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Fr 39.12.9

HARVARD COLLEGE

FEB 23 1923

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F. C. LOWELL FUND

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Notre Compagnie, suivant un usage remontant à son origine, faisait choix pour présider ses séances de l'érudit dont les travaux lui avaient apporté le plus d'honneur; elle allait parfois jusqu'à désigner un de ceux qui, terminant une brillante carrière, faite en dehors d'elle, lui offraient le mérite de leur haute situation.

Le savant comme le fonctionnaire se tenaient pour grandement honorés. Brisant avec la coutume, vous avez cru devoir appeler d'office à votre tête l'un des derniers venus parmi vous et des moins méritants. Vous m'avez choisi.

Je vous en suis reconnaissant plus que je ne puis vous l'exprimer. Si je vous remerciais trop, vous pourriez croire que j'espérais obtenir cet honneur.

J'ai compris que vous aviez simplement voulu montrer que notre Société, ouverte à tous, se réservait le plaisir d'accorder quelque récompense aux ouvriers de la dernière heure; peut-être y avez-vous joint une leçon, en inscrivant sur le bulletin que vous glissiez dans l'urne le nom d'un des plus assidus à vos séances; plus simplement, vous avez tenu compte de mes vingt-cinq années de séjour à Vannes et des nombreux liens de famille que j'ai contractés dans cette petite patrie, qui me font presque l'un de ses enfants et qui ont établi tant de relations communes entre nous.

Tous ceux qui m'ont précédé à ce fauteuil ont bien rappelé ce souvenir ému, fait de respect et d'affection, que nous

conservons pour ces chers disparus qui ont fondé notre Société et lui ont apporté le meilleur de leur cœur et de leur esprit; mais ils me semblent avoir oublié ceux qui, simples amis de la science, n'ont donné que leur obole et leur attention.

S'il est juste et s'il m'est agréable de pouvoir dire à tous ceux que vous avez choisis pour m'aider de leur expérience, qu'il est difficile de trouver secrétaire plus dévoué et conservateurs plus consciencieux; si je dois traduire votre pensée et remercier le président sortant du tact et de l'aménité déployés par lui pendant l'année qui vient de s'écouler, ainsi que de cet entrain à remplir plus que ses devoirs que ni la souffrance ni l'éloignement n'ont pu ralentir, comme ils n'ont pu l'empêcher de nous apporter son tribut annuel d'études historiques; si, de tout cœur, il me faut souhaiter la bienvenue à notre nouveau trésorier qui a bien voulu accepter le poste le plus délicat et qui, sachant qu'il tient notre existence entre ses mains, saura défendre énergiquement les cordons de la bourse, et à notre vice-président, que vous avez spécialement placé auprès de moi pour me guider et me soutenir de l'autorité de son âge et de sa grande habitude des usages présidentiels; ne m'est-il pas permis, n'est-ce pas même un devoir, de remercier ces hommes. dévoués qui se sont pressés autour de nos maîtres depuis l'année 1826 jusqu'à ce jour? C'est grâce à eux que nous pouvons vivre.

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Et nos origines, nos travaux, nos intérêts, j'allais dire nos amours, et certainement nos haines, sont tellement les mêmes que, malgré moi, je réunis toutes les Sociétés bretonnes -et tous ceux qui dans ce premier mois de l'année se sont serrés autour de leur président dans un seul groupe familial et qu'à tous je leur adresse les mêmes éloges.

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Que ce soit paroles volantes ou écrits durables, ne faut-il pas des oreilles bienveillantes pour recueillir les unes et des lecteurs avertis pour feuilleter les autres? C'est encore à cette élite, presque anonyme, que les études sérieuses, appuyées sur des textes, élaguées de toute fantaisie, doivent d'être connues; c'est elle qui les répand et proteste contre ce folk-lore de café concert; ces articles historiques écrits d'imagination; ces monographies, ces études sociales faites.

de parti pris; ces dessins et ces tableaux enlevés de chic qui traînent dans les expositions annuelles, remplissent nombre de magazines plus ou moins littéraires et se faufilent même dans les revues les plus sérieuses. En se munissant dans un bazar, de pen-bas, de gilets brodés et de chapeaux aux longs rubans de velours, combien d'intellectuels ne croientils pas que la même pièce d'or leur a fait avoir la compréhension de notre Bretagne !

