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a. Les inscriptions prises sur les immeubles d'un commerçant failli, même pour des hypothèques valablement acquises, restent sans effet au regard des créanciers de la masse, si elles ne l'ont été au plus tard la veille du jour auquel a été rendu le jugement déclaratif de faillite 17.

Il y a plus, les inscriptions prises, même avant le jugement déclaratif de faillite, mais depuis l'époque fixée par le tribunal de commerce comme étant celle de la cessation de paiements, ou dans les dix jours qui ont précédé cette époque, peuvent être déclarées nulles, s'il s'est écoulé plus de quinze jours entre la date de l'acte constitutif d'hypothèque et celle de l'inscription 18. Code de commerce, art. 44819. En faisant usage du pouvoir d'appréciation qui leur est accordé dans cette dernière hypothèse, les tribunaux doivent principalement prendre en considération la durée de l'intervalle qui s'est écoulé entre la constitution de l'hypothèque et son inscription; ils pourraient, malgré la bonne foi du créancier, annuler l'inscription, s'ils reconnaissaient que le retard qu'il a mis à s'inscrire a été de nature à induire les tiers en erreur sur la situation du débiteur 20.

L'inefficacité des inscriptions prises depuis le jour du jugement déclaratif de la faillite, est purement relative, et ne peut être opposée que par les créanciers de la masse. Il en résulte que le failli, après avoir obtenu un concordat, auquel n'aurait pas concouru le créancier hypothécaire tardivement inscrit, est non recevable à

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1 L'inscription serait tardive, si elle n'avait été prise que le jour même de la déclaration de faillite. C'est ce qui résulte nettement des termes du premier alinéa de l'art. 448 du Code de commerce, jusqu'au jour du jugement déclaratif de la faillite, rapprochés du premier alinéa de l'art. 443 du même Code. Amiens, 26 décembre 1855, Sir., 56, 2, 563.

18 Ce délai est susceptible d'augmentation pour distance. Voy. Code de commerce, art. 448, al. 3.

** Le premier alinéa de l'art. 2146 du Code Napoléon a été modifié par le second alinéa de l'art. 448 du Code de commerce révisé. D'après le premier de ces articles, les inscriptions prises dans les dix jours avant l'ouverture de la faillite étaient, par cela même, nulles de plein droit, tandis que, d'après le second, l'annulation n'en peut être demandée qu'autant qu'il s'est écoulé plus de quinze jours entre la constitution de l'hypothèque et l'inscription, et que, dans ce cas-là même, le juge n'est pas obligé de les annuler.

20 Pont, no 883. Demangeat, sur Bravard, Traité de Droit commercial, V, p. 286, à la note. Bourges, 9 août 1848, Sir., 48, 2, 597. Req. rej., 17 avril 1849, Sir., 49, 1, 638. Colmar, 15 janvier 1862, Sir., 62, 2, 122. Req. rej., 2 mars 1863, Sir., 63, 1, 425. Cpr. cep. Rouen, 8 mai 1851, Sir., 52, 2, 185.

demander la radiation de son inscription, en offrant de lui payer le dividende fixé par le concordat 21.

L'art. 448 du Code de commerce ne s'applique pas aux inscrip tions ayant pour objet des intérêts d'une créance hypothécaire valablement inscrite avant le jugement déclaratif de faillite". D'un autre côté, la faillite ne forme aucun obstacle, ni aux inscriptions à requérir sur des immeubles dont le failli est tiers détenteur", ni à celles à prendre, pour des dettes personnelles au failli, sur des immeubles qui ont passé dans les mains de tiers acquéreurs *.

