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A la différence de la complainte qui, fondée sur la saisine possessoire, présente un certain caractère de réalité et peut être dirigée contre un tiers détenteur, en tant qu'il s'agit du délaissement de l'immeuble litigieux, ou du rétablissement des choses dans leur ancien état, la réintégrande, dont le principe générateur se trouve dans une voie de fait contraire à la paix publique, est essentiellement personnelle, et ne peut être exercée contre un tiers détenteur qu'autant qu'il serait à considérer comme complice de cette voie de fait, pour avoir succédé de mauvaise foi au spoliateur 15.

Le défendeur à la réintégrande n'est point admis à la combattre en offrant de prouver qu'il a la possession annale de l'objet litigieux. Il ne peut pas davantage la repousser par le motif que c'est à l'aide d'une voie de fait commise dans l'année, que le demandeur s'est procuré la détention actuelle de cet objet 17.

Le juge de paix saisi d'une action en réintégrande est compétent, non-seulement pour adjuger au demandeur les dommagesintérêts qui peuvent lui être dus, mais encore pour ordonner la restitution de l'objet litigieux et le rétablissement des choses dans leur ancien état.

En matière de réintégrande, les effets du jugement, qu'il ait admis ou rejeté la demande, ne sont que provisoires, même au point de vue de la possession, de telle sorte que la partie qui a succombé peut toujours, si elle se trouve d'ailleurs dans les conditions voulues, se pourvoir par la voie de la complainte, contre celle qui a obtenu gain de cause sur la réintégrande 18.

15 Cpr. L. 7, D. de vi et vi arm. (43, 16): § 184, texte et note 4; Bélime, no 386. 10 Civ. cass., 17 novembre 1835, Sir., 36, 1, 15. Civ. cass., 5 mars 1841, Sir., 41, 1, 295. Req. rej., 3 mai 1848, Sir., 48, 1, 714.

17 Civ. cass., 5 août 1845, Sir., 46, 1, 48.

18 Devilleneuve, Observations, Sir., 37, 1, 609. Pardessus, Des servitudes, II, no 328, p. 277 et 278. Proudhon, Du domaine privé, II, 492. Req. rej., 28 décembre 1826, Sir., 27, 1, 73. Civ. cass., 5 avril 1841, Sir., 41, 1, 295.

LIVRE PREMIER.

DES DROITS SUR LES OBJETS EXTÉRIEURS CONSIDÉRÉS

INDIVIDUELLEMENT.

151

PREMIÈRE DIVISION.

DES DROITS RÉELS (JUS RERUM).

SECTION PREMIÈRE.

DE LA PROPRIÉTÉ.

SOURCES. Code Napoléon, art. 544 à 577, 647 et 648, 671 et 672, 674 à 681, 2219 et suiv. Loi du 23 mars 1855, sur la transcription. -BIBLIOGRAPHIE. Traité du droit de domaine de propriété, par Pothier. Traité de la propriété, par Comte; Paris 1834, 2 vol. in-8°. Histoire du droit de propriété foncière en Occident, par Laboulaye ; Paris 1839, 1 vol. in-8°. Traité du domaine de propriété, par Proudhon; Dijon 1839, 3 vol. in-8°. Robernier, De la preuve du droit de propriété en fait d'immeubles; Paris 1844, 2 vol. in-8°.

$ 190. Introduction.

La propriété, dans le sens propre de ce mot (dominium), exprime l'idée du pouvoir juridique le plus complet d'une personne sur une chose, et peut se définir, le droit en vertu duquel une chose se trouve soumise, d'une manière absolue et exclusive, à la volonté et à l'action d'une personne1.

Les facultés inhérentes à la propriété ne sont pas susceptibles d'une énumération détaillée. Elles se résument dans la proposition suivante: le propriétaire peut à volonté user et jouir de sa

'Telle est l'idée que les rédacteurs du Code paraissent avoir voulu exprimer dans l'art. 544. Mais en disant que « la propriété est le droit de jouir et de dis*poser des choses de la manière la plus absolue », cet article fait plutôt, par voie d'énumération des principaux attributs de la propriété, une description de ce droit, qu'il n'en donne une véritable définition,

chose, en disposer matériellement, faire à son occasion tous les actes juridiques dont elle est susceptible, enfin, exclure les tiers de toute participation à l'exercice de ces diverses facultés.

