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exception qui tient au principe de la séparation des pouvoirs, le juge de paix, même valablement saisi de la complainte, serait incompétent pour ordonner la suppression ou la modification de travaux exécutés en vertu d'actes administratifs 62.

§ 188.

b. De la dénonciation de nouvel œuvre1.

La dénonciation de nouvel œuvre est une action possessoire ayant pour objet de faire ordonner la suspension de travaux qui, sans causer un trouble actuel à la possession du demandeur, produiraient ce résultat s'ils venaient à être achevés 2.

Pansey, op. cit., chap. 38; Req. rej., 15 mars 1826, Sir., 26, 1, 349; Req. rej., 14 mars 1827, Sir., 27, 1, 383.

62

Cpr. texte no 3 et notes 26 à 28 supra. Civ. cass., 22 mars 1837, Sir., 37, 1,406.

1

Cpr. sur cette matière : Dissertation, par Alban d'Hauthuille, Revue de législation, 1836-1837, V, p. 351 et 444, et VI, p. 49 et 278.

La dénonciation de nouvel œuvre, dont le nom et la première idée nous viennent du Droit romain, avait été transformée par nos anciens auteurs en une action possessoire, qui ne se distinguait de la complainte en cas de saisine et de nouvelleté, que par certains caractères particuliers, sur lesquels cependant on n'était pas complétement d'accord. L'ordonnance de 1667 et le Code de procédure n'ayant fait aucune mention de la dénonciation de nouvel œuvre, on comprend que ce silence ait conduit à soutenir que cette action ne forme plus, sous l'empire de notre législation nouvelle, une action possessoire distincte de la complainte; et telle est aussi l'opinion que, d'accord avec Zachariæ (§ 187 a), nous avions adoptée dans nos premières éditions. Cependant la Cour de cassation avait explicitement ou implicitement admis, en différentes circonstances, l'existence de la dénonciation de nouvel œuvre, comme action possessoire sui generis. Voy. les arrêts cités à la note 61 du § 187. C'est dans cet état des choses que fut rendue la loi du 25 mai 1838, dont l'art. 6 mentionne spécialement la dénonciation de nouvel œuvre, en la rangeant avec la complainte au nombre des actions possessoires. En présence de cette disposition, il nous paraît difficile de prétendre encore que cette dénonciation se confonde entièrement avec la complainte. La seule difficulté est, à notre avis, de savoir en quoi elle diffère de cette dernière, et quels en sont les caractères distinctifs. Pour nous, nous y voyons une sorte de fusion de la novi operis nuntiatio du Droit romain avec la complainte. Cette manière de voir nous amène à dire qu'elle diffère de la complainte en ce qu'elle peut être formée à raison d'un trouble simplement éventuel, et qu'elle n'en diffère que sous ce rapport. Cette donnée fondamentale une fois admise, les caractères et les effets particuliers de cette action s'en déduisent tout naturellement. Nous hésitons d'autant moins à admettre la dénonciation de nouvel œuvre ainsi comprise, que le demandeur, qui se trouve exposé à se voir troublé dans sa pos

La dénonciation de nouvel œuvre exige, comme la complainte, une possession annale revêtue des caractères indiqués par l'art. 2229 du Code Napoléon. Mais elle en diffère en ce qu'elle peut être formée à raison d'un trouble simplement éventuel, tandis que la complainte n'est admise que pour un trouble actuel.

D'après sa nature et son objet, la dénonciation de nouvel œuvre ne peut s'appliquer qu'à des travaux exécutés sur un fonds autre que celui du demandeur, et qui sont encore en cours d'exécution'.

En matière de dénonciation de nouvel cenvre, le juge ne peut, comme en matière de complainte, ordonner la suppression des travaux commencés: il doit, lorsqu'il accueille l'action, se borner à en prescrire la suspension.

Du reste, les autres règles développées au § 187 s'appliquent, mutatis mutandis, à la dénonciation de nouvel œuvre.

$189.

c. De la réintégrande.

La réintégrande est une action au moyen de laquelle celui qui a été dépouillé par voie de fait d'un immeuble, ou de la jouissance d'un droit réel immobilier susceptible d'action possessoire, de

session par l'achèvement de travaux commencés, a un intérêt légitime à prévenir le trouble, en s'opposant à la continuation de ces travaux, et que, d'un autre côté, le défendeur, qui peut toujours faire écarter la demande, en établissant que les travaux, tels qu'il entend les exécuter, ne sont pas de nature à porter atteinte à la possession du demandeur, n'aurait dans l'hypothèse contraire aucun motif sérieux et raisonnable pour les continuer. Cpr. Troplong, De la prescription, I, 313 et suiv.; Req. rej., 4 février 1856, Sir., 56, 1, 433.

En effet, des travaux entrepris sur le fonds d'autrui constituent toujours un trouble actuel pour le possesseur de ce fonds, et donnent ainsi ouverture, non à une simple dénonciation de nouvel œuvre, mais à une véritable complainte, alors même qu'ils ne sont point encore achevés.

