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même avec les matériaux d'autrui, et bien qu'il les ait employés de mauvaise foi1. Superficies solo cedit.

Il ne peut être contraint de restituer ces matériaux à celui auquel ils appartenaient, tant qu'ils forment partie intégrante du sol ou du bâtiment auquel ils ont été incorporés, et sans qu'il y ait à examiner, pour le cas de plantation, si les arbres ou arbustes ont ou non déjà pris racine. Mais il est tenu de payer la valeur des matériaux avec dommages-intérêts, s'il y a lieu, et ne peut se soustraire à cette obligation en en offrant la restitution3. Art. 554*.

Que si, avant le règlement de l'indemnité due par le propriétaire du sol, les constructions venaient à être démolies, le propriétaire des matériaux pourrait, au lieu d'en réclamer la valeur, en poursuivre la revendication; mais la même faculté ne lui appartiendrait pas, s'il s'agissait d'arbres ou d'arbustes arrachés du sol où ils avaient été plantés".

La disposition de l'art. 554 ne s'applique qu'aux objets mobiliers qui, par leur incorporation dans le sol ou dans un bâtiment,

C'est à ce cas surtout que s'applique en Droit français la règle posée dans l'art. 554, parce que celui qui a employé les matériaux d'autrui qu'il possédait de bonne foi n'est soumis, même abstraction faite de l'accession, ni à une action personnelle en restitution, ni, en général, à une action en revendication. Art. 2279. Cpr. § 183.

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A la différence du Droit romain (cpr. § 31, Inst. de rer. div., 2, 1), le Code Napoléon n'a point exigé cette condition, à raison, sans doute, des difficultés que sa vérification aurait le plus souvent présentées. Taulier, II, p. 272. Marcadé, sur l'art. 554, no 1. Demolombe, IX, 667. Voy. en sens contraire : Toullier, Ill, 127; Chavot, De la propriété mobilière, II, 524. Voy. aussi Duranton, IV, 374. * Demolombe, IX, 663.

Si, d'après cet article, le propriétaire du sol, qui s'est servi des matériaux ou des arbres d'autrui, ne peut être contraint, pour les restituer, à les détacher des constructions auxquelles il les a incorporés, ou du terrain dans lequel il les a plantés, on ne saurait conclure de là que celui qui a vendu un bâtiment pour être démoli, ou une forêt pour être abattue, soit en droit de se refuser à l'exécution de cette convention, en offrant d'indemniser l'acquéreur. Une pareille prétention serait évidemment contraire aux dispositions des art. 1134, 1144 et 1243, que ne modifie nullement l'art. 554, qui statue sur un cas d'accession, et ne s'occupe en aucune façon d'une question d'exécution de convention. Voy. en sens contraire Demolombe, IX, 668.

IX,

§ 29, Inst. de rer. div. (2, 1). Demante, Cours, II, 391 bis, I. Dupin, Encyclopédie, vo Accession, no 20. Marcadé, sur l'art. 554. Demolombe, 661. Voy. en sens contraire: Duranton, IX, 374; Du Caurroy, Bonnier et Roustain, II, 109; Chavot, De la propriété mobilière, II, 531.

"L. 26, § 2, D. de acq. rer. dom. (41, 1). Demante, Cours, II, 391 bis, III. Demolombe, IX, 662.

sont devenus immeubles par nature, et non à ceux qui ont simplement revêtu le caractère d'immeubles par destination".

b. Des plantations, constructions et ouvrages faits par un tiers sur le sol d'autrui 8.

Les plantations, constructions et ouvrages faits par un tiers sur le sol d'autrui deviennent, à titre d'accession, la propriété du propriétaire du sol, en ce sens du moins que le tiers, constructeur ou planteur, ne peut les enlever contre le gré de ce dernier '. Superficies solo cedit. Il n'y a pas, sous ce rapport, à distinguer si les matériaux appartenaient ou non au tiers qui les a employés 10. Lorsque les plantations, constructions et ouvrages ont été faits par un tiers possesseur de mauvaise foi, le propriétaire du sol peut demander, soit leur suppression, avec dommages-intérêts pour le préjudice qui lui a été causé, soit leur conservation, mais à charge, dans ce cas, de rembourser la valeur des matériaux et le prix de la main d'œuvre, sans être admis à se libérer en offrant le montant de la mieux-value de l'immeuble. Art. 555, al. 1 et 2. Si, au contraire, les plantations, constructions et ouvrages ont été faits par un tiers possesseur de bonne foi, le propriétaire du sol ne peut en demander la suppression; mais aussi a-t-il, dans ce cas, le choix de rembourser, soit la valeur des matériaux et le

'Maleville, sur l'art. 554. Toullier, III, 126. Duranton, IV, 374. Chavot, op. cit., II, 534 et 535. Marcadé, sur l'art. 554. Demolombe, IX, 665 et 666. Voy. cep. Taulier, II, p. 272.

* Les plantations, constructions et ouvrages existant sur un fonds étant, en vertu de l'art. 553, présumés faits par le propriétaire de ce fonds, c'est au tiers qui prétend les avoir exécutés à le prouver. Cpr. sur cette preuve: § 192, texte et note 4.

