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N° 18

SUR LES DONNÉES ACTUELLES

EN MATIÈRE DE CONSTRUCTION

D'USINES HYDRO-ÉLECTRIQUES (1)

PAR DENIS EYDOUX,

Ingénieur des Ponts et Chaussées,

Ingénieur Principal de la Voie, chargé du Service des Études et Travaux des Usines hydro-électriques à la Ci• des chemins de fer du Midi.

PREAMBULE

Les conditions économiques actuelles, en augmentant dans d'énormes proportions le prix des divers combustibles et, par suite, le coût de l'énergie produite avec des machines thermiques, ont eu pour résultat d'attirer de plus en plus l'attention sur l'aménagement des chutes d'eau en vue de la production de l'énergie.

On a dit, en employant une image très heureuse, que chaque usine hydraulique mise en service équivaut à une mine de charbon inépuisable mise en exploitation. Mais cette analogie peut être poussée beaucoup plus loin. Suivant le cours du charbon, on peut être amené à exploiter ou, au contraire, à délaisser cértaines veines dont l'exploitation est onéreuse.

Il en est exactement de même pour les chutes d'eau. Le prix de vente de l'énergie limitant son prix de revient admissible, on doit, pour éviter le gaspillage, prévoir de façon rationnelle, dans chaque région naturelle, l'échelonnement et la

(1) M. EYDOUX a fait sur ce sujet cinq conférences aux Élèves de l'École Nationale des Ponts et Chaussées.

répartition des usines hydrauliques de façon à utiliser au mieux tout ce qui peut vraiment l'être dans des conditions économiques acceptables, et, dans chaque usine, adopter des dispositions évitant les pertes d'eau et permettant d'utiliser tout le débit existant pendant une période suffisante de l'année.

Je me propose, dans les pages qui suivent, de résumer les principales idées actuelles, en matière d'équipement de chutes d'eau, en vue de remplir les conditions que je viens d'indiquer.

Le problème de la production et de la distribution de l'énergie est plus complexe qu'il ne paraît à première vue. La puissance demandée par les usines ou les réseaux d'utilisation peut, comme nous le verrons plus loin, être constante ou varier au contraire dans de très grandes limites. Or, sauf certains moyens de régularisation qui ne sont pas toujours réalisables et qui, pratiquement, sont toujours limités, on n'est pas maître du débit d'un cours d'eau; par contre, il est toujours désirable d'utiliser toute l'eau qui passe.

L'idéal serait donc d'avoir de très grands réseaux sur lesquels les pointes qui peuvent se produire en des points déterminés ne sont pas simultanées et perdent par suite beaucoup de leur importance relative; d'alimenter ces grands réseaux par un certain nombre d'usines hydrauliques, les unes utilisant, par suite des conditions locales, le débit du cours d'eau tel qu'il est et fournissant une puissance constante, les autres établies sur cours d'eau régularisés et permettant de faire face à des pointes et de venir en aide aux premières usines aux périodes de basses eaux ; de compléter cette alimentation par des usines thermiques établies en des points convenablement choisis pour avoir le combustible au plus bas prix possible, ces usines fournissant une certaine puissance constante pour justifier leur mise en feu, faisant face au surplus des pointes et fournissant le complément de puissance à l'étiage.

On concevrait alors la distribution de l'énergie aux différents points d'utilisation exactement comme l'on conçoit aujourd'hui une entreprise de transports en commun.

Remarquons d'ailleurs que cette façon de voir n'aurait pas pour

résultat de détruire l'indépendance des diverses usines existantes. ou à créer, car un industriel pourrait toujours construire l'usine productive d'énergie qu'il a en vue; mais, au lieu de l'utiliser sur place ou d'établir à ses frais une ligne de transport coûteuse, il pourrait, en livrant son courant sur le réseau commun, en retirer une quantité équivalente en un point quelconque, défalcation faite des pertes en ligne et, parfois, en se servant des avantages de l'association, à des moments différents. J'indiquerai plus loin les quelques difficultés pratiques que l'on peut rencontrer à ce sujet.

Il y a d'ailleurs une tendance très marquée à entrer dans cette voie. Je citerai par exemple un certain nombre d'usines du Dauphiné qui versent leurs disponibilités à un poste central, d'où part un transport sur les centres industriels de la Loire. Les réseaux de la Société Pyrénéenne (qui dessert la vallée de l'Ariège, la région de Toulouse et le Tarn) sont reliés à ceux de la Société Méridionale (Aude et Hérault), de façon que les deux entreprises puissent se prêter un mutuel secours.

