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Philippe avait eu la pensée, étant duc d'Orléans, de reprendre l'œuvre du savant chroniqueur (son histoire généalogique ct chronologique des maisons de France et des grands officiers de la Couronne). Commencée en 1807, cette continuation traversa un nouvel intervalle, puis fut poursuivie de 1817 à 1830. A cette époque, le Roi se décida à confier à M. Vatout le soin de terminer l'ouvrage auquel il ne manquait plus que quelques notices. La copie de ce travail, reliée en trois volumes in-folio et placée dans la bibliothèque du château de Neuilly, fut enlevée, en 1848, lors du pillage de ce palais. Quant aux manuscrits, se composant d'un grand nombre de cahiers de papier rayé, grand in fol., et qui avaient été déposés dans une armoire des Tuileries avec les papiers intimes du Roi, ils disparurent à la même époque, lors de l'envahissement de cette demeure royale. Quelques-uns de ces papiers purent être retrouvés; on croyait à la destruction de tout le reste, quand un sieur Valette écrivit au duc d'Aumale pour lui annoncer qu'une personne, qu'il ne nommait pas, était propriétaire légitime « de manuscrits autographes du feu roi Louis-Philippe, ayant trait à l'histoire particulière et générale de la France, depuis la minorité de Louis XV jusqu'à la révolution de juillet 1830; que ces manuscrits seraient prochainement vendus, mais que... » dans une esprit de haute convenance, il se faisait un devoir de les présenter (c'est-à-dire proposer) d'abord au Duc. Suivait la description de ces manuscrits parmi lesquels figurait précisément (Ier volume) la continuation de l'ouvrage du Père Anselme. Finalement, le sieur Valette donnait au duc d'Aumale la préférence pour l'acquisition de ces manuscrits et autographes. Au mandataire des héritiers du roi Louis-Philippe (M. Bocher), qui le sommait de faire connaître la source de sa prétendue propriété, M. Valette répondait qu'avant tout il convenait de fixer un prix, qu'il portait pour son compte à six mille francs. Cette demande n'ayant pas eu plus de résultat que l'offre, le possesseur de ces documents de famille fit imprimer un prospectus commençant par ces mots: A vendre à l'amiable, manuscrits historiques autographes et inédits du feu roi Louis-Philippe 1er, etc. « N. B. ajoutait cette pièce... toutes explications et toutes garantics seront

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données à l'acquéreur sur la légale et légitime possession... de ces manuscrits qui ne proviennent nullement, comme on pourrait le supposer, des enlèvements qui ont pu être faits aux Tuileries, en 1848... » En même temps, le sieur Valette adressa au duc d'Aumale ce prospectus : « Monsieur le Duc, disait-il, permettez-moi de vous présenter l'imprimé ci-joint dont l'objet peut, je pense, exciter votre intérêt. » Sur ce, saisie-revendication des trois volumes par les héritiers du Roi, et intervention (quant au troisième volume seulement) de M. Stanislas de Girardin qui revendiquait ce volume comme se composant d'écrits presque exclusivement de la main de son auteur. 22 janvier 1857, jugement qui déboute les princes d'Orléans de leur demande et les condamne aux dépens. -Appel: M° Scribe se présenta pour les appelants et Me Senart pour le sieur Valette, qu'il représenta comme un modeste employé du ministère de l'intérieur n'ayant jamais encouru le moindre reproche, mais possédé de la passion des autographes. Les manuscrits litigieux, disait l'honorable avocat, n'étaient à leur origine que des lambeaux sans suite, que M. Valette parvint à réunir et dont il fit un ensemble qu'il proposa alors au duc d'Aumale. La perte de son procès serait une ruine pour l'intimé révoqué de ses fonctions au ministère à la première nouvelle de cette instance; réintégré depuis, il avait reçu une promesse d'indemnité en cas de confirmation du jugement. Mais que ferait-il en cas d'infirmation? C'est pourtant ce qui arriva. « Considérant, disait la Cour (conformément d'ailleurs aux conclusions de M. O. de Vallée, avocat-général), que des faits et documents du procès il résulte que les manuscrits réclamés par les appelants étaient l'œuvre et la propriété du roi Louis-Philippe; qu'ils étaient dans son cabinet, au château de Neuilly, et qu'ils en ont été enlevés dans le pillage du 24 fé vrier 1848. » Quant au moyen tiré de l'article 2279 du code Napoléon qui dispose, qu'en fait de meubles la possession vaut titre, l'arrêt infirmatif déclarait cet article inapplicable au sieur Valette, parce qu'il ne fournissait pas la preuve de sa bonne foi .(condition essentielle posée par l'article), puisqu'il était incontestable qu'en même temps que l'écriture et le sujet des manuscrits lui révélaient l'auteur, il savait par quelles violences le Roi Louis

Philippe avait été dépouillé de sa propriété... » En conséquence, dispositif portant que les deux volumes par eux saisis seront remis aux héritiers d'Orléans; toutefois que lesdits héritiers payeront à Valette la somme de cinq cents francs; le jugement ressortissant effet quant au troisième volume (audience du 10 mai). Au nombre des affaires qui sortent de la ligne habituelle des causes civiles ou criminelles, on doit citer l'accusation capitale qui appela (11 mars) devant le conseil de guerre de Lyon un officier, le lieutenant de Mercy, du 18° de ligne, chez lequel, dans la soirée du 1er janvier, on avait trouvé frappé mortellement, presque affaissé sur lui-même et roulé sous le lit, le sous-lieutenant Rosiez, du même régiment. Que s'était-il passé entre ces deux militaires? Remontant aux précédents de ces deux officiers, l'acte d'accusation constata qu'il avait existé entre eux une ancienne et longue inimitié, provoquante et hautaine chez de Mercy. Les choses en étaient venues à ce point que le jour de la catastrophe l'accusé avait adressé à celui qui devait être sa victime, une sorte de défi déguisé sous la forme de pari, qu'il ne se présenterait pas dans sa chambre de neuf à dix heures. « Pourquoi, dit alors un des officiers présents? Parce que, répond

