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3o Lorsqu'une servitude a été établie par destination du père de famille, son étendue et ses effets se déterminent d'après l'intention présumable du propriétaire qui a mis les choses dans l'état d'où résulte la servitude. Cette intention doit être appréciée eu égard à l'ensemble des circonstances dans lesquelles a été créée la charge qui, plus tard, s'est trouvée transformée en servitude 26.

C. Si l'héritage dominant vient à passer d'un propriétaire unique à plusieurs propriétaires, chacun de ces derniers est en droit d'exercer la servitude, à charge d'en user de manière à ne point aggraver la condition du fonds servant. Arg. art. 700.

Cette règle s'applique non-seulement au cas où l'héritage dominant est possédé en commun par les divers copropriétaires, mais encore à celui où il se trouve divisé entre eux par suite de partage ou d'aliénation partielle 27.

D'un autre côté, il n'y a pas lieu de distinguer entre les servitudes qui, tel qu'un droit de prise d'eau pour l'irrigation, profitent directement à l'héritage dominant, et celles qui ne lui profitent qu'indirectement par les avantages qu'elles procurent aux personnes qui occupent cet héritage.

Ainsi, une servitude de passage constituée au profit d'un fonds qui appartenait originairement à une seule personne, peut être exercée par tous les copropriétaires actuels de ce fonds, ou par les propriétaires exclusifs des différents lots qui le composent. Seulement, doivent-ils tous pratiquer le passage par le même endroit. Art. 700.

Ainsi encore, les copropriétaires d'une maison, ou les propriétaires exclusifs de ses différents étages, sont tous autorisés à exercer la servitude de puisage établie au profit de cette maison, sans pouvoir être réduits à ne prendre que la quantité d'eau dont se servait le propriétaire originaire 28.

D. L'action qui compète au propriétaire de l'héritage dominant pour faire reconnaître l'existence de la servitude, et faire lever les

* Demante, Cours, II, 553. Demolombe, XII, 868. Civ. rej. 26 juillet 1831, Sir., 31, 1, 346.

7 L. 23, § 3, D. de serv. præd. rust. (8, 3). Demolombe, XII, 858 et 859. Aix, 18 novembre 1854, Sir., 55, 2,

33.

*A moins que le contraire ne résulte du titre constitutif, une servitude de puisage doit, en effet, être considérée comme ayant été établie pour l'usage de la maison, eu égard aux besoins de tous ceux qui viendraient à l'habiter, et non pas seulement pour les besoins personnels du propriétaire originaire. Demolombe, Xll, 860. Voy. en sens contraire: Pardessus, I, 63.

obstacles qui s'opposent à son exercice, se nomme action confessoire. On y applique par analogie les règles relatives à la revendi cation 29.

Le propriétaire de l'héritage dominant peut aussi actionner au possessoire ceux qui le troublent dans l'exercice de son droit, lorsque la servitude est tout à la fois continue et apparente, on lorsque la servitude étant, soit discontinue, soit non apparente, il produit, à l'appui de sa quasi-possession, un titre émané du propriétaire de l'héritage servant ou de ses auteurs 3o.

§ 254.

Des obligations et des droits du propriétaire de l'héritage servant.

1o Le propriétaire de l'héritage servant doit, si la servitude est négative, s'abstenir des actes de disposition ou de jouissance qu'elle a pour objet d'empêcher; et, si elle est affirmative, il est tenu de souffrir, de la part du propriétaire de l'héritage dominant, tout ce qu'elle autorise ce dernier à faire.

Il lui est en outre interdit, dans l'un ou l'autre cas, de rien entreprendre qui soit de nature à diminuer les avantages de la servitude, ou à en rendre l'exercice moins commode. Art. 701, al. 1 et 2. C'est ainsi que le propriétaire d'un fonds grevé d'une servitude de passage, ne peut mettre en culture la bande de terrain sur lequel le passage s'effectue1, et que le propriétaire d'une cour grevée d'une servitude de vue, ne peut faire couvrir cette cour d'un toit en vitrage, établi au-dessus des croisées par lesquelles s'exerce la vue.

Le propriétaire de l'héritage servant, qui a fait exécuter des travaux contraires à l'exercice de la servitude, est tenu de rétablir, à ses frais, les choses dans leur ancien état, et peut même, le cas échéant, être condamné à des dommages-intérêts. Que si l'héritage servant avait passé dans les mains d'un successeur particulier, celui-ci serait bien obligé de souffrir le rétablissement de l'ancien état de choses; mais il ne pourrait être condamné à le

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Cpr. L. 2, D. si serv. vind. (8, 5). Pardessus, II, 330 et suiv.