Enfin le grand réseau de distribution projeté par la Cie des chemins de fer du Midi pour sa traction électrique procède de la même idée.

Quoi qu'il en soit, et en attendant la généralisation de ces solutions au mieux des intérêts de tous, il ne s'ensuit pas moins. que, pour éviter toute perte, la conception et la construction des usines doit faire l'objet d'un plan d'ensemble par région et d'une étude détaillée par usine suivant les besoins à satisfaire.

CHAPITRE PREMIER

CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR

L'ÉTABLISSEMENT DES USINES HYDRAULIQUES

I.

NÉCESSITÉ D'UN PLAN D'ENSEMBLE DANS LA
CRÉATION DES CHUTES

J'ai eu déjà l'occasion (1) d'exposer quelques idées à ce sujet. Je ne peux mieux faire que d'y revenir rapidement.

Dans une chute ou dans un ensemble de chutes à créer, il y a, en général, une portion limitée sur laquelle on pourrait établir une usine où le prix unitaire de la puissance aménagée serait extrêmement bas, mais qui ne correspondrait qu'à une portion très faible de l'énergie totale disponible; de même qu'à vouloir tout utiliser, on arriverait à des solutions où l'unité de puissance équipée reviendrait à des prix très élevés, alors qu'entre ces deux extrêmes existe une solution permettant de produire une quantité importante d'énergie à des prix raisonnables et suffisamment rémunérateurs. Il est évident que, si l'on a en vue l'intérêt général, c'est à ce dernier parti que l'on doit arriver. Mais, si la deuxième hypothèse que je viens de mentionner n'est pas à redouter pratiquement, car on ne trouvera jamais d'industriels disposés à produire de l'énergie à perte, la première pourra se réaliser souvent, et particulièrement lorsqu'un industriel, ne disposant que de capitaux limités et n'ayant pas besoin de beaucoup de puissance, viendra aménager la partie économique d'une plus grande chute, rendant ainsi, sinon impossible, tout au moins beaucoup plus difficilement réalisable l'utilisation de toute l'énergie pratiquement disponible.

Je préciserai ces idées par l'exposé d'un cas concret, prove

1. Voir Revue générale de l'Électricité, 2 juin 1917, t. I, p. 857-862.

nant de l'usine de Soulom que vient d'équiper récemment la Compagnie des Chemins de fer du Midi pour l'électrification de son réseau. Il me sera d'autant plus facile de discuter cet exemple que les faits que je vais signaler datent d'une époque où l'utilisation de la houille blanche n'était pas développée comme aujourd'hui et que je pourrai les exposer sans qu'on puisse y voir aucune critique à l'égard des Ingénieurs qui ont réalisé ces installations et qui ne pouvaient alors prévoir l'avenir réservé à ces questions.

L'usine de Soulom utilise deux chutes, l'une sur le Gave de Pau, l'autre sur le gave de Cauterets. C'est cette dernière que je choisirai comme exemple pour ne pas trop m'étendre sur ce sujet. Mais la chute du Gave de Pau donne lieu aux mêmes réflexions que celles que je vais faire à propos du gave de Cau

terets.

Sur ce cours d'eau, une Société anglaise, la Compagnie des Mines de Pierrefitte, avait, au voisinage de son exploitation, installé, dès 1890, une usine utilisant la chute comprise entre les points de cote 641 et 615.

Postérieurement, vers 1898, la Compagnie des Chemins de fer Pierrefitte-Cauterets-Luz a créé une usine comprise entre les points de cote 801 et 715.

Ces deux installations, très intéressantes pour l'époque, ont été établies très rationnellement aux points précis où la pente du Gave est la plus forte. Mais il est facile de voir les conséquences de ces travaux au point de vue de l'utilisation rationnelle du Gave; avec une pente moyenne de 0,0495, soit 0,05, qui est celle du cours d'eau entre Cauterets et Soulom, il aurait été intéressant, suivant les idées modernes, de créer une chute totale brute de 436 m., ou nette de 400 m. environ, qui, avec un débit caractéristique moyen de 5.000 1. sec., aurait représenté une puissance moyenne de près de 20.000 kw. sur les aubes des turbines, sans dépasser des limites de prix raisonnables; il n'y avait d'ailleurs pas intérêt à la fractionner, car le Gave n'a pas d'affluent intéressant entre Cauterets et Pierrefitte et son bassin versant augmente relativement peu entre ces deux points où il coule dans une gorge étroite.

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