'Si les plantations, constructions ou ouvrages avaient été enlevés avant toute réclamation de la part du propriétaire du sol, le principe posé au texte resterait de fait sans application; et il ne se présenterait plus qu'une question de dommages-intérêts, qui devrait se résoudre d'après les règles que nous exposerons au § 219. Cpr. Demolombe, IX, 681 bis; Douai, 18 mars 1842, Sir., 43, 2, 8; Civ. rej., 16 février 1857, Sir., 58, 2, 192.

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Quoique l'art. 555 ne prévoie expressément que le cas où le constructeur a employé des matériaux à lui appartenants, il est évident que son application est indépendante de cette condition, la circonstance que les matériaux appartenaient à un tiers ne pouvant en aucune façon influer sur les rapports de ce constructeur et du propriétaire du sol. Taulier, II, p. 274. Marcadé, sur l'art. 555, no 7. Demante, Cours, II, 392 bis, X Demolombe, IX, 678.

prix de la main d'œuvre, soit le montant de la mieux-value de l'immeuble au jour du délaissement. Art. 555, al. 311.

Pour l'application de la distinction précédente entre le possesseur de bonne foi et le possesseur de mauvaise foi, il faut se placer, non à l'époque de la prise de possession de l'immeuble, mais à celle de l'exécution des travaux 12.

Le possesseur, même de bonne foi, ne jouit pas d'un véritable droit de retention pour le paiement de l'indemnité à laquelle il a droit. Toutefois, si le propriétaire revendiquant ne présentait pas des garanties suffisantes de solvabilité, le juge pourrait, en considération de la bonne foi du possesseur, subordonner l'exécution de la condamnation en délaissement au paiement préalable de cette indemnité 13.

Le propriétaire du sol qui opte pour la conservation des travaux, moyennant le remboursement de la somme représentant la valeur des matériaux et le prix de la main d'œuvre, n'est point tenu des intérêts de cette somme. Seulement le possesseur de mauvaise foi, obligé à la restitution des fruits, peut-il, quand ses travaux ont eu pour résultat de procurer une augmentation de revenu, retenir, jusqu'à concurrence de cette augmentation, les intérêts des sommes qu'il a déboursées 14.

11 On a trouvé singulier que le propriétaire du sol puisse se libérer envers un possesseur de bonne foi, en lui remboursant le montant de la mieux-value de l'immeuble, tandis qu'il est obligé de restituer intégralement au possesseur de mauvaise foi la valeur des matériaux et le prix de la main d'œuvre. Mais cette singularité apparente disparaît, quand on réfléchit que le propriétaire du sol jouit envers le possesseur de mauvaise foi de la faculté de demander la suppression des travaux avec dommages-intérêts, faculté qui met, pour ainsi dire, ce dernier à sa discrétion. D'ailleurs, le propriétaire du sol pourrait toujours, en renonçant à réclamer la restitution des fruits, considérer le possesseur comme étant de bonne foi, et par suite se borner à lui offrir le paiement de la mieuxvalue, sans que celui-ci fût admis à se prévaloir de sa mauvaise foi pour réclamer le remboursement de ses déboursés. Demolombe, IX, 674 à 676.

12 L. 37, D. de rei vind. (6, 1). Pothier, De la propriété, no 351.

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Voy. pour la justification de ces propositions: § 256.

14 Non obstat art. 1153, al. 3. Il ne s'agit pas en pareil cas d'un paiement d'intérêts, réclamé par le possesseur au propriétaire du sol, ni même d'une compensation fondée sur une créance d'intérêts, mais simplement d'un règlement de compte portant sur les fruits à restituer au propriétaire du sol par le possesseur. Refuser à ce dernier la faculté d'opérer la retenue dont il est question au texte, ce serait reconnaître au premier le droit de s'enrichir à ses dépens, ce qui ne saurait être admis, même à l'égard d'un possesseur de mauvaise foi. Demolombe,

Le possesseur de bonne foi, dispensé de la restitution des fruits, a droit au remboursement intégral de ses déboursés ou de la mieux-value de l'immeuble, sans que le propriétaire du sol soit autorisé à imputer, sur la somme à rembourser, les fruits perçus par le possesseur, sous le prétexte qu'au lieu de les consommer, celui-ci les aurait employés aux travaux qu'il a exécutés 15.

Les dispositions de l'art. 555 ne concernent que le cas où il s'agit de travaux complétement nouveaux; elles sont étrangères à l'hypothèse où les travaux exécutés par le tiers possesseur, s'appliquant à des ouvrages préexistants, ne présentent que le caractère de réparations ou de simples améliorations. Dans cette dernière hypothèse, le propriétaire du sol ne peut, même vis-à-vis d'un possesseur de mauvaise foi, demander la suppression des travaux 16. Les obligations qui lui incombent quant aux impenses, seront expliquées au § 219.