Cpr. § 182, texte no 2; § 185, texte no 3, notes 26 à 30.

'Metz, 19 janvier 1858, Sir., 58, 2, 460.

* Civ. cass., 15 janvier 1840, Sir., 40, 1, 251. Voy. aussi Civ. cass., 18 mai 1835, Sir., 35, 1, 712. Cpr. cep. Req. rej., 8 juillet 1857, Sir., 58, 1, 672.

faire opérer à ses frais et ne serait passible d'aucuns dommagesintérêts, sauf au propriétaire de l'héritage dominant à récupérer ces frais et dommages-intérêts contre l'auteur des travaux qui forment obstacle à l'exercice de la servitude.

2o Sous la réserve de l'obligation de tolérer ou de s'abstenir qui découle de la servitude, le propriétaire de l'héritage servant conserve l'exercice de toutes les facultés inhérentes à la propriété. Il suit de là que le propriétaire d'un fonds grevé d'une servitude de passage conserve la faculté de se clore, de manière cependant à ne pas gêner l'exercice de la servitude, ainsi que celle d'élever des constructions au-dessus du sol affecté au passage, à la condi

L. 6, §§ 5 et 7; LL. 12 et 13. D. de aqu. et aqu. pluv. arc. (39, 3). La solution contraire est cependant défendue par M. Demolombe (XII, 895), qui se fonde, en premier lieu, sur ce que l'obligation de ne rien faire de contraire au droit de servitude, est réelle comme le droit dont elle découle, et se transmet ainsi, avec toutes ses conséquences, aux successeurs même particuliers. Cette argumentation ne repose, à notre avis, que sur une confusion. L'obligation de ne rien faire de contraire à la servitude est réelle sans doute, en ce sens que le successeur particulier ne doit pas y contrevenir, et qu'il est même tenu de souffrir la destruction des obstacles que son auteur à apportés à l'exercice de la servitude; mais il en est autrement de l'obligation de réparer le dommage causé par le fait illicite de ce dernier. L'accomplissement de cette obligation, toute personnelle, ne peut être poursuivi que contre celui qui a occasionné le dommage: il serait aussi contraire aux principes généraux du Droit, qu'à la maxime Servitus nunquam in faciendo consistit, de rendre le successeur particulier responsable d'un fait qu'il n'a pas commis, et de le soumettre à l'obligation positive d'en faire disparaître les résultats. En vain, également, notre savant collègue invoque-t-il la disposition de l'art. 698. Si, par exception à la maxime précitée, l'obligation conventionnellement imposée au propriétaire du fonds servant, de faire les travaux nécessaires à l'exercice de la servitude, passe au successeur particulier, ce n'est point un motif pour attacher le même effet à l'obligation de réparer les conséquences d'un fait délictueux. Ce qui le prouve d'une manière péremptoire, c'est que, d'après M. Demolombe lui-même, l'exécution de cette dernière obligation peut être poursuivie contre l'auteur des travaux faisant obstacle à l'exercice de la servitude, même après qu'il a cessé d'être propriétaire de l'héritage servant, tandis qu'il n'en est plus ainsi dans l'hypothèse prévue par l'art. 698. Quant à l'arrêt de la Cour de cassation (Req. rej., 16 avril 1838, Sir., 38, 1, 756), cité en faveur de l'opinion que nous combattons, il a été rendu dans une espèce particulière, et s'explique par la circonstance que le propriétaire de l'héritage dominant, placé dans l'impossibilité de rétablir l'ancien état de choses, se trouvait réduit à réclamer une indemnité, qui a pu être adjugée contre le nouveau propriétaire de l'héritage servant, parce qu'il profitait d'un changement ayant entraîné de fait la cessation de la servitude.

Voy. les autorités citées au § 191, texte et note 17.

tion de lui laisser la hauteur, la largeur, la lumière et l'air nécessaires à son exercice".

Il y a mieux, le propriétaire du fonds assujetti ne perd pas, à moins de convention contraire, le droit de faire servir ce fonds aux mêmes usages qu'à ceux qui forment l'objet de la servitude. C'est ainsi que celui dont le fonds est grevé d'une servitude de passage ou de pacage, conserve en général la faculté d'y passer lui-même ou d'y faire paître ses bestiaux, et que celui dont le puits est sou mis à une servitude de puisage, conserve la faculté d'y puiser l'eau qui lui est nécessaire. Seulement, le propriétaire de l'héritage servant doit-il, en pareil cas, contribuer dans la proportion de sa jouissance aux frais des réparations que nécessiterait cette communauté d'usage'7.