Quoique la propriété soit un droit absolu de sa nature, l'exercice en est cependant soumis à diverses restrictions établies dans l'intérêt public2.

D'un autre côté, les facultés inhérentes à la propriété ne peuvent être exercées qu'à la condition de ne point porter atteinte à la propriété d'autrui. De là, certaines limites que, pour leur intérêt réciproque, les propriétaires voisins ne doivent pas dépasser dans l'exercice de ces facultés.

Enfin, la propriété peut se trouver modifiée par l'effet de servitudes légales ou conventionnelles. Mais, par cela même qu'elle constitue de sa nature un droit absolu et exclusif, elle est légalement présumée libre de toutes servitudes : Quilibet fundus præsumitur liber a servitutibus. D'où la conséquence, que celui qui réclame une servitude sur le fonds d'autrui, est tenu d'en établir l'existence, alors même que de fait il aurait la quasi-possession de cette servitude.

La propriété confère en général les mêmes avantages, qu'elle s'applique à des meubles ou à des immeubles. Toutefois, la propriété des meubles, qui de fait est moins certaine et moins stable que celle des immeubles, ne jouit pas non plus, d'après notre Droit, de la même protection et des mêmes garanties légales que cette dernière. Ainsi, par exemple, le propriétaire de meubles corporels ne peut, sauf les cas de perte et de vol, les revendiquer contre des tiers détenteurs'. Ainsi encore la loi, sous le rapport de la capacité d'aliéner, s'est montrée moins exigeante pour l'aliénation des meubles que pour celle des immeubles.

Dans l'acception véritable du mot, la propriété ne se comprend que pour les choses corporelles.

Mais le terme propriété a été étendu à des choses incorporelles, pour désigner le droit exclusif d'en user et d'en disposer.

2 C'est à ces restrictions que fait allusion la disposition finale de l'art. 544: « pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règle

ments.»

3 Cpr. Traité de la propriété mobilière, par Chavot; Paris 1839, 2 vol. in-80 Examen de la propriété mobilière en France, par Rivière; Paris 1854, 1 vol.

in-8°.

Art. 2279. Voy. au § 183 l'explication de cet article.

5 Le terme dominium avait reçu en Droit romain des extensions analogues.

C'est ainsi que l'art. 711 du Code Napoléon dit que la propriété des biens s'acquiert et se transmet par succession, par donation entre vifs ou testamentaire, et par l'effet des obligations » ; et que l'art. 136 du Code de commerce parle de la propriété d'une lettre de change.

C'est ainsi encore qu'on qualifie de propriété littéraire, artistique, ou industrielle, le droit exclusif des auteurs, artistes, ou inventeurs, sur la valeur pécuniaire de leurs compositions, œuvres d'art, ou inventions, valeur qui se détermine par les profits commerciaux ou industriels qu'on peut retirer de la reproduction ou de la mise en application de ces créations ou découvertes".

Enfin, dans un sens analogue, on désigne sous le nom de propriété des offices, la valeur pécuniaire du droit de présentation que l'art. 91 de la loi du 28 avril 1816 assure aux titulaires de certains offices ministériels.

L'examen de la nature et de l'étendue des droits ou pouvoirs de l'État sur les biens compris dans son territoire, a conduit les publicistes à distinguer le domaine éminent et le domaine du Droit civil. Mais ce que l'on entend par domaine éminent ne constitue pas un véritable droit de propriété. Ce domaine, en effet, ne

C'est ainsi que la loi 3, D. si usuf. pet. (7, 6), parle du dominium ususfructus, et la loi 70, § 1, D. de V. S. (50, 16), du dominium universum hereditatis.

