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INTRODUCTION.

DE L'ORIGINE DE L'UNIVERSITÉ DE FRANCE,
DE SA CONSTITUTION ET DE SON OBJET.

BONAPARTE passait à Turin. Un jour qu'il parcourait le palais de l'université fondée en 1771 par CharlesEmmanuel III, il se fit représenter les statuts qui régissaient cette institution. Il y vit quelque chose de grand et de fort qui le frappa. Cette grave autorité qui, sous le nom de magistrat de la réforme, gouvernait tout le corps enseignant; ce corps lui-même, uni par des doctrines communes et librement soumis à des obligations purement civiles qui le consacraient à l'instruction de la jeunesse comme à l'un des principaux services de l'état; ce corps sans cesse renouvelé par un pensionnat normal qui devait transmettre d'âge en åge les saines traditions et les méthodes éprouvées: tranquille sur le présent, par la garantie que lui donnait sa juridiction spéciale, tranquille sur l'avenir, par la certitude d'honorables retraites; cet ordre de professeurs, tous choisis parmi des agrégés nommés au concours; cette noble confiance de la puissance souveraine qui donnait au conseil chargé de la direction générale un droit permanent de législation intérieure et de continuel perfectionnement; tout ce plan d'éducation établi sur la base antique et impérissable de la foi chrétienne, tout cela lui plut, et il en garda la mémoire jusqu'au sein de ses triomphes en Italie et

en Allemagne. Rassasié enfin de gloire militaire et songeant aux générations futures, après avoir solidement établi l'administration civile, après avoir relevé les autels et promulgué le Code Napoléon, après avoir, par différentes lois, substitué les lycées aux écoles centrales, régénéré les écoles de médecine et créé les écoles de droit, il voulut fonder aussi pour la France un système entier d'instruction et d'éducation publique. Il se souvint de l'université de Turin, et l'agrandissant, comme tout ce qu'il touchait, dans la double tion de son empire et de son génie, il fit l'Université impériale (1).

propor

Hâtons-nous d'ajouter qu'en cela même Bonaparte répondait aux vœux que la France avait exprimés à l'époque mémorable de la première année du dixneuvième siècle. Les conseils généraux de département venaient de s'assembler. Les Français, lassés de tant de vaines théories essayées à leurs dépens sur tous les points de la machine politique, aspiraient au repos, voulaient l'unité partout et faisaient effort vers la monarchie. Au milieu de la ruine universelle des institutions, les conseils généraux jetant un douloureux regard sur l'état déplorable de l'éducation, avaient retracé avec une juste reconnaissance les services rendus par les anciennes corporations enseignantes; ils avaient gémi profondément sur le terrible naufrage qui avait tout englouti, corps et biens : mais en même temps, ils ne s'étaient point bornés à des regrets stériles, ils n'avaient point oublié que nos meilleures institutions d'autrefois laissaient à désirer quelque chose, et ils avaient tracé, d'une main assez ferme (1),

(1) Dans un écrit publié en 1816, nous avons mis en parallèle les deux institutions. L'une est évidemment le type de l'autre, mais modifié, étendu et développé, comme il convenait à la France.

(2) L'analyse des procès-verbaux de la session de l'an 9, a été publiée en l'an X, par les soins du ministre de l'intérieur, M. Chaptal.

l'esquisse d'un plan vaste et uniforme qui assurerait à la France le bienfait toujours souhaité, souvent promis, d'une éducation vraiment française.

1o. Une éducation nationale.

<< Maintenir les institutions politiques, perfectionner et communiquer les connaissances humaines, faire concourir tous les talens et toutes les vertus au bienêtre privé et à l'utilité générale tel est l'objet de l'éducation. >>

« Rétablir les anciens colléges sous des formes appropriées aux nouvelles institutions politiques. »>

« Confier la direction de chaque collége à un homme de lettres estimé, qui y ferait suivre le plan d'instruction tracé par le gouvernement (1). »

(1) Ce vœu d'une éducation nationale avait toujours été celui des magistrats français; et en 1763, dans un réquisitoire célèbre, l'un d'eux revendiquait avec énergie « pour la nation, une éducation qui ne dépendît que de l'état, parce qu'elle lui appartient essentiellement, parce que toute nation à un droit inaliénable et imprescriptible d'instruire ses membres, parce qu'enfin les enfans de l'état doivent être élevés par des membres de l'état. >>

En 1789, le clergé aussi demandait « qu'aucune maison d'éducation ne pût être établie que conformément aux lois du royaume et dans la juste dépendance prescrite par ces lois; que l'éducation publique ne fût plus conduite d'après des principes arbitraires, et que tous les instituteurs publics fussent tenus de se conformer à un plan uniforme approuvé par les états généraux. »>

C'était également le vœu de la noblesse : « Qu'il soit établi un conseil composé de gens de lettres les plus éclairés de la capitale et des provinces, et des citoyens des différeus ordres, pour former un plan d'éducation nationale à l'usage de toutes les classes de la société, et pour rédiger des traités élémentaires. Il sera arrêté des lois invariables relativement à l'éducation nationale. »

1

2o. Un corps enseignant sous un chef unique.

<< On désire surtout qu'il soit donné un chef aux divers établissemens d'instruction, afin qu'il y ait de l'unité dans l'enseignement.

« Confier l'enseignement à des personnes qui s'associent librement pour vivre sous un chef unique, sous une discipline exacte, et dans une retraite nécessaire à l'étude. >>

« Assujettir les maîtres et les élèves à des examens publics et imprévus. »

<< Nommer des inspecteurs pour surveiller l'instruction. »

<< Nommer un chef unique des écoles centrales et primaires. >>

3o. Instruction graduée, proportionnée aux besoins réels de la société.

« L'instruction que les écoles centrales offrent à la jeunesse est trop vague et embrasse trop de parties à la fois. L'enseignement n'a ni liaison ni gradation : il convient mieux à des hommes faits qu'à des jeunes gens qui cherchent à s'instruire. »

<< Il est indispensable d'établir trois degrés distincts dans l'enseignement public. Le premier (les écoles primaires) se borne à enseigner aux classes peu aisées de la société les élémens dont elles ont besoin pour exercer les métiers dont elles tirent leur subsistance. Le deuxième (les colléges), destiné aux classes opulentes, étend l'instruction aux sciences et aux beauxarts, etc. Le troisième enfin ( les écoles spéciales ) donne aux hommes qui se consacrent particulièrement aux sciences et aux arts les moyens d'arriver aux connaissances les plus profondes des unes et des

autres. >>

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