D'un autre côté, le propriétaire de l'héritage servant est autorisé à faire sur son fonds tous les travaux qui, sans aucunement gêner l'exercice de la servitude et sans en amoindrir l'utilité, auraient simplement pour résultat de la lui rendre moins onéreuse*.

Il peut, dans le même but, provoquer le règlement de la servitude, lorsque la manière dont elle est exercée lui enlève la faculté de tirer parti de son héritage, et qu'il est possible d'y substituer un mode moins préjudiciable à ses intérêts, sans priver le propriétaire de l'héritage dominant des avantages auxquels il a droit. C'est ce qui pourrait se présenter par exemple à l'occasion d'une servitude ayant pour objet l'extraction de sable ou de terre argileuse.

Il semble même qu'on doive reconnaître au propriétaire de l'héritage servant, la faculté d'y faire des constructions ou ou vrages qui, tout en changeant le mode d'exercice de la servitude, n'en diminueraient pas l'utilité et ne causeraient aucun préjudice au propriétaire de l'héritage dominant 10.

* Rouen, 22 mai 1837, Sir., 56, 2, 666, à la note. Aix, 19 janvier 1855, Sir., 56, 2, 666.

Demolombe, XII, 887. Cpr. Req. rej., 30 décembre 1839, Sir., 40, 1, 513. 7 Pardessus, I, 66. Solon, no 576. Daviel, Des cours d'eau, II, 908. Demolombe, XII, 888. Cpr. Caen, 23 janvier 1849, Sir., 49, 2, 718.

8 Demolombe, XII, 893.

Cette proposition n'est pas plus contestable que la précédente; elle est une conséquence du principe que toute servitude doit être exercée civiliter.

1o Arg. art. 701, al. 3. Demolombe, XII, 901. Montpellier, 23 juillet 1846, Sir., 47, 2, 405. Cpr. cep. Req. rej., 19 mai 1824, Sir., 35, 2, 461, à la

note.

Enfin, la loi donne au propriétaire de l'héritage servant la faculté de demander le déplacement à ses frais de l'assiette de la servitude, lorsque l'assignation primitive lui est devenue plus onéreuse, ou l'empêche d'améliorer son héritage, à la condition d'offrir au propriétaire de l'héritage dominant un endroit aussi commode pour l'exercice de la servitude. Art. 701, al. 3. Cette faculté est imprescriptible; elle peut être invoquée par celui-là même qui y a renoncé, alors du moins que le propriétaire de l'héritage dominant n'a aucun intérêt appréciable à s'opposer à son exercice 11.

Le doute qui pourrait s'élever sur l'étendue des restrictions apportées par la servitude à la liberté de l'héritage servant, doit se résoudre en faveur de cette liberté. C'est ainsi que la renonciation au droit d'élever des constructions sur un terrain, n'emporte pas en général renonciation au droit de se clore 12.

§ 255.

Des différentes manières dont les servitudes s'éteignent.

A. Toute servitude cesse, lorsqu'elle n'a plus aucun objet d'utilité pour l'héritage dominant1, ou que l'exercice en devient matériellement et absolument impossible à raison de changements survenus, soit à l'héritage dominant, soit à l'héritage servant. Art. 703.

Il est indifférent que ces changements proviennent d'un événement de la nature, ou d'un fait licite de la part d'un tiers. Ainsi,

"La loi, en donnant au propriétaire de l'héritage servant la faculté de demander le déplacement de la servitude, l'a fait bien moins dans un intérêt purement privé, que dans l'intérêt général de la propriété. On doit, d'ailleurs, supposer que la renonciation à cette faculté a été demandée et consentie en vue de l'éventualité d'un intérêt quelconque pour l'héritage dominant. Demolombe, XII, 905. Pau, 9 février 1835, Sir., 35, 2, 460.

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Req. rej., 9 août 1853, Sir., 54, 1, 253. Metz, 9 mars 1859, Sir., 60, 2, 410.

'Un changement qui n'enlèverait pas à la servitude toute espèce d'utilité, serait insuffisant pour la faire cesser. Ainsi, la servitude allius non tollendi vel non ædificandi ne cesse pas par cela seul qu'une voie publique, nouvellement établie, vient séparer le fonds dominant et le fonds servant. Demolombe, XII, 967. Paris, 11 novembre 1833, Sir., 37, 1, 980. Civ. cass., 7 mai 1851, Sir., 51, 1, 409. Dijon, 9 janvier 1852, Sir., 52, 2, 127. -— Cpr. aussi Dijon, 24 août 1843, Sir., 43, 2, 496; Req. rej., 27 février 1844, Sir., 44, 1, 658; Req. rej., 9 décembre 1857, Sir., 59, 2, 843.

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