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de Mercy, quiconque s'introduira dans mon domicile est sûr de son affaire; et d'ailleurs j'ai un couteau de chasse dont je saurai me servir. >> Rosiez se laissa en effet pousser en quelque sorte par de Mercy dans cette chambre fatale, après des incidents avantcoureurs prémédités (l'acte d'accusation l'énonçait formellement) par de Mercy. Il était sept heures et demie. On ôta les tuniques, on dégaina les sabres, comme on l'apprit par le docteur Bonnet, que de Mercy, en manches de chemise, tête nue, bretelles pendantes était allé chercher, et par quelques mots articulés par la victime. Le docteur trouva Rosiez étendu à terre, la face contre le parquet, la tête et le haut du corps engagés sous le lit et son sabre sous le ventre. « Docteur, dit ce malheureux placé sur le dos par l'homme de l'art, je suis mort, sauvezmoi! » - Puis à un de ses collègues venu pour l'assister tandis qu'il avait enfermé chez lui de Mercy : « Au secours !... au secours!... à l'assassin! s'écrie le moribond. Lâche!... infâme! dit-il encore en parlant de de Mercy, et il exhale le dernier sou

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pir. Aux yeux de l'acte d'accusation, qui releva d'ailleurs soigneusement tous les détails de nature à éclairer les juges, il n'y avait pas eu duel, mais homicide volontaire et prémédité commis par le lieutenant de Mercy sur le sous-lieutenant Rosiez. Le 12 mars, après l'audition des témoins de laquelle il résultait que des querelles presque futiles furent en grande partie cause de ce tragique dénoûment, le Conseil de guerre condamna M. de Mercy à la peine de mort. Toutefois, la clémence de l'Empereur commua cette peine.

Les tribunaux eurent à juger cette année un délit qui, dans certains cas, ne semble guère justiciable que du ridicule, mais qui venait de donner lieu à une loi spéciale, l'usurpation des titres bonorifiques. Il ne sera question ici de cette affaire qu'à raison des détails et incidents qui peignent les mœurs, et sont comme un commentaire de la loi nouvelle.

Précédemment (17 juillet), le tribunal civil de la Seine avait été saisi de la demande d'un sieur Gauthier, courtier en vins et commissionnaire en titres de noblesse, contre un sieur Vesin qui s'intitulait comte de Romanini, son mandant, mais qui joignait au commerce héraldique celui de marchand de pâtes alimentaires. Pour exécuter son mandat, Gauthier fit insérer un jour dans deux journaux, le Siècle et la Patrie, une réclame ainsi conçue :

« On offre à une personne riche les moyens de paraître avec éclat et dignité dans la haute société. S'adresser, etc. »

Ces moyens c'étaient les titres que le comte de Romanini vendait en même temps que ses pâtes. Moult gens, comme on eût dit au temps où il y avait une noblesse que ne régissait pas le Code Napoléon, se laissèrent affriander par cette brillante annonce, d'aucuns firent leur demande en un style et une orthographe qui, à quelques égards, étaient de race. En voici un échantillon. « Si, comme vous dites, il y a un titre à vendre ou un brevet de décoration, voyez si cela est bien claire et informé-vous du prix... et de qu'elle pays, car je pense que s'est étranger. » Le mandataire eut gain de cause, « attendu, porte le jugement, que Vesin dit de Romanini a donné à Gauthier mandat de négocier et vendre des titres de noblesse, des

croix et des décorations d'ordres étrangers; attendu que quelque peu honorable qu'il soit pour Gauthier d'avoir accepté ce mandat, pour son exécution il a fait des dépenses qui ne sauraient équitablement être à sa charge... » La seconde affaire avait trait en quelque sorte au corps du délit, l'usurpation de titres, le port illégal de décorations. C'est encore Vesin de Romanini qui est l'acteur principai. M. le président à Vesin : « Vous avez été lié d'intérêt avec Barruel? - Réponse : C'est lui qui m'a fait nommer ministre plénipotentiaire de Greytown et consul à Nicaragua. » Venaient ensuite M. Guiet, qui, ancien notaire, s'était associé à Vesin; puis le sieur Cabany, dont le père, habitant de la rue Sainte-Avoye, avait fait un honorable commerce de papiers. Guiet ne vendait pas moins (c'est son client Lause, un courtier de bourse, qui en témoigne), que l'ordre des Quatre-Empereurs, et ce pour une bagatelle, 2,000 fr. Cabany s'intitulait directeur de la Société impériale des archives de France, et il était prévenu d'avoir eu sa part dans ces négociations. Enfin, trois autres individus figuraient dans le procès; l'un, Hérat, s'était offert, au dire d'un témoin, de procurer au prince Youssoupoff, pour 20,000 fr., le titre de commandeur de l'ordre du Christ de Portugal. Le tribunal fit justice de ces effrontées spéculations en condamnant les prévenus à des peines diverses.

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