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dominant 10, qu'ils aient été faits par le propriétaire de ce dernier héritage ou par un tiers ", et que celui-ci ait eu ou non l'intention d'agir dans l'intérêt de l'héritage dominant 12.

La quasi-possession doit, pour conduire à l'usucapion d'une servitude continue et apparente, réunir les caractères exigés par l'art. 2229 13.

Il faut notamment qu'elle ait été exercée à titre de droit, et non pas seulement par tolérance ou familiarité. Les tribunaux appelés à apprécier, sous ce rapport, le caractère de la possession, doivent tenir compte de l'ensemble des circonstances de la cause, en s'attachant surtout au point de savoir si l'état de choses présenté comme constitutif de servitude était de nature à causer une incommodité réelle au propriétaire de l'héritage prétendûment assujetti, et si ce dernier avait un intérêt sérieux à s'y opposer. La solution négative de ce point de fait devrait, en général et sauf contradiction formelle ", faire considérer la possession comme n'ayant été exercée qu'à la faveur d'une simple tolérance, et par suite comme inefficace pour fonder l'usucapion. C'est ainsi, par exemple, que l'existence d'ouvertures pratiquées dans un bâtiment ne peut conduire à l'acquisition par prescription d'une servitude de vue, lorsque ces ouvertures ne donnent que sur le toit de la maison voisine 15.

La précarité dont se trouve entaché l'exercice d'une servitude continue et apparente, peut être constatée par un acte de reconnaissance émané du propriétaire de l'héritage dominant. Un pareil acte empêche toute prescription 18, tant de la part de ce dernier

10 Toullier III, 635. Pardessus, II, 280. Demolombe, XII, 777. Cpr. Req. rej, 2 avril 1854, Sir., 55, 1, 117.

"Pardessus, II, 277. Duranton, V, 591. Demolombe, XII, 778.

12 Demolombe, XII, 779.

13 Pardessus, II, 276. Solon, no 396. Demolombe, XII, 774. Nous nous bornerons, pour le développement complet de cette proposition, à renvoyer à la théorie de la possession et à celle de l'acquisition de la propriété par la prescription. Voy. §§ 179 à 181; 214, 215 et 217.

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15 Cpr. § 196, texte, lett. b, et note 31. Req. rej., 24 décembre 1838, Sir., 39, 1, 56. Civ. rej., 2 février 1863, Sir., 63, 1, 92. Voy. sur d'autres applications de la règle posée au texte : 1o § 196, texte, lett. a, in fine, et notes 17 à 19; 20 § 197, texte, lett. b, et note 27; 3o Req. rej., 6 avril 1841, Sir., 41, 1, 414. 10 On a voulu soutenir qu'un pareil acte n'opère qu'une simple interruption de la prescription, et que celle-ci recommence à courir immédiatement après la pas

que de la part de ses successeurs universels 17; mais il ne pourrait être opposé à ses successeurs particuliers, en tant du moins qu'ils ne se prévaudraient pas de la jouissance de leur auteur, et qu'ils n'invoqueraient que leur propre possession, laquelle, au bout de trente ans, conduirait à l'usucapion de la servitude à leur profit 18. 4o Pour la saine intelligence de l'art. 691, il importe de remarquer que, si l'on ne peut acquérir par prescription une servitude discontinue ou non apparente, rien n'empêche qu'on n'acquière de cette manière la propriété ou la copropriété d'un terrain, uniquement affecté à un usage qui constituerait une servitude de cette nature, s'il était exercé sur le fonds d'autrui.

C'est ainsi que, bien que le droit de pâturage soit en principe. une servitude discontinue, et ne puisse à ce titre s'acquérir par prescription 19, le droit de vive et grasse pâture, ainsi que celui de recueillir les secondes herbes, peuvent cependant, selon les circonstances, être considérés comme ayant été exercés à titre de copropriété, et par suite comme susceptibles de s'acquérir par prescription 20. Il en est de même du simple paccage sur un terrain en nature de brandes, alors du moins qu'à ce fait vient se joindre celui de la coupe et de l'enlèvement de litières, bruyères ou ajoncs 21

C'est ainsi encore que le passage pratiqué sur des sentiers ou chemins d'exploitation, servant à la desserte de fonds appartenant à des propriétaires différents, peut, et doit même en général, être considéré comme ayant été exercé, non à titre de servitude, mais à titre de copropriété; et ce, en vertu d'une convention tacite ou présumée, constitutive de communauté, convention dont l'exis

sation de cet acte. Mais c'est là une erreur manifeste. Arg. art. 2231. Cpr. § 215, texte in fine. Duranton, XXI, 116. Marcadé, sur l'art. 2220, no 2. Demolombe, XII, 779 ter.

"Arg. art. 2237. Cpr. § 181, texte et notes 12 à 14.

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1 Arg. art. 2239. Cpr. § 181, texte in fine. Demolombe, loc. cit.

Civ. rej., 6 août 1832, Sir., 32, 488. Req. rej., 14 novembre 1853, Sir., 54, 1, 105.

