppliant n'ayant jamais eu querelle contre ledict Alexandre, qui estoit son voisin et amy; et ayant, le suppliant, tous. jours bien vescu, sans blasme ny reproche.

Duquel faict ayant esté informé et décrété par les juges des lieux, est obligé d'avoir recours à nos lettres de grâce, pardon et rémission, humblement requérant icelles.

A ces causes, désirant préférer miséricorde à rigueur des loix, et attendu que le cas est impréveu, Nous, de nostre grâce spécialle,

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