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Quant aux servitudes réelles, qui ne réunissent pas le double caractère de continuité et d'apparence, elles sont réputées ne s'exercer qu'à titre précaire ou de simple tolérance. Il en résulte que l'exercice de fait d'une pareille servitude ne conduit jamais à J'usucapion (art. 691), et qu'il ne peut fonder une action possessoire contre le propriétaire de l'héritage servant, qu'autant que la présomption de précarité se trouve écartée par un titre émané de ce dernier ou de ses auteurs®.

§ 183.

Des effets de la possession en matière mobilière, en particulier1.

1° En fait de meubles, la possession vaut titre. Art. 2279, al. 1. En d'autres termes, la possession engendre instantanément, et par

"Voy. pour le développement et la justification de ces propositions: § 185, texte, nes 2 et 3.

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Cpr. sur cette matière: Dissertatio de vi atque effectu possessionis rerum mobilium, ad art. 2279 Cod. civ., Auctore Ant. Bauer; Goettingen 1813, in-4o. Dissertation sur la revendication des meubles, par Destrais; Strasbourg 1839, in 4°. Dissertation sur la nature de la possession en fait de meubles, par Lacombe de Villers, Revue bretonne, 1840, p. 179 et 212. L'art. 2279 du Code Napoléon, interprété par ses origines germaniques, par Renaud (en allemand). Traduction analytique de la dissertation précédente, par Chauffour, Revue de législation, 1845, I, p. 371; II, p. 281. Examen critique de cette même dissertation, par Rivière, Revue de législation, 1851, III, p. 310. De vestitura possessoria rerum mobilium, auct. Renner; Marburgi 1857, broch., in-8°. * Cette maxime, et les exceptions qu'y apporte le second alinéa de l'art. 2279 en admettant, pour les cas de perte et de vol, l'action en revendication généralement déniée en matière mobilière, étaient déjà, sinon expressément formulées, du moins pratiquement consacrées par la loi salique et la loi ripuaire, dans leurs dispositions relatives à la procédure en entiercement. Loi salique, tit. 39 et 49. Loi ripuaire, tit. 35. Les mêmes idées se retrouvent dans les Établissements de SaintLouis (liv. I, chap. 91; liv. II, chap. 17), et dans le Miroir de Saxe (II, 36 et 60). Il résulte de ces documents que celui qui s'était volontairement dessaisi d'une chose mobilière, n'avait qu'une action personnelle en restitution contre la personne à laquelle il l'avait remise, sans pouvoir la revendiquer entre les mains du tiers possesseur. C'est aussi là ce qu'exprimaient, dans le Droit germanique, les adages: Hand muss Hand wahren. Wo man seinen Glauben gelassen hat, da muss man ihn wieder suchen. Voy. encore: Coutumes notoires, art. 23; et Décisions de Jean des Mares, art. 165. L'étude du Droit romain qui, même en matière mobilière, distingue si nettement la propriété et la possession, amena peu à peu dans l'esprit des jurisconsultes une sorte de réaction contre ces idées. De là, les dispositions d'un grand nombre de coutumes sur la prescription acquisitive des meubles, prescription qui suppose jusqu'à son accomplissement la possibilité de la revendication. Toutefois, dans ces coutumes mêmes, les anciens

elle-même, en faveur du possesseur d'une chose mobilière, une présomption de propriété, à l'aide de laquelle il peut repousser