Les dispositions exceptionnelles des art. 2446 du Code Napoléon et 448 du Code de commerce sont spéciales à la faillite, et ne sauraient être étendues à la déconfiture d'un débiteur non commerçant 25. Elles ne s'appliquent pas davantage au cas de cession de biens, volontaire ou judiciaire, en ce qui concerne du moins les créanciers qui n'ont point concouru au contrat d'abandonnement, ou qui n'ont point figuré au jugement par lequel la cession a été admise 26. Quant aux créanciers qui ont été parties dans ce contrat ou dans ce jugement, la question de savoir s'ils peuvent encore, par des inscriptions prises ultérieurement, s'assurer, au détriment des autres créanciers, un droit de préférence sur les biens cédés,

"C'est ce qui résulte, à notre avis, sinon du texte, du moins de l'esprit de l'art. 448, qui n'a eu pour but que de protéger les intérêts des créanciers de la masse. Voy. en ce sens : Req. rej., 10 février 1863, Sir., 63, 1, 262.

22 Voy. sur ce point: § 285, texte n° 3 et note 23.

23 Dans cette hypothèse, celui qui requiert l'inscription n'est point un créancier du failli, voulant s'assurer un droit de préférence au préjudice de la masse, mais un créancier du vendeur d'immeubles acquis par le failli, qui entend rendre efficace son droit de suite à l'égard de ce dernier. Persil, sur l'art. 2146, no 13. Grenier, II, 364. Troplong, III, 655 ter. Pont, no 907.

Cette hypothèse présente moins de difficulté encore que la précédente, puisque l'immeuble ayant cessé d'appartenir au failli, les intérêts des créanciers de la masse ne sont nullement en jeu. Persil, sur l'art. 2146, no 11. Troplong, loc. cit. Pont, no 908.

25 Merlin, Rép., vo Inscription hypothécaire, § 13. Persil, sur l'art. 2146, no 11. Fournier-Verneuil, Dissertation, Sir., 11, 2, 273. Grenier, I, 123. Troplong, III, 661. Pont, no 876. Req. rej., 11 février 1812, Sir., 13, 1, 124. Paris, 18 août 1812, Sir., 13, 2, 14. Rennes, 24 mars 1812, Sir., 14, 2, 61. Paris, 9 juin 1814, Sir., 15, 2, 237. Voy. en sens contraire : Bruxelles, 17 février 1810, Sir., 10, 2, 235.

26 Persil, sur l'art. 2146, no 10. Troplong, III, 662. Martou, III, 4047. Pont, no 877. Voy. en sens contraire: Tarrible, Rép., vo Inscription hypothécaire, § 4, no 6; Grenier, I, 124; Dalloz, Jur. gén., vo Priviléges et hypothèques, no 1429. Cpr. § 266, texte no 1, lett. 6, notes 34 et 35.

est une question d'application ou d'interprétation de la convention ou du jugement qui a admis la cession 27.

b. Les inscriptions prises sur les immeubles d'une succession, en vertu d'hypothèques procédant du chef du défunt 28, sont sans effet au regard des créanciers héréditaires, lorsque la succession n'a été acceptée que sous bénéfice d'inventaire. Art. 2146, al. 229. Il en est ainsi dans le cas où, à raison de la condition personnelle des héritiers, la succession n'a pu être acceptée que sous bénéfice d'inventaire, comme dans celui où elle eût pu l'être purement et simplement 30. Il importe également peu que les inscriptions soient antérieures ou postérieures à l'acceptation bénéficiaire "1.

Mais le second alinéa de l'art. 2146 ne saurait être étendu au cas où la succession a été acceptée purement et simplement 32, et

"La question posée au texte devrait être résolue négativement, si la convention, par laquelle la cession a été admise, portait que le prix des biens cédés serait distribué entre les créanciers dans l'ordre des inscriptions alors existantes, En l'absence d'une clause aussi formelle, il appartiendrait aux tribunaux de décider la question par interprétation de l'intention commune des parties.

