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les phalanges coururent au drapeau. Le mot d'invasion fut électrique, et le sentiment de se rallier autour des nobles débris de Moskou, fut tout-puissant sur cette jeunesse belliqueuse, que Napoléon allait commander en personne, Cependant s'il cherchait à obtenir un nouvel empire sur l'opinion, par les immenses préparatifs militaires dont toute la France était ébranlée, il ne négligea pas de se l'assurer encore par un traité de haute politique, qui pouvait rattacher la cause de la France à celle de la cour de Rome, et resserrer nos relations avec les puissances catholiques. Le 25janvier, à la suite d'une chasse à Grosbois, il se rendit inopinément à Fontainebleau, traita lui-même avec le pape, et après trente-six heures de conversation et d'explication, dans les meilleures formes, avec le saint-père, il obtint ce que n'avaient pu obtenir tous les négocia teurs qu'il lui avait envoyés. Un concordat fut signé. Mais la publication de ce traité, qu'il voulait tenir encore secret, l'irrita. Ce traité eut le sort de ceux qui sont conseillés par la nécessité, et qui n'ont de garantie que la bonne foi des contractans. Les intérêts temporels l'emportèrent bientôt sur ceux de l'église. L'institution canonique des évêques de France, convenue par le concordat, leur fut pas donnée, et la nouvelle religion de la coalition prévalut sur le rétablissement juré à Fontainebleau, de l'antique exercice du pontificat en France. Cette défection, toute politique en ellemême, exerça une grande puissance morale sur l'Italie et sur les

ne

états catholiques, et elle ne se montra sous son vrai jour qu'aux stipulations du traité de Paris.

Cependant, le 5 janvier, la trahison du général York avait ouvert aux Russes les portes de Koenigsberg, et, le 27, le roi de Naples avait remis au vice-roi d'Italie le commandement général de l'armée. Investi par l'empereur de la conservation de ce dépôt sacré pour la France, ce souverain avait, de son propre mouvement et sans avoir consulté Napoléon, quitté le quartier-général de Posen, et reprenait, déguisé en voyageur allemand, la route de ses états. Dix jours après, le 27 janvier, le Moniteur publia l'article suivant « Le roi

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de Naples, étant indisposé, a dû » quitter le commandement de l'ar»mée, qu'il a remis au prince vice»roi. Ce dernier a plus l'habitude d'une grande administration; il a la confiance entière de l'empe»reur. » Le 24, Napoléon avait écrit, de Fontainebleau, à la reine de Naples : « Le roi a quitté l'ar»mée votre mari est très-brave sur » le champ de bataille, mais il est

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plus faible qu'une femme ouqu'un »moine quand il ne voit pas l'en»nemi; il n'a aucun courage mo»ral. » Deux jours après, il écrivait au roi lui-même « Je ne » vous parle pas de mon méconten»tement de la conduite que vous avez » tenue depuis mon départ de l'ar

mée: cela provient de la faiblesse: » de votre caractère. Vous êtes un » bon soldat sur le champ de batail>> le; mais, hors de là, vous n'avez »ni vigueur, ni caractère. Je sup» pose que vous n'êtes pas de ceux » qui pensent que le lion est mort,

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>>et qu'on peut . .

» si vous faisiez ce calcul, il serait » faux. Vous m'avez fait tout le » mal que vous pouviez depuis mon » départ de Wilna, mais nous ne parlerons plus de cela. Le titre de >> roi vous a tourné la tête : SI VOUS » DÉSIREZ LE CONSERVER, CONDUISEZ» VOUS BIEN. »

Cette dernière phrase, et surtout l'article du Moniteur, ne pouvaient qu'égarer davantage, et peut-être irriter au plus haut degré, un esprit que Napoléon lui-même savait être aussi faible qu'il le dépeignait. Et ici, peutêtre, n'est-il pas hors de propos de remarquer que Napoléon s'était plus fait d'ennemis implacables par les personnalités dont il attaquait directement, dans son Moniteur, les hommes puissans de l'Europe, que par ses violences envers les gouvernemens euxmêmes. On se rappelle ce qui fut écrit contre lord Castelreagh, contre le comte de Stadion, contre le baron de Stein, contre la reine de Prusse, etc. On se souvint de tout, au premier et au second traité de Paris, où la vengeance était entre les mains des offensés.

