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peuvent-ils être mis en cause sur la réquisition des défendeurs. Ils pourraient même l'être d'office .

L'action en bornage peut être formée par le propriétaire, sans qu'il soit tenu de justifier de sa propriété autrement que par la présomption attachée à sa possession. Cette action compète également à l'usufruitier et à l'usager 10; mais elle n'appartient ni au fermier ", ni au créancier sur antichrèse 12.

La capacité requise pour former une action en bornage se détermine par une distinction entre le cas où la ligne séparative des deux héritages étant certaine et reconnue, elle tend seulement à la plantation de pierres-bornes, et le cas où les limites étant incertaines ou contestées, cette action a pour objet principal de les faire déterminer, et de régler ainsi l'étendue et l'assiette des droits de propriété des parties. Au premier cas, l'exercice de l'action en bornage n'est qu'un acte d'administration et de conservation; et cette action peut par conséquent être formée par le tuteur, sans l'autorisation du conseil de famille, par le mari, comme administrateur des biens de sa femme, et par le mineur émancipé, sans l'assistance de son curateur. Au second cas, au contraire, l'action en bornage tendant au règlement définitif de droits immobiliers, elle ne peut être exercée par le tuteur qu'avec l'auto

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Cpr. sur ces différentes propositions: Toullier, III, 178; Curasson, no 50; Millet, p. 150; Demolombe, XI, 267; Douai, 2 juillet et 11 novembre 1842, Sir., 43, 2, 408; Req. rej., 20 juin 1855, Sir., 57, 1, 733; Req. rej., 9 novembre 1857, Sir., 58, 1, 229.

Pothier, De la société, no 232. Merlin, Rép., vo Bornage, no 3. Duranton, V, 253. Demolombe, XI, 259. Montpellier, 14 janvier 1842, Sir., 42, 2, 119. Voy. cependant Pardessus, op. cit., II, 331.

10 Pardessus, op. cit., II, 332. Duranton, V, 257. Proudhon, De l'usufruit, III, 1243. Marcadé, sur l'art. 646, no 1. Demolombe, XI, 256 et 257. — Il est bien entendu que le défendeur, assigné en bornage par un usufruitier ou un usager, est autorisé à mettre en cause le nu-propriétaire, auquel ne serait pas opposable un bornage opéré sans son concours. Bordeaux, 23 juin 1836, Sir., 37, 1, 37. 11 Toullier, III, 181. Solon, Des servitudes, no 59. Taulier, II, p. 372. Millet, p. 128. Demante, Cours, II, 500 bis. Demolombe, XI, 258.

12 D'après M. Demolombe (XI, 257), qui se fonde sur la loi 4, § 9, D. fin. reg. (10,1), l'action en bornage pourrait être formée par le créancier sur antichrèse. La loi précitée accorde, il est vrai, l'action finium regundorum au créancier nanti d'un gage; mais, en invoquant cette loi, notre savant collègue paraît avoir perdu de vue que, d'après les principes du Droit romain, le créancier gagiste avait un droit réel, et jouissait des interdits possessoires, tandis qu'en Droit français, le créancier sur antichrèse n'a qu'un droit personnel, et ne jouit même pas de l'action possessoire. Quid de l'emphyteote? Voy. § 224 bis.

torisation du conseil de famille, par le mineur émancipé qu'avec l'assistance de son curateur, et le mari est sans qualité pour la former au nom de sa femme 13, à moins qu'il ne s'agisse de biens dotaux 14.

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L'action en bornage peut être formée contre l'État, les départements, les communes ou les établissements publics, pour les fonds dépendant de leur domaine privé 15. Cependant la délimitation générale des bois soumis au régime forestier forme l'objet de règles spéciales établies par les art. 8 à 14 du Code forestier, et par les art. 57 à 66 de l'ordonnance réglementaire de ce Code.

Quant à la délimitation des fonds qui dépendent du domaine pu. blic, elle rentre dans les attributions exclusives de l'administration et de la juridiction administrative 16.

L'action en bornage est imprescriptible en ce sens que, quel que soit le laps de temps pendant lequel deux fonds contigus sont restés sans être abornés, le bornage peut toujours en être de

13 Une autre distinction a été proposée par M. Demolombe (XI, 260 et 261), qui reconnaît au tuteur et au mari le pouvoir de former l'action en bornage, alors même que les limites sont incertaines, pourvu qu'il ne s'élève aucune contestation sur la propriété et sur les titres qui l'établissent, les règles qui fixent la compétence du juge de paix devant, suivant lui, servir également à déterminer la capacité de ces administrateurs. Mais l'idée que le législateur de 1838, en étendant la compétence des juges de paix et en leur attribuant la connaissance des actions en bornage, aurait du même coup étendu les pouvoirs du tuteur et du mari quant à l'exercice de pareilles actions, est, à notre avis, peu juridique. D'ailleurs, notre savant collègue ne paraît pas avoir lui-même une grande confiance dans l'argument qu'il tire de la compétence du juge de paix, puisqu'il ne croit pas pouvoir accorder au mineur émancipé la faculté d'exercer l'action en bornage sans l'assistance de son curateur. Quant aux autres auteurs, ils soumettent le tuteur à la nécessité d'obtenir l'autorisation du conseil de famille pour former l'action en bornage, et refusent au mari le pouvoir de l'exercer au nom de la femme, sans s'expliquer spécialement sur le cas où la demande tendrait uniquement à la plantation de pierres-bornes. Voy. Delvincourt, I, part. II, p. 386; Carou, Des actions possessoires, no 498; Solon, Des servitudes, no 59; Curasson, De la compétence des juges de paix, II, p. 443; Millet, p. 134 et suiv.; Taulier, II, p. 372.