28 Le second alinéa de l'art. 2146 n'a eu spécialement en vue que le cas où une hypothèq ue existant du chef du défunt n'aurait pas été inscrite de son vivant. Quant à la question de savoir si un créancier simplement chirographaire du défunt, on un créancier personnel de l'héritier, peut acquérir, sur les immeubles de la succession, une hypothèque susceptible de lui conférer un droit de préférence vis-à-vis des créanciers héréditaires, elle se résout pour la négative ou pour l'affirmative, suivant qu'il y a ou qu'il n'y a pas séparation de patrimoines. Cpr. § 619.

Cette dis position a fait l'objet de vives critiques, comme reposant sur une fausse assimilation de la succession bénéficiaire à la faillite. Si elle s'explique, jusqu'à un certain point, par la considération que, dans le cas où la succession est acceptée sous bénéfice d'inventaire, le défunt n'a pas de représentant passif, et que son patrimoine forme le seul gage de ses créanciers, il est difficile cependant de ne pas reconnaître que le législateur a exagéré les conséquences de cette situation, en frappant d'inefficacité des inscriptions prises en vertu d'hypothèques valablement établies du vivant du défunt.

30 Persil, sur l'art. 2146, no 13. Duranton, XX, 82. Troplong, III, 659. Pont, no 917. Toulouse, 2 mars 1826, et Bordeaux, 24 juin 1826, Sir., 26, 2, 216 et 306. Voy. en sens contraire: Grenier, I, 122.

"Merlin, Quest., vo Succession vacante, § 1er. Grenier, I, 120. Troplong, III, 658 ter. Pont, no 918.

32 Arg., a contrario, art. 2146, al. 2. En vain opposerait-on l'ancienne maxime, que la mort fixe l'état des biens et des dettes d'un homme. Cette maxime, en effet, comme l'explique fort bien Lebrun (Des successions, liv. IV, chap. II, section 1re, no 12) ne veut dire autre chose, si ce n'est que les créanciers simplement chirographaires du défunt ne peuvent jamais devenir créanciers

ce, quand même les créanciers héréditaires auraient fait prononcer la séparation des patrimoines 33. Il y a mieux les inscriptions prises sur les immeubles dépendant d'une succession bénéficiaire deviennent efficaces, lorsque l'héritier est déclaré héritier pur simple, par suite soit de l'annulation de son acceptation sous bénéfice d'inventaire, soit de la déchéance de ce bénéfice qu'il aurait ultérieurement encourue".

Lorsque la succession a été acceptée purement et simplement par quelques-uns des héritiers, et sous bénéfice d'inventaire par les autres, le sort des inscriptions prises sur les immeubles héré ditaires reste en suspens pendant la durée de l'indivision, de telle sorte que, si ces immeubles sont vendus en commun par les héritiers, ou sur les poursuites des créanciers, elles demeureront destituées de toute efficacité au regard de ces derniers, et que si, au contraire, ces immeubles sont partagés en nature, elles produiront leur effet quant à ceux qui tomberont aux lots des héri tiers purs et simples 3.

hypothécaires de sa succession, mais seulement de son héritier. On ne saurait donc en conclure, sous l'empire de notre Droit nouveau, que la mort du débiteur arrête par elle-même le cours des inscriptions des hypothèques qu'il avait consenties. Le contraire résulte d'ailleurs de l'art. 2149, qui admet la possibilité d'inscriptions à prendre sur une personne décédée. Grenier, I, 128. Troplong, III, 660.

33 La séparation de patrimoines empêche bien qu'un créancier, simplemen! chirographaire du défunt, puisse, au moyen d'une convention faite avec l'héritier, ou d'une condamnation obtenue contre lui, acquérir sur les immeubles de la succession une hypothèque opposable aux autres créanciers héréditaires; mais c'est à cela que doit se borner son effet, d'après le but tout restreint pour lequel elle a été introduite. Elle ne saurait donc former obstacle à l'efficacité des inscriptions prises pour sûreté des hypothèques consenties par le défunt. Si l'acceptation sous bénéfice d'inventaire emporte virtuellement séparation des patrimoines, ce n'est pas un motif pour en conclure que cette séparation doive, comme l'acceptation bénéficiaire, arrêter le cours des inscriptions. Dalloz, Jur. gen., vo Priviléges et hypothèques, no 1432.