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* Les œuvres de l'esprit, les créations de l'art, et les découvertes scientifiques ou industrielles cessent, par leur essence même, de former pour leur auteur un bien individuel, dès qu'il les a livrées à la publicité, en ce sens du moins qu'à partir de ce moment elles profitent à l'humanité tout entière, et que chacun peut se les assimiler et en jouir. Mais l'idée d'un droit privatif et d'une jouissance exclusive se comprend parfaitement en tant qu'on l'applique à la valeur pécuniaire qui, dans les conditions économiques des sociétés modernes, s'attache à la faculté de reproduire ou de mettre en pratique ces œuvres, ces créations, ou ces découvertes. Seulement on peut se demander si le droit exclusif à cette valeur existe indépendamment et en dehors de toute loi positive, et si par suite il y a pour le législateur un devoir impérieux de le sanctionner, ou si, au contraire, il est simplement équitable et utile qu'il le fasse. Cette dernière solution est, à notre avis, la plus juridique, puisqu'il s'agit d'un droit tout particulier, qui ne saurait se comprendre que dans un état social donné, et qui de sa nature même se trouve, pour son établissement et sa conservation, soumis à la réglementation de la loi. C'est en partant de ces idées que les diverses législations qui ont reconnu ce droit privatif, en ont limité la durée à un certain terme. De là aussi la nécessité de conventions internationales pour la garantie réciproque de la propriété littéraire, artistique et industrielle. Voy. Code international de la propriété industrielle, artistique et littéraire, par Pataille et Huguet ; Paris 1855, 1 vol. in-8°.

donne pas au souverain le droit de disposer des choses qui appartiennent à des particuliers ou à des personnes morales; il l'autorise seulement à soumettre l'exercice du droit de propriété aux restrictions commandées par l'intérêt général, à exiger du propriétaire le paiement de l'impôt, et à lui demander, pour cause d'utilité publique, le sacrifice de sa propriété, moyennant une juste et préalable indemnité". Art. 545. Cependant quelques jurisconsultes sont allés jusqu'à attribuer à l'État un droit de propriété primordial sur tous les biens compris dans son territoire; et c'est même sur le fondement de cette théorie, que la Cour impériale de Paris avait reconnu à l'État un privilége ou un droit de prélèvement sur tous les biens dépendants d'une succession, pour le recouvrement des droits de mutation par décès. Mais cette doctrine a été justement condamnée par la Cour de cassation, comme conduisant à la négation même du droit de propriété, et comme étant également contraire aux principes fondamentaux de notre Droit public et de notre Droit civil.

Nous n'aurons à nous occuper spécialement, ni de la propriété littéraire et artistique", ni de la propriété industrielle 10, ni de celle

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«< Au citoyen, a dit Portalis, appartient la propriété, au souverain l'empire.» Exposé de motifs (Locré, Lég., VIII, p. 152 et suiv., nos 6 à 8). Cpr. Hello, De l'inviolabilité du droit de propriété, Revue de législation, 1845, II, p. 5. 8 Civ. cass., 23 juin 1857, Sir., 57, 1, 401. Cet arrêt a été rendu au rapport de M. le conseiller Laborie, dont le remarquable travail est un traité ex professo sur la matière.

Voy. sur la propriété littéraire et artistique: Loi des 13-19 janvier 1791; Loi des 19 juillet - 6 août 1791; Arrêté du 1er germinal an XIII; Décret du 8 juin 1806; Décret du 5 février 1810, art. 39 et 40; Avis du Conseil d'État du 23 août 1811; Code pénal, art. 425 à 430; Loi du 3 août 1844; Loi du 8 avril 1854; Essai sur la propriété littéraire, par Florentin Ducos, Paris 1825, in-8°; Collection des procès-verbaux de la commission de la propriété littéraire, Paris 1826, in-40; Traité des droits d'auteurs dans la littérature, la science et les beaux-arts, par Renouard, Paris 1838, 2 vol. in-8°; Traité de la contrefaçon en tous genres, par Blanc, Paris 1855, 1 vol. in-8°; Études sur la propriété littéraire en France et en Angleterre, par Paul Laboulaye, Paris 1858, 1 vol. in-8°; La propriété littéraire au dix-huitième siècle, par Laboulaye et Guiffrey, Paris 1860, 1 vol in-8°; Du projet de loi sur la propriété littéraire, par Cosati, Revue pratique, 1862, XIII, p. 112; Sur la perpétuité de la propriété littéraire, par Hérold, Revue pratique, 1862, XIII, p. 394; Historique et théorie de la propriété des auteurs, par Gastambide, Toulouse 1862, broch. in-8°; Rapport présenté à l'Académie de législation de Toulouse sur le précédent ouvrage, par Bressolles, Toulouse 1862, broch. in-8°.

to Sous le titre général de propriété industrielle, nous comprenons celle des

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