20

* Cpr. § 185, texte no 3, et note 35. Req. rej., 22 novembre 1841, Sir., 42, 1, 191. Civ. rej., 7 juin 1848, Sir., 48, 1, 569. Req. rej., 6 janvier 1852, Sir., 52, 1, 317.

"Cpr. § 185, texte n° 3, et note 84. Civ. cass., 19 novembre 1828, Sir., 29, 1, 109. Req. rej., 8 janvier 1835, Sir., 35, 1, 538. Limoges, 26 mars 1838, Sir., 39, 2, 79. Voy. cep. § 217, texte n° 2, notes 8 et 9; § 221 bis, texte, in fine, et note 6; Req. rej., 25 janvier 1842, Sir., 42, 1, 972.

tence, au bout de trente années d'exercice du passage, ne peut plus être contestée 22.

5. La distinction établie au numéro précédent sert également à résoudre la question de savoir si un chemin, établi sur des propriétés privées, peut devenir public par l'effet de la prescription. Cette question doit, par application de l'art. 691, être résolue négativement, en ce sens que de simples faits de passage, en quelque nombre qu'ils se soient produits et pendant quelque laps de temps qu'ils aient été répétés, ne peuvent jamais conduire à l'acquisition par prescription d'une servitude de passage au profit d'une commune ou de ses habitants 23.

Mais si la commune avait fait exécuter sur le chemin des travaux d'art, de réparation, ou d'entretien, ou si encore elle avait à son occasion exercé des actes juridiques de voirie, et qu'elle eût ainsi manifesté, d'une manière non équivoque, l'intention de s'en gérer comme propriétaire, elle acquerrait, par trente années d'usage, à partir de ces faits ou actes, la propriété même du sol sur lequel le chemin se trouve établi 24.

D'un autre côté, la propriété d'un chemin pratiqué de longue date, à travers des fonds privés, par la généralité des habitants d'une commune, peut, même indépendamment de tout titre formel, résulter, au profit de cette dernière, d'anciens plans ou d'autres documents,

22 Cpr. § 221 ter. Req. rej., 29 novembre 1814, Sir., 16, 1, 225. Req. rej., 11 décembre 1827, Sir., 28, 1, 103. Civ. rej., 27 décembre 1830, Sir., 31, 1, 165. Req. rej., 14 janvier 1840, Sir., 41, 4, 88. Civ. cass., 29 mars 1841, Sir., 41, 1, 356. Civ. rej., 12 décembre 1853, Sir., 55, 1, 742. Req. rej., 23 avril 1855, Sir., 56, 1, 396. Poitiers, 15 mai 1856, Sir., 56, 2, 517. Limoges, 2 juillet 1862, Sir., 63, 2, 35. Voy. aussi quant aux avenues: Civ. cass., 26 août 1829, Sir., 29, 1, 380.

25 Pardessus, I, no 216, p. 484 et 485. Vazeille, Des prescriptions, 1, 95. Garnier, Des chemins, p. 301. Demolombe, XII, 797. Grenoble, 27 janvier 1843, Sir., 44, 2, 168. Agen, 23 juillet 1845, Sir., 46, 2, 250. Req. rej., 15 février 1847, Sir., 47, 1, 456. Req. rej., 5 juin 1855, Sir., 56, 1, 444. Rouen, 12 avril 1856, Sir., 57, 2, 347. Chambéry, 12 janvier 1861, Journal de Grenoble et de Chambéry, 1861, p. 153. Paris, 11 mars et 23 août 1861, Sir., 61, 2, 497 et 499. Cpr. Req. rej., 16 juin 1858, Sir., 59, 1, 624. Les arrêts qu'on cite ordinairement en sens contraire, ont bien moins envisagé la question au point de vue de l'acquisition par prescription d'une servitude de passage, que sous le rapport des circonstances de nature à entraîner, au profit d'une commune, la présomption de la propriété même du chemin. Voy. ces arrêts à la note 25 infra.

24 Pardessus et Demolombe, locc. citt. Proudhon, Du domaine public, Il, 631 à 634. Grenoble, 27 janvier 1843, Sir., 44, 2, 168,

corroborés par des circonstances locales, et notamment par le fait que le chemin, loin d'être exclusivement affecté à l'exploitation des fonds qu'il traverse, sert, soit de communication entre plusieurs communes ou hameaux, soit d'accès à des lieux publics, tels qu'un cimetière ou une église 5.

Au contraire, l'arrêté de classement, par lequel l'autorité administrative aurait compris un chemin parmi les chemins ruraux d'une commune, ne formerait pas à lui seul titre en sa faveur, et laisserait entière la question de propriété et de possession du chemin 26.

§ 252.

De la constitution des servitudes par destination du père de famille.

La destination du père de famille est, suivant l'art. 693, l'acte par lequel le propriétaire de deux héritages établit entre eux un état de choses qui constituerait une servitude, s'ils appartenaient à des maîtres différents.