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principes s'étaient partiellement maintenus, en ce que, d'une part, la complainte possessoire n'était point reçue en fait de meubles, et en ce que, d'autre part, les meubles n'avaient pas de suite par hypothèque Cet état du Droit est nettement résumé par Legrand (sur l'art. 72 de la coutume de Troyes, meubles n'ont pas de suite par hypothèque), qui s'exprime ainsi : « Notre article, con« formément aux articles des autres coutumes et à la maxime générale que nous << avons dit être quasi-observée par toute la France, ajoute ces mots par hypo«thèque, pour montrer qu'autre chose est du domaine et de la propriété du « meuble et que, si aucun ayant prêté ou mis en dépôt son meuble, le gardien «ou dépositaire venait à le vendre, le maître du meuble le peut revendiquer «< comme sien, en quelque main que passe ledit meuble, quoique possesseur de bonne foi, en sorte que les acquéreurs de bonne foi ne se peuvent défendre si «< ce n'est par le moyen de la prescription.» Voy. aussi Loisel, Institutes coutumières, liv. III, tit. VII, règl. 5; liv. V, tit. IV, règl. 15; Duplessis, Traité des prescriptions, liv. 1, chap. 1; Berroyer et de Laurrière, sur Duplessis, Traité des meubles, dans ses œuvres, I, p. 134. Plus tard, la pratique en revint aux errements des lois barbares et de nos anciennes coutumes, sans qu'il soit possible de préciser l'époque à laquelle s'opéra ce retour. Ce qu'il y a de certain, c'est que la jurisprudence du Châtelet, attestée par Bourjon (Droit commun de la France, liv. II, tit. I, chap. 6; liv. III, tit. XXII, chap. 5), avait, dans le dix-huitième siècle, consacré la maxime En fait de meubles possession vaut titre. Voy. aussi Pothier, sur la coutume d'Orléans, tit. XIV, Introd., no 4; Denisart, vo Prescription, no 40. Les raisons données par Bourjon pour justifier cette maxime, ont été presque littéralement reproduites dans le passage suivant de l'exposé de motifs de Bigot de Préameneu: «Dans le Droit français, on n'a point admis à l'égard des meubles une action possessoire distincte de celle de la propriété; on y a même regardé le seul fait de la possession comme un titre : « on n'en a pas ordinairement d'autre pour les choses mobilières. Il est d'ailleurs « le plus souvent impossible d'en constater l'identité, et de les suivre dans leur «< circulation de main en main. Il faut éviter des procédures qui seraient sans « nombre et qui, le plus souvent, excèderaient la valeur des objets de la contes⚫tation. Locré, Lég., XVI, p. 586, no 45.

Pour expliquer la disposition du 1er alinéa de l'art. 2279, plusieurs auteurs modernes (voy. Marcadé, sur les art. 2279 et 2280, no 1, et Demolombe, IX, no 622) ont imaginé de dire qu'en fait de meubles, la simple possession opère une prescription acquisitive instantanée. Mais cette formule implique contradiction dans les termes, puisque l'usucapion suppose nécessairement l'écoulement d'un certain laps de temps. L. 3, D. de usurp. et usucap. (41, 3). Code Napoléon, art. 2219 et 2229. D'un autre côté, s'il s'agissait véritablement dans l'art. 2279 d'une usucapion affranchie seulement de la condition de temps, mais exigeant toujours le juste titre et la bonne foi, le possesseur qui se prévaudrait de cette usucapion, serait obligé de produire son titre. Or cette obligation ne lui est pas imposée par l'art. 2279, qui se contente de la possession; elle serait d'ailleurs contraire au fondement et au but de la maxime En fait de meubles possession

toute action en revendication, et qui est, en général, absolue et irrefragable.

Il suit de là que l'action en revendication n'est point, en règle, recevable en fait de meubles.

Toutefois, et par exception à cette règle, celui qui a perdu une chose mobilière, ou auquel une pareille chose a été volée, est autorisé à la revendiquer entre les mains de tout tiers possesseur, même de bonne foi". Art. 2279, al. 2.

2o On doit considérer comme perdus, non-seulement les objets égarés par suite d'une négligence directement ou indirectement imputable à celui qui les possédait, mais encore, et à plus forte raison, ceux dont il a été privé par un événement de force majeure, par exemple par une inondation. Les choses égarées par

vaut titre. Cpr. note 2 supra. Que si, pour écarter cette objection, on disait que la loi présume en faveur du possesseur l'existence d'un juste titre, nous ne verrions plus dans la prétendue usucapion que nous repoussons, qu'une fiction destituée de toute utilité ou application pratique, puisqu'il est certain que le propriétaire d'un meuble peut toujours repousser l'application de la maxime précitée, en prouvant que le possesseur est soumis envers lui, par une cause quelconque, à une obligation personnelle de restitution. Cpr. texte no 4 infra.

