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vénients légers qu'entraîneraient de pareilles émanations ne sauraient être considérés comme constituant un exercice abusif de la propriété, lorsque, résultant des nécessités ou des usages ordinaires de la vie, ils n'excèdent pas la mesure des incommodités inséparables du voisinage".

A plus forte raison, le propriétaire d'une manufacture ou d'une usine ne peut-il pas transmettre aux fonds voisins des gaz délétères de nature à nuire à la santé ou à la végétation®.

D'après les mêmes motifs, le bruit causé par un établissement industriel doit être considéré comme portant atteinte au droit d'autrui, lorsque par sa continuité et son intensité il devient intolérable pour les voisins, et excède ainsi la mesure des incommodités ordinaires du voisinage".

Enfin, on doit même admettre que l'établissement d'une maison de tolérance est susceptible de donner lien en faveur des voisins à une action en dommages-intérêts, à raison de la dépréciation de valeur locative ou vénale que leurs propriétés ont subie par ce fait.

Dans l'application des règles précédentes, les tribunaux pourraient se montrer moins rigoureux, s'il s'agissait d'un établissement créé antérieurement à la construction des maisons dont les propriétaires se plaignent des inconvénients que cet établissement leur cause".

L'exercice abusif de la propriété sous l'un ou l'autre des rapports qui viennent d'être indiqués, donne non-seulement ouver

lombe, XII, 653 et suiv. Metz, 10 novembre 1808, Sir., 21, 2, 154. Civ. rej., 27 novembre 1844, Sir., 44, 1, 811. Civ. rej., 8 juin 1857, Sir., 58, 1, 305.

L. 8, § 6, D. si serv. vind (8, 5). Cœpolla, De servitutibus, tract. I, cap. 53, no 1, et tract. II, cap. 43, no 2. Domat, op. cit., liv. I, tit. XII, sect. 1, no 10. Demolombe, XII, 658. Cpr. Civ. cass., 27 novembre 1844, Sir., 44, 1, 811; Agen, 7 février 1855, Sir., 55, 2, 311.

Demolombe, XII, 655 et suiv. Req. rej., 11 juillet 1826, et Civ. rej., 19 juillet 1826, Sir., 27, 1, 236 et suiv. Req. rej., 3 mai 1827, Sir., 27, 1, 435 et 436. Req. rej., 17 juillet 1845, Sir., 45, 1, 825.

'Demolombe, XII, 658. Civ. cass., 27 novembre 1844, Sir., 44, 1, 811. Amiens, 18 juillet 1845, Sir., 45, 2, 475. Req. rej., 20 février 1849, Sir., 49, 1, 546. Besançon, 9 février et 3 août 1859, Sir., 59, 2, 572, et 60, 2, 255. Chambery, 25 avril 1861, Journ. de Grenoble et Chambéry, 1861, p. 185. Req. rej., 3 décembre 1860, et Civ. rej., 27 août 1861, Sir., 61, 1, 840 et 844. Aix, 14 août 1861, Sir., 62, 2, 285. Voy. cependant: Agen, 4 juillet 1856, Sir., 57, 2, 65. Cpr. Décret du 15 octobre 1810, art. 9; Demolombe, XII, 659 et 660; Paris, 16 mars 1841, Sir., 44, 1, 811.

ture à une action en réparation du dommage déjà occasionnné, mais autorise encore le propriétaire lésé à demander la suppression ou le changement de l'état de choses qui lui cause préjudice.

Si cependant l'ouvrage ou l'établissement qui porte dommage au voisin avait été autorisé par l'administration dans l'exercice de son pouvoir réglementaire, il n'appartiendrait qu'à l'autorité administrative d'en prononcer la suppression ou la modification, et les tribunaux seraient incompétents pour l'ordonner 1o. Mais l'autorisation administrative, en vertu de laquelle cet ouvrage ou cet établissement a été fait ou élevé, ne prive point le voisin du droit de porter devant l'autorité judiciaire sa demande en indemnité 11.