Par cela même que la dénonciation de nouvel œuvre tend simplement à faire suspendre la continuation de travaux commencés, elle devient sans objet lorsque les travaux sont complétement achevés. Mais à supposer qu'il en résulte un trouble réel à la possession, le possesseur pourra recourir à la voie de la complainte, qui sera encore recevable, pourvu qu'elle soit formée dans l'année à partir du moment où, par leur état d'avancement, les travaux ont réellement porté atteinte à sa possession. Cpr. § 186, texte no 2 et note 11; § 187, texte et note 61; Req. rej., 26 juin 1843, Sir., 43, 1, 753.

mande à être réintégré dans sa détention ou dans sa jouissance, en vertu de la maxime Spoliatus ante omnia restituendus 1.

La réintégrande est une action possessoire sensu latissimo, en ce que, d'une part, elle ne porte que sur la possession ou la détention, sans toucher au fond du droit, et en ce que, d'autre part, elle doit, comme toutes les actions possessoires, être intentée dans l'année de la dépossession et portée devant le juge de paix de l'objet litigieux. Code de procédure, art. 3, no 2. Loi du 25 mai 1838, art. 6, no 1. Mais elle diffère des actions possessoires proprement dites, et spécialement de la complainte, en ce qu'elle

* Nous avons indiqué au § 184, texte et note 4, l'origine de la réintégrande, qui, admise d'ancienne date dans notre Droit, avait été formellement consacrée par l'art. 2, tit. XVIII, de l'ordonnance de 1667, comme action distincte de la complainte. Quoique cette distinction ne se trouve pas reproduite par le Code de procédure, qui semble, au contraire, confondre toutes les anciennes actions possessoires en une seule, la Cour de cassation, se fondant sur l'art. 2060, no 2, du Code Nap., a toujours considéré la réintégrande comme ayant été conservée par notre législation nouvelle avec les caractères qu'elle avait autrefois. Sa jurisprudence a été vivement combattue; et un grand nombre d'auteurs se sont prononcés pour l'opinion contraire, à laquelle nous nous étions nous-mêmes rangés dans nos premières éditions. Mais la controverse nous paraît devoir cesser en présence de l'art. 6 de la loi du 25 mai 1838, qui, à notre avis, a définitivement sanctionné la jurisprudence de la Cour suprême, en classant la réintégrande, avec la complainte et la dénonciation de nouvel œuvre, au nombre des actions possessoires sur lesquelles le juge de paix est appelé à statuer. On objecte, à la vérité, que cette loi n'est qu'une loi de compétence, ce qui est exact. Mais, cette concession faite, il n'en reste pas moins certain que le législateur de 1838 a envisagé la réintégrande comme une action distincte de la complainte; et l'on est dés lors amené à se demander ce que c'est que cette action, et quels en sont les caractères distinctifs. Or, pour décider cette question, sur laquelle nos lois nouvelles ne fournissent aucun élément de solution, il faut nécessairement, comme l'a fait la Cour de cassation, recourir aux dispositions de notre ancien Droit. Voy, dans ce sens : Henrion de Pansey, Compétence des juges de paix, chap. 52; Favard, Rép., vo Complainte, sect. II, no 4; Duranton, IV, 246; Pardessus, Des servitudes, II, 328; Proudhon, Du domaine privé, II, 490 à 492; Garnier, p. 42 et suiv.; Daviel, Des cours d'eau, I, 470; Bélime, nos 371 à 381; Devilleneuve, Observations, Sir., 36, 1, 15; 37, 1, 615, à la note, et 39, 1, 641. Voy. aussi les arrêts cités aux notes suivantes. Voy. en sens contraire Toullier, XI, 123 et suiv.; Poncet, Des actions, no 99; Rauter, Cours de procédure, § 395; Troplong, De la prescription, I, 305 et suiv., et De la contrainte par corps, sur l'art. 2060; Vazeille, Des prescriptions, II, 708; Carré et Chauveau, Lois de la procédure, 1, 107 et 107 bis ; Curasson, De la compétence des juges de pair, II, p. 35 à 64; Boitard, Leçons de procédure, II, p. 455; Benech, Des justices de paix, p. 239 et 267; Alauzet, p. 150 et 254; Crémieu, nos 227 à 231, et 249 à 260; Bolland, Examen de la doctrine de la Cour de cassation relati

est accordée bien moins pour la garantie et la conservation de la possession, que pour la réparation du fait illicite et contraire à la paix publique dont s'est rendu coupable l'auteur d'une dépossession consommée par voie de fait.

La réintégrande n'exige pas pour son admission une possession proprement dite, et qui réunisse tous les caractères indiqués par l'art. 22292. Ceux qui ne détiennent que pour le compte d'autrui, tels que le fermier ou le créancier sur antichrèse, sont admis à la former tout comme le possesseur animo domini 3.