L'art. 555 suppose que les plantations, constructions et ouvrages ont été faits par un tiers possesseur pour son propre compte. Il ne s'applique donc pas aux travaux faits par un administrateur, un mandataire, ou un gérant d'affaires, pour le compte d'autrui 17. Il ne s'applique pas davantage aux travaux faits, soit par un propriétaire sous condition résolutoire 18,

IX, 679. Civ. cass., 9 décembre 1839, Sir., 40, 1, 66. Cpr. Agen, 27 mars 1843, Sir., 43, 2, 511.

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Une pareille imputation aurait pour résultat de priver le possesseur de bonne foi du bénéfice de l'art. 549, en vertu duquel il fait siens les fruits par lui perçus, quoiqu'il ne les ait pas consommés. La décision contraire de Papinien (L. 48, D. de rei vind., 6, 1), fondée sur la présomption que les fruits avaient servi à l'amélioration du fonds, était conforme aux principes du Droit romain, qui n'autorisait le possesseur de bonne foi à retenir les fruits par lui perçus qu'autant qu'il les avait consommés. Mais cette décision n'est plus compatible avec la disposition générale et absolue de l'art. 549. Duranton, IV, 377. Chavot, De la propriété mobilière, II, 511. Demolombe, IX, 680. Voy. en sens contraire : Troplong, Des hypothèques, III, 839; Marcadé, sur l'art. 555, no 3.

1° Demolombe, IX, 685 et 686.

"Les rapports du constructeur et du propriétaire du sol seraient, en pareil cas, réglés par les principes du mandat ou de la gestion d'affaires. Demolombe, IX, 691.

**L'événement de la condition résolutoire ayant pour effet de remettre les choses au même état où elles se trouvaient avant l'acquisition, le constructeur dont le titre vient à être résolu, peut en général être contraint à enlever les constructions par lui faites. C'est ce qui a lieu, par exemple, pour l'adjudicataire évincé par suite de folle enchère (Bordeaux, 17 janvier 1843, Sir., 43, 2, 232), et même pour l'acquéreur sous pacte de retrait, qui, aux termes de l'art. 1673,

soit par un cohéritier, un coassocié, ou tout autre copropriétaire 19.

L'art. 555 ne régit même pas directement les plantations, constructions et ouvrages faits par un locataire ou par un fermier. Lorsque les travaux ont été exécutés en vertu du bail ou d'un contrat subséquent, le sort en est réglé par les conventions intervenues entre les parties 20. Au cas contraire, le propriétaire peut, conformément aux art. 1730 et 1731, demander la suppression des travaux. Il peut aussi en réclamer la conservation en vertu de son droit d'accession; mais alors, et par analogie de la disposition du troisième alinéa de l'art. 555, il doit le remboursement des matériaux et de la main d'oeuvre, faute de quoi le preneur est autorisé à enlever ses plantations ou constructions "1.

ne peut demander que la bonification des simples réparations. Toutefois, nous reconnaissons que le caractère particulier de telle ou telle condition résolutoire et la nature des rapports existant entre les parties pourraient faire admettre une solution contraire, surtout si le constructeur dont le titre se trouve résolu n'avait à se reprocher ni faute ni imprudence. C'est ainsi que le cohéritier soumis au rapport, et le donataire dont la donation a été révoquée par survenance d'enfant, ne devraient pas être condamnés à enlever les constructions par eux faites, et auraient droit à la bonification de la mieux-value qui en est résultée. Voy. cep. Demolombe, IX, 691 bis. Notre savant collègue, tout en reconnaissant que l'art. 555 est inapplicable à la question, enseigne cependant que ce n'est qu'exceptionnellement que le constructeur dont le titre est résolu peut être contraint à enlever les constructions qu'il a élevées. Mais, à notre avis, cette doctrine ne tient pas suffisamment compte de l'effet ordinaire des conditions résolutoires.

Req. rej., 15 décembre 1830, Sir., 31, 1, 24. Bordeaux, 11 décembre 1838, Sir., 39, 2, 251. En pareil cas, les obligations et les droits respectifs des parties se règlent d'après les principes de la société ou de la communauté d'intérêts résultant de l'indivision. Demolombe, X, 691 bis.

20 Demolombe, IX, 694. Req. rej., 1er août 1859, Sir., 60, 1, 67.

* On admet assez généralement l'application de l'art. 555 aux plantations, constructions et ouvrages faits par un fermier ou par un locataire, sans toutefois s'expliquer sur le point de savoir si ce dernier doit être traité comme un possesseur de bonne foi ou comme un possesseur de mauvaise foi. Il résulte de là des hésitations et mème des inconséquences dans la solution donnée à la question de savoir si le bailleur qui veut conserver les travaux exécutés par le preneur, peut se libérer en bonifiant la mieux-value, ou si, au contraire, il est tenu de rembourser intégralement la valeur des matériaux et le prix de la maind'œuvre. La plupart des auteurs se prononcent dans le premier sens, tout en reconnaissant cependant au bailleur la faculté de demander la suppression des travaux, et assimilent ainsi le preneur, tantôt à un possesseur de bonne foi, tantôt à un possesseur de mauvaise foi. Cpr. Duranton, IV, 381; Proudhon, De l'usufruit, III, 1456; Troplong, Du louage, II, 354; Duvergier, Du louage, I, 457

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