Le roi de Prusse avait publiquement témoigné son indignation sur la conduite du général York. Une correspondance avait lieu entre ce prince et le cabinet de France; elle ne cessait de protester de la fidélité du roi à l'alliance, rendait compte des ordres donnés pour le jugement du général et son arrestation, et de son remplacement dans le commandement des troupes prussiennes. Mais on assure que, dans le même temps, d'autres protestations é

taient faites à Wilna, et mieux accueillies. On est même porté à croire que la nouvelle des désastres de notre armée était parvenue à Berlin antérieurement au 20 décembre 1812, et que le cabinet, à l'insu du roi, dont la bonne foi ne fut jamais soupçonnée par le gouvernement français, avait donné au général York des pouvoirs extraordinaires, d'où était résultée la convention de Tauroggen; de sorte que toutes ces protestations, les unes du roi à la France, les autres de son cabinet à la Russie, étaient également véritables, et eurent alors le même succès dans la confiance des deux empereurs. Mais le cabinet, organe caché du Tugend - bund, l'emporta bientôt sur le prince, et tandis qu'il arguait vis-à-vis de celui de France de la neutralité devenue nécessaire de son souverain, toutefois sous le prétexte que cette neutralité se trouvait compromise à Berlin par le voisinage et les mouvemens des armées belligérantes, il décida le roi, le 22 janvier, à partir pour Breslaw.

Dans cette dernière ville, l'alliance conserva encore des formes amicales, et le 16 février, elle en prit même de protectrices, par la note que le baron de Hardenberg adressa au comte de Saint-Marsan, ambassadeur de France. Cette note avait pour objet la proposition de l'entremise de la Prusse pour une négociation entre les deux empereurs, et celle d'une trève, en vertu de laquelle les places fortes de l'Oder seraient remises aux Prussiens, ainsi que les villes de Pillaw et de Dantzick, conjointement aux

Saxons; les Russes devaient se retirer sur la Vistule, et les Français sur l'Elbe, et la neutralité serait accordée aux provinces prussiennes et saxonnes situées entre ces

deux fleuves. Mais Napoléon refusa cette proposition par la confiance étrange qu'il donna au cabinet de Vienne, et aux sentimens de son beau-père. Cependant, la neutralisation subite du contingent autrichien ne lui était pas inconnue, et il devait calculer, indépendamment de l'exemple si dangereux de l'accession prussienne aux intérêts de la Russie, tout le poids que la Prusse entière allait mettre militairement contre lui dans les chances de la guerre. Ce refus de Napoléon redoubla l'irritation du Tugend-bund prussien, dont il avait si impolitiquement refusé les propositions à l'époque qui suivit la bataille d'Iéna. L'union de la vertu lui demandait alors d'affranchir l'Allemagne, et de lui donner des constitutions représentatives. Son refus lui fit une ennemie implacable de cette association, qui venait de lui enlever la coopération prussienne par la défection du général York, et qui le menaçait d'une vengeance nationale; mais Napoléon dédaigna la haine de la Prusse et l'intervention de son souverain, et dix jours après, le 27 février, le baron de Hardenberg signait à Breslaw le traité d'une alliance offensive et défensive entre la Russie et la Prusse. Ce traité n'était toutefois qu'une ampliation d'un premier traité qui avait été stipulé dans les preniers jours de février à Wilna et à Kalisch, mais dont l'exécution dépendait du refus des proposi

T. XIV.

tions émises le 16 par la note du baron de Hardenberg. Cependant à la faveur du maintien de sa neutralité, ou sous le prétexte même de son alliance, la Prusse avait employé les intervalles de la négociation, à multiplier ses forces et ses armemens. Les édits de Breslaw des 5, 9 et 20 février avaient appelé aux armes toute la population virile de la Prusse, et un mois après, la Prusse complait 130,000 combattans. Mais le traité du 27 février, signé à Breslaw, était encore secret pour la cour des Tuileries, à laquelle il ne fut notifié que le 16 mars suivant. La sixiè̟me coalition continentale était formée contre la France.

A cette époque, le grand coup d'état européen se préparait silencieusement dans le nord de l'Europe. Il était venu de l'Angleterre, avait provoqué et suivi les malheurs de nos armées. Il marchait sous les bannières russes, s'était introduit déjà avec succès dans les conseils de la Prusse, et avait poussé une heureuse reconnaissance jusque dans la capitale de l'Autriche. Deux diplomates, sir Horace Walpole, pour le cabinet de Londres, et le comte de Stakelberg pour le cabinet russe, arrivaient à Vienne, sans caractère officiel, mais non pas sans mission. Ils y furent bientôt accrédités par les nouveaux intérêts dont ils flatterent l'Autriche, et par la haine personnelle que M. de Stadion, digne héritier des passions du prince de Kaunitz, portait à la France et à Napoléon. Vienne devint bientôt un point central de correspondance entre les cours de Londres, de Pétersbourg et

