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même à Grenoble, où le général Marchand s'était mis en état de défense.

Les portes de la ville étaient fermées. La garnison couvrait les remparts. Elle était composée du 3 régiment du génie, du 5 de ligne, dont un bataillon marchait depuis le matin sous le drapeau impérial, du 4° de hussards, et du 4° d'artillerie, où Napoléon avait été capitaine. Du haut des remparts, où s'était portée la population de la ville, la garnison étail frappée d'étonnement de voir s'avancer Napoléon avec sa troupe, l'arme renversée, et marchant avec joie anx cris de vive Grenoble! vive la France! vive l'empereur! L'enthousiasme est électrique chez tous les hommes dans les circonstances qui surprennent tout-à-coup leur raison. Les remparts de Grenoble retentirent soudain des mêmes acclamations, et soudain les portes de la ville furent brisées par les habitans. « Tiens, » dirent-ils à Napoléon, au défaut » des clefs de ta bonne ville, en >> voici les portes.» Tout est >> décidé maintenant, dit Napoléon » à ses officiers, tout est décidé, >> nous allons à Paris. » Il fit réimprimer et publier ses proclamations, et répandre le bruit qu'il était suivi du roi de Naples, à la tête de 80,000 hommes; que l'Autriche marchait aussi pour lui, etc.; ceci était pour le peuple, exalté déjà au plus haut degré par la lecture des proclamations. Le lendemain 8 mars, reconnu et complimenté solennellement comme empereur par toutes les autorités civiles, judiciaires, militaires et ecclésiastiques, il leur dit : « J'ai

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>> su que la France était malheureu»>se; j'ai entendu ses gémissemens >> et ses reproches.... Mes droits »> ne sont autres que les droits du peuple..... je viens les repren»>dre, non pour régner, le trône »n'est rien pour moi; non pour » me venger, je veux oublier tout » ce qui a été dit, fait et écrit de»puis la capitulation de Paris.... »J'ai trop aimé la guerre, je ne >>la ferai plus..... Nous devons oublier que nous avons été les »maîtres du monde.... Je veux » régner pour rendre notre belle » France libre, heureuse et indé»pendante.... Je veux être moins » son souverain que le premier et le » meilleur de ses citoyens.... J'au»rais pu venir attaquer les Bour» bons avec des vaisseaux et des »flottes nombreuses; je n'ai voulu » des secours ni de Murat, ni de » l'Autriche.... » Napoléon n'était point changé. Il était aussi peu disposé à rendre ses droits à la nation qu'il avait pu être dans le cas de refuser les flottes et les armées de Vienne et de Naples; mais il redevint subitement l'homme des soldats et du peuple, dont son retour merveilleux avait subitement saisi, exalté toutes les facultés. Aussi, à la revue qu'il passa de la garnison de Grenoble, l'enthousiasme public fut porté jusqu'au délire, surtout après ces paroles qu'il adressa au 4° d'artilÏerie:

« C'est parmi vous que j'ai fa » mes premières armes; je vous saime tous comme d'aciens caai suivis sur >> marades. Je vo >> le champ de bataille, et j'ai tou»jours été content de vous; mais »j'espère que nous n'aurons pas

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>> besoin de vos canons. Il faut à »la France de la modération et » du repos. L'armée jouira, dans » le sein de la paix, du bien que je » lui ai déjà fait et que je lui ferai » encore. Les soldats ont retrouvé »en moi leur père; ils peuvent » compter sur les récompenses » qu'ils ont méritées. » Après la revue, la garnison se mit en marche sur Lyon, au nombre de 6,000 hommes. Le soir, Napoléon écrività l'impératrice et au roi Joseph. Les courriers ne manquèrent pas de dire sur leur passage, et le peuple de répéter, qu'ils portaient l'ordre à l'impératrice de venir avec le roi de Rome rejoindre l'empereur. Cependant Napoléon ne se contenta pas à Grenoble de prendre possession de l'opinion; il reprit aussi celle du pouvoir impérial, en décrétant qu'à dater du 15 mars, les actes publics seraient faits et la justice rendue en son nom. L'organisation des gardes nationales dans les cinq départemens qu'il venait de traverser ne fut point oubliée, et avant de quitter Grenoble, il adressa cette proclamation aux habitans de l'Isère:

« Citoyens, lorsque dans mon » exil, j'appris tous les malheurs » qui pesaient sur la nation, que >> tous les droits du peuple étaient méconnus, et qu'on me repro>> chait le repos dans lequel je vivais, »je ne perdis pas un moment, je >> m'embarquai sur un frêle navire, je traversai les mers au mi

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des vaisseaux de guerre de » différeas nations. Je débarquai » seul sur le sʊ de la patrie, et je >> n'eus en vue que d'arriver avec »la rapidité de l'aigle dans cette »bonne ville de Grenoble, dont le

patriotisme et l'attachement à >>ma personne m'étaient particu» lièrement connus. Dauphinois, » vous avez rempli mon attente ; j'ai supporté, non sans déchire»ment de coeur, mais sans abatte» ment, les malheurs auxquels j'ai » été en proie il y a un an. Le spec» tacle que m'a offert le peuple sur » mon passage m'a vivement ému. >>Si quelques nuages avaient pu altérer la grande opinion que j'a»vais du peuple français, ce que j'ai vu m'a convaincu, qu'il était toujours digne de ce nom de » GRAND PEUPLE, dont je le saluai il »y a 20 ans. Dauphinois, sur le »point de quitter vos contrées »pour me rendre dans ma bonne

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ville de Lyon, j'ai senti le besoin »de vous exprimer toute l'estime »>que m'ont inspirée vos sentimens » élevés. Mon cœur est tout plein » des émotions que vous y avez >> fait naître; j'en conserverai tou» jours le souvenir. »

Il y avait sept jours que Napoléon était en France, lorsque le Moniteur apprit à la France ce grand événément par une ordonnance royale, qui mettait ce prince Hors LA LOI, et par une proclamation qui convoquait sur-le-champ les deux chambres. Le lendemain, ce même journal annonça que Napoléon, abandonné des siens, poursuivi par la population et les garnisons, errait dans les montagnes et ne pouvait manquer d'échapper à la haine commune. Comme on connaissait le Moniteur depuis le commencement de la révolution, et qu'on connaissait aussi Bonaparte, les nouvelles de cette feuille officielle n'eurent pas un grand credit. Toutefois il y eut deux opi

nions: l'une était celle de la masse, qui croyait aux succès de Napoléon; l'autre était celle de la cour, qui méprisait cet ennemi, comme 25 ans auparavant elle avait méprisé celui qui s'appela la révolution. Cependant on ne put cacher long-temps l'épisode de Grenoble, ni la marche sur Lyon; en conséquence, MONSIEUR, M. le duc d'Orléans, et le maréchal Macdonald, partirent en toute hâte pour cette ville, où ils devaient marcher avec 25,000 hommes contre le fugitif conquérant. M. le duc d'Angoulême, le maréchal Masséna, les généraux Marchand et Duvernet, devaient lui fermer la retraite. Sur ses flancs était le général Lecourbe. Le maréchal Oudinot marchait à la tête de ses invincibles grenadiers tout le midi était levé. Enfin, le 11 mars, on annonça à Paris que Bonaparte venait d'être complètement battu du côté de Bourgoing. Cependant il a vait couché à Bourgoing le 9 sans coup-férir, et le 10, à 7 heures du soir, il avait fait son entrée à Lyon, à la tête de l'armée envoyée pour le combattre. Il était descendu à l'archevêché que venait de quitter MONSIEUR, et il avait voulu y être gardé par la garde nationale à pied: celle à cheval s'étant présentée, «Nos institutions, lui dit-il, ne re» connaissent pas de gardes natio»> nales à cheval; d'ailleurs, vous » vous êtes si mal conduits avec le >>> comte d'Artois, que je ne veux point de vous.» En effet, de tous les nobles dont cette garde était presque entièrement composée, un seul avait suivi le prince, jusqu'à ce que sa personne fût hors de tout danger. Napoléon le fit ap

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peler. « Je n'ai jamais laissé, lui » dit-il, une belle action sans ré»compense. Je vous donne la croix »de la légion-d'honneur. » Cette action serait héroïque, si Napoléon n'avait pas voulu récompenser la fidélité qu'il voulait réveiller pour lui-même.