Mais l'idée de la destination du père de famille est en elle-même plus générale, et, malgré la rédaction en apparence restrictive de l'art. 693, on doit admettre l'existence de cette destination dans le cas où le propriétaire d'un seul et même fonds établit sur l'une de ses parties une charge au profit de l'autre1, ainsi que

25 Pardessus et Proudhon, loce. citt. Bourges, 30 janvier 1826, Sir., 27, 2, 62. Req. rej., 14 février 1842, Sir., 42, 1, 363. Civ. cass., 2 décembre 1844, Sir., 45, 1, 24. Lyon, 17 février 1846, Sir., 46, 2, 485. Bordeaux, 11 novembre 1849, Sir., 49, 2, 349. Grenoble, 22 novembre 1860, Journal de Grenoble et de Chambéry, 1861, p. 150.

26

Cpr. § 169, texte et note 10. Crim. cass., 3 mars 1844, Sir., 44, 1, 349. Nancy, 6 août 1845, Sir., 46, 2, 249. Nancy, 13 décembre 1846, Sir., 47, 2, 83. Crim. cass., 1er mars 1849, Sir., 49, 1, 666. Trib. des conflits, 27 mars 1851, Sir., 51, 2, 454. Crim. rej., 18 juin 1853, Sir., 54, 1, 72. Crim. rej., 5 janvier 1855, Sir., 55, 1, 145. Rouen, 12 avril 1856, Sir., 57, 2, 347. Paris, 11 mars 1861, Sir., 61, 2, 497. Déc. en Cons. d'État, 2 septembre 1862, Sir., 62, 2, 489. Voy. en sens contraire: De Raze, Revue critique, 1863, XXIII, p. 143.

'Il n'y a aucune raison plausible pour distinguer entre le cas où il s'agit de deux héritages, dont l'un est grevé d'une charge au profit de l'autre, et le cas où une partie d'un fonds est assujettie à un service envers l'autre partie de ce même fonds, Si dans les art. 693 et 694 il est parlé de deux héritages, c'est que le législateur s'est placé au moment de la séparation, dont l'effet, même au dernier cas, est de créer deux héritages distincts. Duranton, V, 566. Demolombe, XII, 826. Civ. cass., 13 juin 1814, Sir., 14, 1, 153. Toulouse, 21 juillet 1836,

dans celui où le propriétaire de deux fonds, dont l'un se trouvait grevé d'une servitude envers l'autre avant leur réunion dans sa main, a maintenu cet état de choses 2.

La destination du père de famille vaut titre à l'égard des servitudes qui sont à la fois continues et apparentes. Art. 692. En d'autres termes, lorsque des héritages, entre lesquels il existe un état de choses constitutif d'une servitude continue et apparente, cessent d'être réunis dans la même main, le service auquel l'un d'eux se trouve assujetti envers l'autre, se transforme en servitude et subsiste désormais avec ce caractère, comme si la servitude avait été constituée par titre.

L'effet attribué à la destination du père de famille est indépendant de la cause qui a opéré la séparation des deux héritages. Il est indifférent qu'elle soit le résultat d'un partage, ou d'un acte d'aliénation, et que l'aliénation ait eu lieu volontairement ou forcément. Il y a mieux, la destination du père de famille produirait son effet activement et passivement, dans le cas où le propriétaire des deux héritages aurait perdu la propriété de l'un d'eux par l'effet de la prescription de dix à vingt ans 3.

Sir., 37, 2, 155. Req. rej., 26 avril 1837, Sir., 37, 1, 916. Req. rej., 24 février 1840, Sir., 40, 1, 97. Civ. cass., 17 novembre 1847, Sir., 48, 1, 30. Voy. en sens contraire: Req. rej., 10 mai 1825, Sir., 26, 1, 235. Cpr. aussi Solon, n- 289, 3o; Pardessus, II, 300 in fine. Le premier de ces auteurs, tout en rejetant la doctrine exposée au texte dans l'hypothèse prévue par les art. 692 et 693, l'admet pour celle dont s'occupe l'art. 694; tandis qu'à l'inverse Pardessus la repousse précisément dans cette dernière hypothèse.

* Celui qui réunit dans sa main deux héritages, dont l'un est grevé d'une servitude envers l'autre, et qui laisse subsister l'état de choses constitutif de cet assujettissement, se l'approprie par là tout aussi bien que s'il l'avait établi luimême. Delvincourt, I, p. 417. Toullier, III, 609. Pardessus, II, 288. Demante, Cours, II, 548 bis I. Du Caurroy, Bonnier et Roustain, II, 252. Demolombe, XII, 814. Bordeaux, 21 février 1826, Sir., 26, 2, 275. Voy. en sens contraire: Duranton, V, 570 et 374; Duvergier, sur Toullier, III, 609, note a; Marcadé, sur l'art. 694, no 3.

L'art. 693 ne s'attache qu'au fait même de la division des deux héritages, autrefois réunis dans une même main, sans s'occuper de la manière dont cette division s'est opérée. Pardessus, II, 289. Marcadé, sur les art. 692 et 693, no 1. Demolombe, XII, 827.

Solon, no 390. Demolombe, loc. cit. Bourges, 17 janvier 1831, Dalloz, 1831, 2, 171. Civ. cass., 30 novembre 1853, Sir., 54, 1, 679. Cpr. Req. rej., 19 juin 1861, Sir., 63, 1, 133.

"Demolombe, XII, 809.

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