en

Pauvre province, que l'on regrette presque de voir si belle, si fidèle à tes traditions, si conservatrice de tes coutumes, si parée encore de tes vieilles ruines, puisque tout cela, depuis cent ans, t'a livrée en pâture à toute une bande de ratés des lettres, d'arrivistes archéologues et de m'as-tu lu qui, en vers ou en prose, sous forme de nouvelles, de romans, de descriptions, de légendes, de scènes ou de gwerz volumes compacts ou en quelques feuillets -- en français quelconque ou en langue soi-disant bretonne, ont réussi peut-être à gagner leur pain ou à faire connaître leur nom pour quelques instants - mais certainement à éloigner de nous bien des esprits sérieux qui désespèrent de pouvoir remonter ce courant de cabotinisme et qui sont navrés de le voir recouvrir de sa fange tant de travaux de valeur et tant de noms jadis aimés.

Tes monuments, tes meubles, tes broderies, tes bijoux; ta langue, tes idées; ton histoire et tes dévouements, on ne les restaure pas, on ne les conserve pas, on ne les publie pas; on les copie sans les respecter, on les altère, on les travestit.

Ne pouvant t'enlever tes pierres, Locmariaquer, c'est en carton-pâte qu'on les a mises au Champ de Mars en 1900, en les entourant de pseudo Bretonnes vendant des similicrêpes, galettes de la porte Saint-Martin.

L'adoration que l'on porte à la Bretagne avait trouvé ces jours-là la forme de son culte.

Reconnaissez-vous, Messieurs, que la seule défense contre ce dévergondage d'insanités est dans l'existence de nos sociétés de Quimper, de Brest, de Saint-Brieuc, de Saint-Malo, de Rennes, de Nantes et de Vannes? :

Vous tous qui leur permettez d'exister, vous devez être remerciés; c'est vous qui faites vivante encore la pensée des

maîtres de jadis qui voulaient en ces temps, déjà si lointains pour nous, que tout l'art, toute la littérature, toute l'histoire de notre riche province fussent étudiés, fouillés, mis au jour, et que ces documents soigneusement analysés fussent réunis en un splendide faisceau, ne pereant, reprenant après un siècle presque écoulé la plume et le pinceau tombés de la main du président de Robien.

Mais comme eux et comme lui, vous avez pour seul but la vérité ; vous n'aimez ni le bluft ni le battage.

Ouvrez les comptes rendus publiés par nos compagnies, vous ne trouverez que travaux solides, et chose écrite est chose vue. Nous en avons pour garant les noms qui figurent à la liste des sociétaires.

Ce sont à peu près les mèmes que ceux des fondateurs, et si les personnes sont différentes, si des parents ou des amis sont venus se joindre au cercle de famille, les idées directrices ont été transmises et soigneusement gardées, acceptées par les fils comme faisant partie de l'héritage. paternel.

Aussi les bulletins des Sociétés bretonnes sont-ils tenus en haute estime dans le monde des érudits, et nos musées sont-ils justement admirés.

Ils ne renferment ni tiares d'or, ni intestins pharaoniques sujets à caution, mais chaque objet est rare ou curieux. Puis c'est un ami qui l'a trouvé, qui l'a décrit, qui l'a donné; parfois même il lègue en même temps de l'argent pour le sertir ou une maison pour l'abriter.

Si les Dobrée ont peu d'imitateurs en notre pauvre pays, nombreux sont encore ceux qui, moins riches, tiennent cependant à figurer au nombre de nos bienfaiteurs.

C'est donc vous que j'ai tenu à féliciter aujourd'hui, amis de notre province, vous que l'on appelait jadis les « honnêtes gens, les curieux; que l'on nomme maintenant, avec un sourire, les amateurs d'antiquailles-vons tous qui avez l'amour des vieilles ruines et des vieilles choses et qui les voyant murmurez avec Beaudelaire :

« Charme profond, magique, dont nous grise
« Dans le présent, le passé restauré! »

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