Les tribunaux peuvent, en statuant sur de pareilles demandes, accorder des dommages-intérêts, tant pour le préjudice causé dans le passé 12, que pour celui qui doit se produire dans l'avenir, aussi

10 Cette proposition n'est qu'une application du principe de la séparation des pouvoirs, et de la défense faite aux tribunaux de s'immiscer dans la connaissance des actes administratifs, pour en arrêter ou modifier l'exécution. Foucart, Droit public et administratif, I, 152, 383 et 385. Agen, 7 février 1855, Sir., 55, 2, 311. Civ. rej., 27 août 1861, Sir., 61, 1, 844. Cpr. cependant : Civ. rej., 8 juin 1857, Sir., 58, 1, 305.

11 L'autorisation d'établir des manufactures, usines, ou ateliers insalubres et incommodes n'est jamais accordée que sous la condition implicite de ne point porter atteinte aux droits des tiers, et de réparer, conformément aux art. 1382 et 1383, le dommage résultant de l'infraction de cette condition. En statuant sur l'action en réparation du dommage causé par un établissement insalubre ou incommode, les tribunaux ne se mettent donc pas en opposition avec l'acte administratif qui a autorisé cet établissement. Décret du 15 octobre 1810, art. 11. Sirey, Observations, Sir., 27, 1, 239. Cormenin, Questions de Droit administratif, II, p. 477 et 478. Foucart, op. cit., I, 384. Demolombe, XII, 653. Chauveau, Compétence de la juridiction administrative, III, 700. Metz, 10 novembre 1808 et 16 août 1820, Sir., 21, 2, 154 et 155. Civ. rej., 19 juillet 1827, Sir., 27, 1, 238. Req. rej., 3 mai 1827, Sir., 27, 1, 435. Req. rej., 17 juillet 1845, Sir., 45, 1,825. Req. rej., 20 février 1849, Sir., 49, 1, 346. Décret en Conseil d'État du 5 juin 1859, Sir., 59, 2, 572. Civ. rej., 27 août 1861, Sir., 61, 1, 844. Voy. en sens contraire: Duvergier, Revue étrangère et française, 1843, X, p. 425 et 601; Massé, Droit commercial, II, 382 et 388. D'après ces auteurs, le fait même de l'autorisation administrative priverait les voisins de tout droit à indemnité, et enlèverait aux tribunaux le pouvoir, non-seulement d'ordonner la suppression ou la modification de l'établissement autorisé, mais encore d'accorder des dommages-intérêts à raison du dommage qui en résulterait.

12 On avait voulu soutenir, en se fondant sur l'art. 1146, que les dommagesintérêts ne sont dus que pour la réparation du préjudice causé depuis la demande. Mais cette manière de voir était évidemment erronée, puisque l'art. 1146, qui ne concerne que les fautes contractuelles, est étranger aux délits et aux quasi

longtemps que les choses resteront dans le même état 13. L'indemnité à allouer se détermine, non-seulement d'après le dommage matériel causé aux propriétés voisines, mais encore eu égard à la diminution de valeur locative ou vénale qu'elles subissent". Le mode le plus équitable et le plus rationnel de règlement de l'indemnité pour le dommage à venir, paraît être celui d'allocations successives sous forme d'annuités 15.

Du reste, des travaux qui, sans causer aux voisins un dommage positif, et sans porter ainsi atteinte à leur droit de propriété, auraient simplement pour résultat de les priver d'avantages dont ils jouissaient jusqu'alors, ne pourraient motiver de leur part une action en dommages-intérêts 1o. C'est ainsi que des constructions élevées par un propriétaire sur son fonds, n'autorisent pas le voisin qu'elles privent de l'agrément d'une vue dont il jouissait, à former pour ce motif une action en dommages-intérêts". C'est ainsi encore que des fouilles faites par un propriétaire dans son fonds, ne donnent ouverture contre lui à aucune action en indemnité, bien qu'elles aient eu pour effet de couper ou de détourner les veines d'eau souterraines qui alimentaient le puits du voisin ou un établissement d'eaux minérales18. C'est ainsi enfin que la dé

délits. Aussi a-t-elle été réjetée par la doctrine et la jurisprudence. Duvergier, sur Toullier, III, 510, note e. Demolombe, XI, 50. Civ. rej., 19 juillet 1826, Sir., 27, 1, 238. Req. rej., 8 mai 1832, Sir., 32, 1, 398.