La réintégrande n'exige pas davantage une possession annale*. Elle requiert seulement, dans la personne de celui qui l'intente, une détention actuelle, c'est-à-dire la détention au moment de la perpétration de la voie de fait à raison de laquelle l'action est formée. Toutefois, cette détention doit, d'après les motifs mêmes sur les lesquels est fondée la réintégrande, être publique et paisible. D'où il suit que celui qui ne s'était procuré la détention d'une chose qu'au moyen d'actes violents, n'est point admis à former la réintégrande, lorsqu'il a été dépossédé à son tour, même par voie de fait, si d'ailleurs il ne s'est point écoulé, depuis la cessation de la violence, un délai moral suffisant pour faire considérer sa détention comme paisible 7.

La réintégrande suppose, en outre, non pas seulement un simple trouble, mais une dépossession. Encore faut-il que cette dépossession ait été consommée par des voies de fait exercées contre

vement à l'action possessoire appelée réintégrande, Paris et Grenoble 1859, broch. in-8°; Zachariæ, § 187 a, texte et note 4.

2

Req. rej., 18 février 1835, Sir., 35, 1, 886.

Civ. cass

1, 641. Req. rej., 25 mars 1857, Sir., 58, 1, 453.

3

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Bélime, no 383. Req. rej., 10 novembre 1819, Sir., 20, 1, 209. Req. rej., 16 mai 1820, Sir., 20, 1, 430.

* Req. rej., 10 novembre 1819, Sir., 20, 1, 209. Req. rej., 28 décembre 1826, Sir., 27, 1, 73. Req. rej., 4 juin 1835, Sir., 35, 1, 413. Civ. cass., 17 novembre 1835, Sir., 36, 1, 15. Civ. cass., 5 avril 1841, Sir., 41, 1, 295. Civ. cass., 5 août 1845, Sir., 46, 1, 48. Civ. cass., 22 novembre 1846, Sir., 47, 1, 286. Req. rej., 10 août 1847, Sir., 48, 1, 63,

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Civ. rej., 11 juin 1828, Sir., 28, 1, 220. Civ. rej., 12 décembre 1853, Sir., 55, 1, 742.

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Bélime, no 382. Req. rej., 10 août 1847, Sir., 48, 1, 63. Req. rej., 25 mars 1857, Sir., 58, 1, 453.

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les personnes ou contre les choses, et qui soient d'une nature assez grave pour compromettre la paix publique ".

Toute dépossession, soit d'un fonds, soit de la jouissance d'un droit immobilier susceptible d'action possessoire, autorise la réintégrande, lorsqu'elle a été opérée par des actes qui, tels que la démolition d'édifices, de digues ou barrages, la destruction de clôtures, le comblement de fossés, ou l'enlèvement de pierresbornes, constitueraient des crimes ou des délits, s'ils avaient été commis au préjudice du propriétaire 10.

On doit même aller plus loin et admettre la réintégrande, lorsque la dépossession a été consommée par des actes arbitraires et violents qui, sans constituer des délits de Droit criminel, seraient de nature à autoriser, indépendamment même de la dépossession, une action en dommages-intérêts contre leur auteur "1.

Mais de simples voies de fait, exemptes des caractères aggravants qui viennent d'être indiqués, quoique pouvant motiver une complainte, ne suffisent pas pour fonder la réintégrande. C'est ainsi qu'une simple anticipation de terrain, commise même après bornage, mais sans dévastation de plants ou de récoltes, n'autorise pas la réintégrande 12. A plus forte raison, la dépossession opérée à l'aide de travaux qu'un tiers a faits sur son propre fonds, est-elle insuffisante pour y donner ouverture 13. Du reste, celui qui a demandé, sur le fondement d'une possession annale, à être maintenu dans cette possession, ne peut prétendre, devant la Cour de cassation, que son action a été mal à propos rejetée en tant que complainte, sous le prétexte qu'elle constituait une réintégrande".

* Req. rej., 28 décembre 1826, Sir., 27, 1, 73.

* Cpr. Code pénal, art. 437, 444, 445, 449 el 456. Civ. cass., 17 novembre 1835, Sir., 36, 1, 15. Civ. cass., 19 août 1839, Sir., 39, 1, 641. Civ. cass., 5 avril 1841, Sir., 44, 1, 196. Civ. cass., 5 avril 1841, Sir., 41, 1, 295. Civ. cass., 5 août 1845, Sir., 46, 1, 48. Civ. cass., 22 novembre 1846, Sir., 47, 1, 286. Req. rej., 10 août 1848, Sir., 48, 1, 63. Req. rej., 25 mars 1857, Sir., 57, 1, 453.

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Cpr. Rej. rej., 18 février 1835, Sir., 35, 1, 886; Reg. rej., 4 juin 1835, Sir., 35, 1, 413; Req. rej., 3 mai 1848, Sir., 48, 1, 714; Req. rej., 8 juillet 1861, Sir., 62, 1, 617.

* Req. rej., 12 mai 1857, Sir., 57, 1, 808.

Req. rej., 13 novembre 1838, Sir., 39, 1, 605. Req. rej., 6 décembre 1854, Sir., 56, 1, 208.

14

Req. rej., 9 février 1837, Sir., 37, 1, 609, Cpr. Civ. rej., 12 décembre 1853, Sir., 55, 1, 742.

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