"Cpr. § 535, texte n° 1, notes 5 et 6. Il est également à remarquer que, sous tout autre régime, le mari est, en son nom personnel, autorisé à intenter l'action en bornage, pour les biens de la femme dont il a l'usufruit. Cpr. § 509, texte n° 3, et note 20.

15 Demolombe, XI, 263. Douai, 26 mars 1844, Sir., 45, 2, 294.

** Pardessus, Des servitudes, I, 118. Foucart, Droit administratif, II, 794. Demolombe, loc. cit., Merville, De la délimitation des cours d'eau navigables, Revue pratique, 1861, XII, p. 225.

mandé 17. Seulement, le voisin qui aurait possédé pendant trente années une étendue de terrain certaine et délimitée au moyen de signes apparents et invariables 18, pourrait, alors même que la contenance de ce terrain serait supérieure à celle que lui attribnent ses titres, s'opposer à toute opération préalable de mesurage, et demander que les pierres-bornes soient plantées sur la ligne indiquée par ces signes 19. Mais les parties contre lesquelles une pareille opération est provoquée, ne sont point fondées à y résister, en se prévalant d'une simple possession annale, et ce dans le cas même où cette possession réunirait les caractères qui viennent d'être indiqués 20.

Du reste, et sauf l'effet de la prescription trentenaire en ce qui concerne l'opération de mesurage, l'existence d'un mur ou de toute autre clôture, même fixe et invariable, ne saurait être opposée comme fin de non-recevoir à une demande en bornage. Il en est de même de l'existence de signes de délimitation qui ne seraient pas reconnus comme tels par les usages locaux 21.

Le bornage se fait à frais communs. Art. 646. L'application de cette règle nécessite cependant quelques distinctions. Les frais

17 Arg. art. 2232. Cpr. § 772, texte n° 2. Delvincourt, I, part. II, p. 386. Toullier, III, 170. Pardessus, op. cit., I, 130. Duranton, V, 245. Troplong, De la prescription, I, 119. Solon, Des servitudes, no 57. Demolombe, XI, 241.

18 Il s'élève souvent dans la pratique des difficultés sur le point de savoir si une haie vive, un talus, un ravin forment des signes de délimitation certains et invariables. Nous croyons qu'en thèse générale, et à moins de circonstances particulières, on ne doit pas leur reconnaître ce caractère.

19 Rien n'empêche, en effet, qu'on ne prescrive au delà de son titre. Cpr. § 217, texte et note 3. Pothier, De la société, no 133. Pardessus, loc. cit., I, 124. Demolombe, XI, 272. Orléans, 25 août 1816, Sir., 18, 2, 104. Civ. cass. 30 novembre 1818, Sir., 19, 1, 232. Metz, 19 avril 1822, Dev. et Car., Coll. nouv., VII, 2, 59.

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20 Il a été jugé qu'en pareil cas il ne peut y avoir lieu qu'à une action en revendication, et non à une action en bornage. Besançon, 10 mars 1828, Dalloz, 1828, 2, 215. Voy. aussi Duranton, V, 260. Mais cette décision nous paraît contraire à la double idée, que l'action en bornage est toujours recevable, lorsque deux fonds contigus ne sont pas séparés par des pierres-bornes, ou autres signes de délimitation admis comme tels par les usages locaux, et que, d'après le caractère propre de cette action, quæ pro rei vindicatione est, elle tend virtuellement à la restitution des anticipations commises par le défendeur, sans que le demandeur soit tenu de les établir autrement que par le résultat même de l'arpentage. Demolombe, XI, 268. Voy. aussi les arrêts cités à la note précédente. 21 Duranton, V, 259. Millet, p. 176 à 180. Demolombe, loc. cit. Civ. cass., 30 décembre 1818, Sir., 19, 1, 232.

relatifs à la fourniture et à la plantation des pierres-bornes se partagent par moitié entre les propriétaires des fonds sur la ligne séparative desquels elles se trouvent placées. Les frais concernant l'arpentage se répartissent entre les propriétaires des fonds qui y ont été soumis proportionnellement à la contenance respective de ces fonds 2. Quant aux frais des contestations soulevées à l'occasion du bornage, ils doivent être supportés par la partie qui succombe 23. Code de procédure, art. 130. Il n'en est cependant pas nécessairement ainsi des frais du jugement qui, à défaut de consentement de l'un des intéressés à un bornage amiable, a ordonné qu'il serait procédé à cette opération par un expert désigné à cet effet 24.