15 Req. rej., 3 mai 1827, Sir., 27, 1, 435 et 436. Req. rej., 17 juillet 1845, Sir., 45, 1, 825.

"Clérault, Des établissements dangereux, chap. VIII, no 130. Serrigny, De l'organisation et de la compétence, no 870. Sourdat, De la responsabilité, II, 1189 et 1191. Foucart, op. et loc. citt. Demolombe, XII, 654. Req. rej., 3 mai 1827, Sir., 27, 1, 435 et 436. Req. rej., 17 juillet 1845, Sir., 45, 1, 825. Cpr. aussi les arrêts cités à la note 8 supra. Voy. en sens contraire: Macarel, Des ateliers dangereux etc., no 57; Ordonnance en Conseil d'État du 15 décembre 1824, Sir., 27, 1, 434.

"C'est ce mode d'indemnité que les tribunaux adoptent d'ordinaire. Cpr. cep. Aix, 1er mars 1826, Sir., 27, 1, 435.

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Quia non debeat videri is damnum facere, qui eo veluti lucro, quo adhuc utebatur, prohibetur, multumque interesse, utrum damnum quis faeiat, an lucro, quod adhuc faciebat, uti prohibeatur. L. 26, D. de damn. inf. (39, 2). Voy. aussi L. 24, § 12, D. eod. tit. Demolombe, XII, 647. Voy. cep. : Metz, 12 juin 1807, Sir., 7, 2, 188; Bruxelles, 23 août 1810, Sir., 11, 2, 256. Cpr. Civ. cass., 31 juillet 1855, Sir., 56, 1, 393.

Toullier, III, 328. Pardessus, Des servitudes, 1, 76 et 78. Duranton, V, 156. Daviel, Des cours d'eau, no 897. Marcadé, sur l'art. 674. Sourdat, De la responsabilité, I, 425. Demolombe, loc. cit. Civ. rej., 29 novembre 1830,

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molition d'un mur, qui de fait seulement, et sans aucune charge de servitude, servait d'appui au bâtiment du voisin, ne donne lieu par elle-même à aucune action en dommages-intérêts contre le propriétaire qui l'a effectuée 19.

§ 195.

1. De la défense de déverser sur le fonds d'autrui des eaux pluviales, ménagères, ou industrielles, et spécialement de l'égout des toils.

Le propriétaire ne peut se livrer à aucun acte, ni faire sur son fonds aucun travail ou ouvrage qui aurait pour résultat de déverser sur le fonds du voisin des eaux que ce dernier ne serait pas tenu de recevoir en vertu de l'art. 640, c'est-à-dire des eaux autres que celles de source ou de pluie, découlant par la pente naturelle du terrain, d'un fonds supérieur sur un fonds inférieur1.

Ainsi, il ne peut faire écouler sur le fonds voisin, ni des eaux de fontaine ou de puits, ni des eaux ménagères ou industrielles, ni même celles qu'il aurait amenées sur son fonds pour les besoins de la culture et de l'irrigation'.

Ainsi encore, le propriétaire d'une cour ne pourrait, au moyen d'un changement apporté au niveau du terrain, en établir la pente de manière à diriger sur le fonds voisin les eaux pluviales tombant dans cette cour3.

Dans toutes ces circonstances, le propriétaire est obligé de

Sir., 31, 1, 110. Grenoble, 5 mai 1834, Sir, 34, 2, 491. Req. rej., 15 janvier 1835, Sir., 35, 1, 957. Civ. rej., 26 juillet 1836, Sir., 36, 1, 819. Crim. rej,, 13 avril 1844, Sir., 44, 1, 664. Civ. cass., 4 décembre 1849, Sir., 50, 1, 33. Voy. cependant en ce qui concerne le périmètre de protection accordé aux sources d'eaux minérales déclarées d'intérêt public: Loi du 14 juillet 1856; § 198, texte et note 14.