Aussi la scène va-t-elle changer parce que Napoléon n'est point changé. Jusqu'aux portes de Lyon, depuis le golfe Juan, il s'est dit le premier citoyen de la France, A Lyon, il reprend le sceptre. Il écrit à l'impératrice: Je suis

remonté sur mon trône. Il écrit au roi Joseph retiré en Suisse: J'ai ressaisi ma couronne. Ille charge de faire déclarer à la Russie, à l'Autriche, aux puissances, qu'il veut tenir loyalement le traité de Paris. On doit croire cependant qu'il était entièrement décidé, vis-à-vis de lui-même, à abjurer l'esprit de conquêtes, puisqu'il répète à Lyon, aux autorités, ce qu'il avait dit sur sur sa route: «J'ai »été entraîné par la force des évé»> nemens dans une fausse route. » Mais instruit par l'expérience, » j'ai abjuré cet amour de la gloi»>re, si naturel aux Français, qui » a eu pour la France et pour moi »tant de funestes résultats.... Je »me suis trompé en croyant que le » siècle était venu de rendre la Fran» ce le chef-lieu d'un grand empi»re. » Il est clair, en songeant aux proportions de l'empire qu'il avait perdu, que par grand empire Napoléon entendait parler au moins de L'EUROPE. Telle était donc sa première pensée, en rentrant en France, celle de n'être plus un conquérant. Mais la seconde fut d'être un souverain.

« J'y suís décidé, disait-il le len» demain ; je veux dès aujourd'hui » anéantir l'autorité royale et renvoyer les chambres. Puisque j'ai »repris le gouvernement, il ne doit » plus exister d'autre autorité que » la mienne. Il faut qu'on sache, » dès à présent, que c'est ▲ MOI >> SEUL qu'on doit obéir.» Alors il dicta ces frop fameux et trop justement fameux décrets de Lyon. Par le premier, il prononçait la dissolution des deux chambres, et il ordonnait la réunion à Paris en assemblée extraordinaire du champ-de-Mai, des collèges électoraux de l'empire, soit pour corriger, disait-il, nos institutions, soit aussi pour assister au couronnement de l'impératrice, notre très-chère et bien aimée épouse, et à celui de notre très-cher et bien

aimé fils. Par le second décret, il rétablissait contre les émigrés non radiés, rentrés en France depuis le 1er janvier 1814, la rigoureuse législation des assemblées nationales, et de plus il frappait leurs biens du séquestre. Par le troisième, il rentrait au 1er article dans le système de la révolution, en abolissant la noblesse et les titres féodaux. Mais au 3me article, il rentrait dans son système impérial, en confirmant la jouissance des titres à ceux qui les avaient reçus de lui, et en se réservant par le 4 article de les concéder à sa volonté, aux héritiers des grandes notabilités de la France dans tous les âges et dans tous les genres d'illustration. Le quatrième décret congédiait tous géné raux et officiers de terre ou de mer, qui avaient été introduits dans nos armées depuis le 1er a