Le procès-verbal constatant un abornement forme un titre définitif pour les contenances et les limites assignées à chacun des intéressés, lorsqu'il a été revêtu de leurs signatures, ou que, sur le refus de l'un d'eux de le signer, il a été homologué en justice 25.

Le jugement qui a déclaré exécutoire un procès-verbal d'abornement, ne peut être attaqué que par les voies de recours auxquelles, de droit commun, les jugements sont soumis; mais il peut l'être pour toute espèce de griefs. Lorsque le procès-verbal a été signé par les parties, l'opération d'abornement peut être attaquée pour toutes les causes qui permettent en général de revenir contre une convention; mais elle ne peut l'être que pour ces causes

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Si les bornes plantées en conformité d'un procès-verbal signé

** Suivant certains auteurs, tous les frais devraient être partagés par moitié. Du Caurroy, Bonnier et Roustain, II, 277. Marcadé, sur l'art. 646, no 3. Suivant d'autres, ils devraient tous être supportés proportionnellement. Taulier, II, p. 374. Millet, p. 356 et suiv. La distinction que nous avons admise, nous semble conforme à l'équité, et n'est pas contraire au texte de l'art. 646. Pardessus, op. cit., I, 129. Demolombe, XI, 276.

"Pardessus, op. et loc. citt. Du Caurroy, Bonnier et Roustain, loc. cit. Taulier, loc. cit. Demolombe, XI, 277.

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** Les auteurs cités à la note précédente n’indiquent pas cette restriction, et M. Demolombe parait même la repousser. Cependant il est telles circonstances où il serait difficile de ne pas l'admettre. Ainsi, celui qui refuserait de concourir à un arpentage amiable par le motif que l'expert proposé pour y procéder ne lui convient pas, ne saurait être considéré comme ayant injustement résisté au bornage. "Cpr. Duranton, V, 260; Demolombe, XI, 279; Req. rej., 5 mars 1855, Sir., 55, 1, 731.

Cpr. Duranton, loc. cit.; Pardessus, op. cit., nos 125, 129 et 130; Taulier, II, 373; Demolombe, XI, 280; Douai, 21 février 1848, Sir., 48, 2, 523.

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par les parties, ou homologué en justice, venaient à disparaître 27, chacun des intéressés pourrait demander qu'il en fût placé de nouvelles, d'après les bases et suivant les indications de ce procèsverbal, et serait par conséquent fondé à résister à une demande de nouvel arpentage 28. Toutefois, le procès-verbal d'abornement n'aurait plus aucune valeur, s'il s'était écoulé plus de trente ans depuis la disparition des pierres-bornes 29. D'un autre côté, dans le cas même où les pierres-bornes subsisteraient encore, les effets du procès-verbal constatant leur plantation pourraient également se trouver anéantis, par une possession trentenaire dans des limites différentes de celles qui s'y trouvent indiquées 30.

Aux termes de l'art. 6, no 2, de la loi du 25 mai 1838, les actions en bornage sont de la compétence des juges de paix, lorsque la propriété ou les titres qui l'établissent ne sont pas contestés.

Le juge de paix est compétent pour connaître de l'action en bornage, non-seulement lorsqu'elle tend à la plantation de pierresbornes sur des limites certaines et reconnues, mais encore dans le cas où, les limites étant incertaines ou contestées, il s'agit de les

27 Il ne faut pas confondre avec une simple disparition des pierres-bornes, qui serait le résultat d'un accident ou d'un événement de la nature, l'enlèvement ou le déplacement volontaire de ces signes de délimitation. Ce dernier fait peut donner lieu, non-seulement à la demande dont il est parlé au texte, mais encore à une action possessoire, et même, suivant les cas, à une poursuite correctionnelle. Cpr. Code de procédure, art. 3, no 2; Code pénal, art. 456. Civ. cass., 8 avril 1854, Sir., 54, 1, 341.

28 Req. rej., 11 août 1851, Sir., 52, 1, 645.

20 L'action résultant de la convention ou du jugement qui ratifie ou qui homologue un bornage, s'éteint, comme toute autre action, par le laps de trente années, à partir du moment où, les pierres-bornes ayant disparu, la convention ou le jugement a cessé d'avoir son cours. Les parties se trouvent alors par la force des choses replacées au même état où elles se trouveraient s'il n'y avait jamais eu de bornage, aucune d'elles ne pouvant prétendre que leur possession respective soit restée conforme au procès-verbal de délimitation.

3o Les idées développées à la note précédente s'appliquent a fortiori à l'hypothèse actuelle, puisque les effets du bornage doivent nécessairement disparaître devant une possession contraire continuée pendant trente ans. MM. Pardessus (op. cit., I, 130) et Demolombe (XI, 281) semblent même admettre qu'un nouveau bornage peut être demandé, par cela seul qu'il s'est écoulé trente années depuis la plantation des pierres-bornes. Si telle était effectivement leur manière de voir, nous ne saurions y donner notre adhésion. Lorsque les pierres-bornes placées depuis plus de trente années existent encore, et qu'on n'allègue pas une possession contraire à ces signes de délimitation, la convention ou le jugement qui a sanctionné le bornage, ayant continué de recevoir son exécution, conserve par cela même toute sa force.

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