1o Il en serait bien entendu autrement, si l'auteur de la démolition avait agi méchamment, ou s'était rendu coupable d'une grave imprudence. Cpr. Demolombe, XII, 648.

C'est en expliquant ultérieurement l'art. 640, que nous examinerons la question de savoir si la servitude légale établie par cet article est ou non applicable aux eaux d'une source que le propriétaire d'un fonds y a fait jaillir par des fouilles ou des sondages.

* Duranton, V, 154. Pardessus, Des servitudes, I, 82. Daviel, Des cours d'eau, III, 754. Taulier, II, p. 359. Du Caurroy, Bonnier et Roustain, II, 264. Demolombe, IX, 23; XII, 584. Req. rej., 15 mars 1830, Sir., 30, 1, 271.

3 Daviel, op. cit., III, 753. Marcadé, sur l'art. 640, no 2. Demolombe, IX, 23.

prendre les mesures nécessaires pour faire écouler les eaux dont il vient d'être parlé, soit sur des fonds à lui appartenants, soit sur la voie publique.

Par la même raison, le propriétaire d'un bâtiment est tenu d'établir ses toits de manière à faire tomber les eaux pluviales sur la voie publique, ou à les recevoir dans son fonds. Art. 681. Il doit donc, dans le cas où il ne peut les faire tomber sur la voie publique, soit établir des chéneaux destinés à les déverser sur un terrain à lui appartenant, soit laisser entre son mur et le fonds voisin un espace suffisant pour les recevoir.

Cette obligation lui incombe, alors même que le fonds voisin est inférieur au sien. Le seul point qui, dans cette hypothèse, puisse faire difficulté, est celui de savoir si, après avoir reçu sur son terrain les eaux provenant de ses toits, le propriétaire du bâtiment est autorisé à les laisser couler sur le fonds inférieur, en vertu de l'art. 640, ou s'il est, au contraire, tenu de leur procurer un écoulement suffisant sur son propre fonds. Cette question semble devoir se résoudre dans le premier sens ou dans le second, suivant que le nouvel état de choses ne constitue pas ou constitue une aggravation sensible de la servitude établie par l'article précité3.

Non-seulement le propriétaire ne peut, hors du cas prévu par l'art. 640, déverser sur le fonds voisin les eaux provenant du sien; il n'est pas même autorisé, tout en les retenant chez lui, à établir ou à laisser subsister un état de choses qui donnerait lieu à des infiltrations dommageables aux constructions établies sur le fonds d'autrui, et il doit prendre toutes les mesures nécessaires pour écarter cette cause de préjudice. C'est ainsi que, dans le cas où le larmier d'un bâtiment en fait tomber les eaux à une faible distance du mur du voisin, le propriétaire du bâtiment peut être tenu d'établir au-dessous de ce larmier une rigole pavée, avec une pente suffisante pour assurer l'écoulement des eaux'.

* L'art. 681 ne distingue pas. Pardessus, Des servitudes, 1, 212. Colmar, 5 mai 1819, Sir., 20, 2, 150. Req. rej., 15 mars 1830, Sir., 30, 1, 271.

*La solution donnée au texte est conforme à l'esprit qui a dicté la disposition da 3 al. de l'art. 640, Cpr. Delvincourt, I, part. II, p. 378; Pardessus, op. cit., 1, 213; Toullier, III, 538; Demante, Cours, II, 536 bis, II; Demolombe, XII,

586 et 589.

Pardessus, op. cit., I, 199 in fine. Demolombe, XII, 587. Req. rej., 13 mars 1827, Sir., 27, 1, 160.

'Delvincourt et Toullier, locc. citt. Pardessus, op. cit., I, 213. Marcadé, sur

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