Pont, no 920. Dalloz, Jur. gén., vo Priviléges et hypothèques, no 1432. Caen, 16 juillet 1834, Sir., 35, 2, 559.

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D'après l'opinion commune, il suffirait que la succession eût été acceptée sous bénéfice d'inventaire par un seul des héritiers, pour entraîner l'application de l'art. 2146, même aux parts héréditaires afférentes à ceux des héritiers qui l'ont acceptée purement et simplement. Voy. en ce sens : Delvincourt, III, p. 355; Pont, no 919; Dalloz, op. et vo citt., no 1443. Mais cette opinion nous parali aller trop loin. A notre avis, il faut admettre ici une distinction analogue à celle que nous avons établie à la note 81 du § 619, sur le point de savoir dans quelles limites l'acceptation sous bénéfice d'inventaire par l'un des héritiers opère sépa

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La disposition de l'art. 2146, relative au cas d'acceptation bénéficiaire, est, comme celle qui concerne le cas de faillite, étrangère aux inscriptions ayant simplement pour objet la conservation des intérêts d'une créance hypothécaire régulièrement inscrite dès avant l'ouverture de la succession 36.

D'un autre côté, l'acceptation bénéficiaire ne forme, pas plus que la faillite, obstacle aux inscriptions à prendre sur les immeubles dont le défunt était tiers détenteur, ni à celles à requérir, pour des dettes à lui personnelles, sur des immeubles qu'il avait aliénés 37.

Du reste, la disposition du second alinéa de l'art. 2146 s'applique, par identité absolue de raison, aux inscriptions prises sur les immeubles d'une succession vacante 38. Mais il est bien entendu que ces inscriptions deviendraient efficaces, si la vacance venait à cesser, et que la succession fût acceptée purement et simplement.

§ 273.

De la spécialité de l'inscription, en ce qui concerne les immeubles grevés.

Conformément au principe de la spécialité des hypothèques, ration de patrimoines, lorsque les autres ont accepté la succession purement et simplement, distinction qui a été formellement consacrée par un arrêt récent de la Cour de cassation. Civ. cass., 25 août 1858, Sir., 59, 1, 65. Cpr. Duranton, XX, 84; Rouen, 1er mars 1817, Sir., 17, 2, 173; Req. rej., 19 août 1818, Sir., 19, 1, 131. Ces deux derniers arrêts ne sont nullement contraires à notre manière de voir. Dans l'espèce sur laquelle ils ont été rendus l'un et l'autre, les immeubles héréditaires n'avaient pas été partagés en nature, mais vendus en commun, de sorte que l'on se trouvait précisément dans l'hypothèse où, d'après notre manière de voir, l'inscription devait demeurer sans effet.

3 Paris, 14 novembre 1828, Sir., 29, 2, 14.

31 Pont, no 928. Cpr. texte, notes 23 et 24 supra.

38 Tarrible, Rép., vo Inscription hypothécaire, § 4, no 5. Merlin, Quest., vo Succession vacante, § 1er. Persil, sur l'art. 2146, no 14. Grenier, I, 120. Battur, III, 413. Troplong, III, 659 ter. Duranton, XX, 83. Pont, no 916. Flandin, De la transcription, II, 1183. Voy. en sens contraire: Mourlon, De la transcription, II, 660; Grenoble, 28 janvier 1818, Dev. et Car., Coll. nouv., V, 2, 347. Si nous admettons l'application du second alinéa de l'art. 2146, au cas de succession vacante, après en avoir rejeté l'extension au cas de cession de biens, c'est par la raison qu'il n'y a pas identité entre les deux situations, puisque le débiteur qui a fait cession de biens n'en reste pas moins personnellement obligé envers ses créanciers, qui ne sont pas réduits à se contenter du gage que leur présentent les biens cédés.

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