Arg. art. 1352, cbn. 2279, al. 2. L'action en revendication n'étant exceptionnellement admise qu'aux cas de perte ou de vol, elle se trouve virtuellement déniée en principe, et par conséquent la présomption sur le fondement de laquelle la loi la repousse, est absolue. Delvincourt, II, part. II, p. 644. Duranton, XXI, 97. Troplong, II, 1052. Marcadé, sur les art. 2279 et 2280, no 3. Req. rej., 4 juillet 1816, Sir., 18, 1, 166. Bordeaux, 17 mai 1831, Sir., 31, 2, 287. Voy. en sens contraire: Vazeille, Des prescriptions, II, 674; Montpellier, 5 janvier 1827, Sir., 30, 2, 188. Cpr. aussi Bordeaux, 21 décembre 1832, Sir., 33, 2, 202; Civ. cass., 10 février 1840, Sir., 40, 1, 572; Nimes, 22 août 1842, Sir., 43, 2, 75. Ces derniers arrêts, qui déclarent dans leurs motifs que la présomption établie par l'art. 2279 n'est qu'une présomption juris tantum, susceptible d'être combattue par la preuve contraire, ont été rendus dans des espèces où il s'agissait, non d'actions en revendication, mais bien d'actions personnelles en restitution, ou de pétitions d'hérédité, c'est-à-dire d'actions auxquelles cet article n'est point applicable, et ont ainsi confondu deux questions complétement distinctes, celle de savoir si la présomption dont s'agit est absolue, et celle de savoir quelles sont les actions contre lesquelles on peut s'en prévaloir.

'La bonne foi du possesseur n'est à prendre en considération que lorsqu'il a acheté la chose volée ou perdue dans les circonstances indiquées par l'art. 2280; dans ce cas là même, elle ne l'autorise qu'à demander la restitution du prix qu'il a payé, et ne produit pas en sa faveur une exception à l'aide de laquelle il puisse repousser la revendication.

*Cpr. Toullier, XI, 323. C'est évidemment à tort que M. Renaud (Revue de legislation, 1845, I, p. 374) émet une opinion contraire.

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suite d'expédition à une fausse adresses ont à ranger dans la catégorie des choses perdues, soit que l'erreur provienne du fait d'un commissionnaire de transports, ou de celui de l'expéditeur luimême 7.

L'exception relative au cas de vol doit être restreinte au vol proprement dit, c'est-à-dire à la soustraction frauduleuse de la chose d'autrui. Code pénal, art. 379. Elle ne saurait être étendue aux délits qui, quoique ayant pour résultat, comme le vol, de dépouiller illégalement le possesseur de sa chose, ne présentent cependant pas les caractères du vol, tels que les définit la loi pénale 8.

Ainsi, celui qui aurait été privé d'une chose mobilière par un abus de confiance, par une violation de dépôt, ou même par suite d'une escroquerie, ne jouirait pas de l'action en revendication contre le tiers possesseur de cette chose9.

Cpr. Req. rej., 10 février 1820, Sir., 20, 1, 178.

* En restreignant la recevabilité de la revendication aux seuls cas de perte ou de vol, les rédacteurs du Code sont évidemment partis de cette idée, déjà consacrée par notre très ancien Droit, que, si la revendication peut être exceptionnellement admise lorsque la dessaisine a été involontaire, c'est-à-dire, comme l'énoncent les établissements de Saint-Louis, lorsque le possesseur n'a rien fait pour perdre la saisine, elle doit, au contraire, être refusée quand la dessaisine a été volontaire, auquel cas il ne reste au possesseur privé de sa chose qu'une action personnelle contre celui à qui il l'a remise. Wo man seinen Glauben gelassen hat, da muss man ihn wieder suchen. C'est où on a laissé sa foi, qu'il faut aller la chercher.