vril 1814, et qui soit émigrés ou non avaient quitté le service à la première coalition contre la France. Le cinquième rappelait à leurs fonctions tous les magistrats éliminés, parce que tous les membres de l'ordre judiciaire sont inamovibles par nos constitutions. Un sixième décret ordonnait le séquestre sur les biens des émigrés à tous les établissemens publics à qui ils avaient été repris. Le huitième, licenciait la maison du roi et les Suisses. Le neuvième enfin, supprimait tous les ordres royaux. Tels furent les décrets de Lyon. Ils reconstituaient tout le pouvoir impérial, et satisfaisaient, non aux intérêts moraux, mais aux intérêts individuels de la révolution, ainsi qu'aux vengeances de l'époque. Le séquestre et la proscription d'un côté, de l'autre la noblesse impériale par privilége exclusif, le couronneinent de l'impératrice, celui de son fils, étaient loin d'être les gages de cette liberté que voulait la France et dont Napoléon s'était, au golfe Juan, proclamé le dispensateur. De tous ces décrets il n'y avait de populaire que celui qui abolissait en France le service étranger; les autres furent et durent être désavoués par les amis d'une véritable liberté, par ceux qui ne voulaient, ni la proscription, ni le bon plaisir. Mais comme les vrais citoyens sont en petit nombre dans tout état, ces décrets eurent la faveur du peuple, faveur que l'enthousiasme rendait séditieuse contre lui-même, et qui dans l'adversité devint au moins inutile si ce n'est fatale à celui qui l'avait provoquée. Le noble refus que fit le grand-maréchal Bertrand,

en sa qualité de major-général, de contresigner les décrets, ne doit pas être passé sous silence.

Le 12 mars 1815, Napoléon reprenait la route du pouvoir avec la même pensée, la même volonté,qui lui avaient fait rompre à Châtillon, et même à Prague, les négociations de la paix, qui l'avaient porté à se faire empereur, consul à vie, premier consul, à détruire au 18 brumaire la représentation nationale par la force, à concevoir le projet de conquérir l'Asie à Saint-Jean d'Acre, et la France à Aboukir, à être déjà à sa première entrée à Milan le maître de l'armée de la république, et le souverain de ses conquêtes, et enfin à faire la paix à Léoben sans l'aveu de son gouvernement. Pour arriver à la domination, Napoléon était tout d'une pièce, si on peut le dire, il n'agissait qu'avec un seul moyen. Il séduisait et fanatisait le peuple et les soldats, proclamait son pouvoir en leur nom, restait seul, tout seul hors de l'égalité, traduisait la liberté légale par l'indépendance politique, donnait la législature à un conseild'état, ajoutait la police au code civil, ne concevait la responsabilité des ministres qu'envers lui seul, et couvrait de trophées le joug sous lequel la nation décimée criait : Vive l'empereur! Dans une telle combinaison, qui fut invariable, aucune aristocratie, ni parlementaire, ni nobiliaire, ni ministérielle, ne pouvait exister. Par conséquent les élémens de la moindre résistance étaient inconnus. Il y avait égalité uiverselle devant celui qui tenait le sceptre;

le grand empire présentait deux êtres complets dans leur condition, le sujet et le maître. C'était une grande fatalité, mais sans laquelle Napoléon ne pouvait exister. Il en était dominé lui-même, et il y succomba deux fois. Les décrets de Lyon ne furent que les échos du passé. La tendre popularité de ses adieux aux habitans de cette importante cité les livrait comme de nouveaux oracles à l'ivresse de la multitude.

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«Lyonnais, deur dit-il le 13 » mars, au moment de quitter vo»tre ville pour me rendre dans MA capitale, j'éprouve le besoin de >> vous faire connaître les senti>> mens que vous m'avez inspirés. » Vous avez toujours été au premier rang dans mes affections. Sur le >> trône ou dans l'exil vous m'avez >>> toujours montré les mêmes sen» timens; le caractère élevé qui » vous distingue, vous a mérité >> toute mon estime. Dans des mo» mens plus tranquilles, je revien» drai pour m'occuper de vos ma»nufactures et de votre ville. » Lyonnais, je vous aime. » Et les cris de vive la nation! vive l'empereur! accueillirent túmultueusement les adieux de Napoléon.

La veille de son départ Napoléon apprit que le maréchal Ney avait un commandement. Il chargea le général Bertrand de lui écrire ce qui venait de se passer, et de lui dire qu'il serait responsable de la guerre civile. « Flattez»le, mais ne le caressez pas trop; il » croirait que je le crains et se fe→ »rait prier. »

Le 13, Napoléon coucha à Châlons, où il reçut un envoyé de

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