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Dans ces cas encore, les parties nomment-elles un juge d'équité parce qu'elles croient la loi en opposition avec celle-ci? Nullement. Mais elles se rendent compte qu'une disposition générale, et ce sont les seules que puissent contenir la loi, faite et bien faite pour le plus grand nombre de cas, peut cependant ne pas convenir à certaines hypothèses particulières. Et cela, personne ne peut le

contester.

Nous avons ainsi cherché à montrer quel caractère particulier présente l'arbitrage, lorsque les arbitres ont la qualité d'amiables compositeurs, et quelle utilité pratique il peut offrir. Il nous faut maintenant examiner rapidement l'historique de cette institution.

Historique. - Tout porte à croire que l'arbitrage fut la première étape du progrès qui achemina les sociétés naissantes vers l'établissement d'une organisation judiciaire. A l'origine des sociétés, il ne dut y avoir d'autres moyens de faire respecter son droit que l'emploi de la force brutale. Mais de bonne heure, les hommes, surtout lorsqu'ils se trouvaient réunis par les liens du sang ou quelque communauté d'intérêt, durent souhaiter un moyen pacifique de terminer leurs contestations. L'idée leur vint alors

de s'adresser à quelque sage, ou à quelque chef respecté, et de lui demander d'intervenir dans leurs discussions et de prononcer entre eux. L'arbitrage constitua ainsi la première forme de la justice. « L'histoire nous apprend, dit Grotius, que les premiers souverains étaient les arbitres naturels de leurs sujets, et même très souvent, des querelles de leurs voisins (1). » — « Pone hic coram fratribus meis et fratribus tuis, et judicent inter me et te (2). »

On ne dut pas tarder à reconnaître les avantages que présentaient ces solutions amiablement obtenues. De là, naquit l'idée de substituer d'une façon constante, au sein du groupe social l'emploi de moyens pacifiques aux hasards et à l'injustice des moyens violents.

L'institution d'une justice permanente, qui constitua un si grand progrès dans les rapports des hommes entre eux, est donc née de l'usage de l'arbitrage.

Et peut-être, quelque jour, l'humanité assisterat-elle à une transformation analogue dans les rapports non plus des hommes entre eux, mais des nations entre elles. Il est permis, en effet, si non encore d'entrevoir, du moins d'espérer que l'usage

1. GROT.US et BARBEYRAC.

2. Genèse, 31, V. 36 et 37.

Droit de la guerre, liv. II, ch. XXIII, § 8.

de plus en plus fréquent des arbitrages internationaux amènera ce grand progrès: et fera entrer l'humanité dans cette ère de paix universelle qu'on a justement appelée « l'ère de l'état juridique des nations ».

Lorsque les sociétés furent munies d'organismes judiciaires, on pourrait croire que l'usage de l'arbitrage qui en était en quelque sorte la forme embryonnaire devait disparaître.

Il n'en fut rien. L'usage de l'arbitrage se maintint partout. Nous en trouvons des traces chez les Indous (Code des Gentoux, p. 114 et 142). Chez les Grecs Solon disait aux Athéniens : « Si les citoyens veulent choisir un arbitre pour terminer les différends qui se seront élevés entre eux pour leurs intérêts particuliers, qu'ils prennent celui qu'ils voudront, d'un commun accord; qu'après l'avoir pris ils s'en tiennent à ce qui aura été décidé; qu'ils n'aillent point à un autre tribunal; que la sentence de l'arbitre soit un arrêt irrévocable (1). » Les Romains également en connurent de tous temps l'usage (2).

Sans doute fut-il souvent un remède contre une organisation judiciaire encore imparfaite. Chez

1. DEMOSTHENE. In Midiana, Leg. attic. p. 344.

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2. Loi des XII tables: TIT. Liv, liv. IV, no 12.

les peuples à demi-sauvages, l'idée de justice devait être encore fort obscure et son application très défectueuse. Les plaideurs cherchaient dans le recours à un arbitre un moyen de fuir la cupidité, les abus de pouvoir, les frais ruineux, la partialité des tribunaux.

Mais la survivance de l'arbitrage s'explique surtout par cette raison que la mission de l'arbitre et celle de juge ne furent pas considérées comme d'une nature identique. Le juge devait appliquer la loi dans toute sa rigueur. L'arbitre, au contraire, intervenait surtout pour arranger, pour concilier les parties. I statuait plutôt suivant sa conscience. que suivant les textes écrits. Equo et bono judicat, disait-on. - « Arbiter æquum judicitur, judex vero legem (1). » — « Judicem formula includit, et certos, quo non excedat, terminos ponit; arbitri libera, et nullis astricta vinculis religio, et detrahere aliquid potest, et adjicere, et sententiam suam, non prout lex aut justicia suadet, sed prout humanitas et misericordia impulit, regere (2). » — « Ad judicium hoc modo venimus, et totam litem aut obtineamus, aut amittamus. Ad arbitrium hoc animo

1. ARISTOTE au liv. III de sa Rhétorique THENE, loc. précité.

2. SÉNÈQUE.

Des bienfaits, liv. III, ch. vì.

Voy. encore Démos

adimus ut neque nihil neque tantum quantum postulavimus, consequamur (1). »

Les fonctions d'arbitre se confondaient, on le voit, avec celles qui sont attribuées dans nos lois à l'amiable compositeur. Ce fut pendant la féodalité que la distinction se fit jour. Notre ancien droit, en effet, qui emprunta l'institution de l'arbitrage aux lois romaines, y apporta d'importantes modifications.

A Rome, la sentence n'était qu'un acte contractuel. Les parties qui compromettaient s'engageaient, moyennant une peine, à soumettre leurs procès à un arbitre et cette convention était sanctionnée. Mais lorsque la sentence était rendue, il n'y avait pas res judicata : et l'une des parties pouvait toujours porter le procès devant le juge en s'exposant à la pæna (Dig. L. 13, P. 5. De his III, II). Dans notre ancien droit, on en arriva peu à peu à reconnaître à la sentence l'autorité de la chose jugée. « Mise est ramenée à la semblance des jugements, » dit Pierre Desfontaines (2). Il ne fut plus permis de recommencer le procès devant un tribunal, et l'usage de la pœna fut remplacé par une

I. CICERON. Pro roscio, no 4, 5, 6. — Voyez encore: DIG. L. XXXII, § 15, de receptis IV, viii.

2. Conseils à un ami, chap. xIx, § 1.

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