La proposition énoncée au texte est généralement acceptée en ce qui concerne la violation de dépôt et l'abus de confiance. Merlin, Rép., vo Revendication, § 1, no 6; et Quest. eod. vo, § 1. Vazeille, Des prescriptions, II, 673. Duranton, XV, 286. Troplong, De la prescription, II, 1070. Paris, 5 avril 1813, Sir., 14, 2, 306. Bordeaux, 14 juillet 1832, Sir., 33, 2, 18. Caen, 9 mars 1846, Sir., 47, 2, 399. Paris, 7 mars 1851, Sir., 52, 2, 38. Paris, 29 mars 1856, Sir, 56, 2, 408. Civ. rej., 22 juin 1858, Sir., 58, 1, 591. Voy. cep. en sens contraire Toullier, XIV, 118 et 119; Lyon, 15 décembre 1830, Sir., 32, 2, 348. Mais cette proposition est fortement controversée quant à l'escroquerie. Voy. dans le sens de l'opinion émise au texte : Marcadé, sur les art. 2279 et 2280, no 5; Civ. cass., 20 mai 1835, Sir., 35, 1, 321; Paris, 21 novembre 1835, Sir., 36, 2, 18; Rouen, 10 mars 1836, Sir, 36, 2, 193. Voy. en sens contraire Troplong, op. cit., II, 1069; Paris, 13 janvier 1834, Sir., 34, 2, 91; Dijon, 28 novembre 1856, Sir., 57, 2, 223; Bordeaux, 3 janvier 1859, Sir., 59, 2, 452. Les motifs développés à la note 8 supra nous paraissent suffisamment justifier, même pour le cas d'escroquerie, la solution que nous avons adoptée. Que l'ancien propriétaire n'ait livré sa chose que par suite de manoeuvres dolosives exercées à son égard, il ne s'en est pas moins volontairement dessaisi, il n'en a pas moins suivi la foi de celui auquel il

Mais la revendication pour cause de vol doit être admise alors même qu'à raison, soit de l'âge, soit de la qualité de l'auteur de la soustraction frauduleuse, ce fait n'est pas punissable 10.

Dans les deux cas où, par exception, la revendication est recevable en matière mobilière, le demandeur justifie suffisamment sa demande, en prouvant que l'objet revendiqué se trouvait entre ses mains au moment de la perte ou du vol"; et cette preuve peut se faire par témoins, ou au moyen de présomptions graves, précises et concordantes 11.

La personne qui revendique, même contre un tiers possesseur de bonne foi, un objet mobilier volé ou perdu, n'est point, en général, tenue de rembourser à ce possesseur le prix qu'il en a payé.

Il en est cependant autrement, lorsque cet objet a été acheté de bonne foi, soit dans une foire ou dans un marché 13, soit dans une vente publique, soit d'un marchand vendant des choses pareilles. Art. 2280. Dans ces hypothèses, le revendiquant est obligé de rembourser au possesseur actuel le prix qu'il a payé. Mais il est, à son tour, autorisé à le répéter, tant contre celui par le fait duquel il a été illégalement privé de sa chose, que contre celui qui

l'a remise; et dès lors il ne peut pas plus la revendiquer, que ne pourrait le faire celui qui aurait été victime d'un abus de confiance ou d'une violation de dépôt. 1o Cpr. Code pénal, art. 66 et 380. Voy. en sens contraire: Renaud, op. cit., p. 374, note b. L'opinion de cet auteur nous semble repoussée par cette considération bien simple, que le dessaisissement est toujours involontaire, bien qu'à raison, soit de son âge, soit de sa parenté ou de son affinité avec la victime de la soustraction frauduleuse, l'auteur du vol ne soit pas punissable. Ce qui prouve, d'ailleurs, qu'une soustraction commise dans de pareilles circonstances constitue toujours un vol, c'est que les complices et les recéleurs sont punis des peines du vol.

"Cette proposition est une conséquence directe et forcée de la maxime En fait de meubles possession vaut titre on ne pourrait exiger du revendiquant une autre preuve que celle de sa possession au moment de la perte ou du vol, sans se mettre en opposition avec cette maxime. C'est aussi ce qu'indique nettement le texte même de l'art. 2279, qui accorde l'action en revendication à celui qui a perdu, ou auquel a été volé une chose. Destrais, Dissertation, p. 52, $6. Renaud, op. cit., p. 375.

Paris, 18 août 1851, Sir., 51, 2, 475. Cpr. aussi : Paris, 3 janvier 1846, Sir., 47,2, 77.

1 Les bourses de commerce doivent être considérées comme des marchés publics, quant aux effets au porteur qu'on est dans l'usage d'y négocier. Paris, 9 décembre 1839, Sir., 40, 2, 113.

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