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de Breslaw, M. de Lebzeltern fut envoyé par l'Autriche à Wilna, où résidait le comte de Nesselrode, et le comte de Stakelberg agissait à Vienne d'accord avec le baron de Humboldt, ministre prussien. Il n'y avait donc que la force des armes qui, après son dernier refus, pouvait protéger Napoléon contre une conspiration aussi bien ourdie. Ce moyen était extrême pour la France et même pour l'Europe. Le besoin de la paix était impérieux pour le continent comme aussi pour la Russie, dont toutefois la vengeance était légitime; la guerre à outrance n'était continuée et excitée que pour arriver à une paix durable par l'affaiblissement de la puissance de Napoléon. La Grande-Bretagne, excentrique dans sa politique comme dans sa position physique, n'avait d'autre but pour conserver l'empire des mers que l'abaissement de la France; et tandis qu'elle dirigeait sur le continent la grande conjuration du Nord et du Midi contre l'ennemi commun, son hôte auguste d'Hartwell publiait, dans les premiers jours de février, la déclaration suivante, que le cabinet britannique faisait jeter par ses croiseurs sur les côtes de France:

« Louis XVIII, etc...., etc..... » Le moment est enfin arrivé où » la divine providence semble prête à briser l'instrument de sa co»lère. L'usurpateur du trône de » saint Louis, le dévastateur de l'Europe, éprouve à son tour des >> revers. Ne feront-ils qu'aggraver. » les maux de la France, et n'o» sera-t-elle renverser un pouvoir odieux que ne protége plus le

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prestige de la victoire? Quelles »préventions, ou quelles craintes pourraient aujourd'hui l'empê>> cher de se jeter dans les bras de » son roi, et de reconnaître dans l'établissement de sa légitime au»torité le seul gage de l'union, de » la paix et du bonheur, que ses »promesses ont tant de fois garantis à ses sujets opprimés?

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>> Ne voulant, ne pouvant tenir » que de leurs efforts le trône, que » ses droits et leur amour peuvent seuls affermir, quels vœux seront contraires à ceux qu'il ne cesse de former?quel doute pourrait s'éle»versurses intentions parternelles? » Le roi a dit dans ses déclara»tions précédentes (des 10 mars » 1799 et 2 décembre 1804), et il » réitère l'assurance que les corps >> administratifs et judiciaires se>>ront maintenus dans la plénitude » de leurs attributions; qu'il con>> servera leurs places à ceux qui >>en seront pouvus et qui lui prê>>teront serment de fidélité; que les tribunaux, dépositaires des » lois, s'interdiront toutes poursui>> tes relatives à ces temps malheu>> reux, dont son retour aura scellé » pour jamais l'oubli; qu'enfin le » code, souillé du nom de Napoléon, mais qui ne renferme en » grande partie que les anciennes >> ordonnances et coutumes du » royaume, restera en vigueur, si

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l'on en excepte les dispositions >>.contraires aux dogmes religieux, »assujettis long-temps, ainsi que » la liberté des peuples, aux capri>> ces du tyran.

» Le sénat, où siégent des hom» mes que leurs talens distinguent à juste titre, et que tant de ser» vices peuvent illustrer aux yeux

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>>

»d'abolir cette conscription fu»neste, qui détruit le bonheur des >> familles et l'espérance de la pa» trie.

>> Telles ont toujours été, telles » sont encore les intentions du roi. » Son rétablissement sur le trône » de ses ancêtres ne sera pour la »France que l'heureuse transition > des calamités d'une guerre que perpétue la tyrannie, aux bien» faits d'une paix solide, dont les » puissances étrangères ne peuvent trouver la garantie que dans la » parole du souverain légitinie. » Donné à Hartwell, i février » 1813. »

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» de la France et de la postérité, >> ce corps, dont l'utilité et l'in>>portance ne seront bien recon>>nues qu'après la restauration, »peut-il manquer d'apercevoir la >>> destinée glorieuse qui l'appelle » à être le premier instrument du » grand bienfait qui deviendra la » plus solide comme la plus hono>>rable garantie de son existence >> et de ses prérogatives? to red'a A l'égard des propriétés, le » roi, qui a déjà annoncé l'inten>>tion d'employer les moyens les plus propres à concilier les in>> térêts de tous, voit les nombreu>> ses transactions qui ont eu lieu » entre les anciens et les nouveaux >> propriétaires, rendre ce soin >>> presque superflu; il s'engagen » maintenant à interdire aux tri>>> bunaux toutes procédures con» traires à ces transactions, à en>> courager les arrangemens volon >> taires, et al donner lui-même, >> ainsi que sa famille, l'exemple: » de tous les sacrifices qui pour-glais eurent-ils l'ordre de le ré» ront contribuer au repos de la » France et à l'union sincère de >> tous les Françaisi

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Lord Castelreagh inclinait dans le conseil pour traiter avec Napoléon. Il n'en était pas de même de lord Liverpool, et de quelques autres ministres. Ceux-ci ne pouvaient pas négliger la publication d'un pareil document, qui exprimait le renversement du trône de Napoléon; aussi les croiseurs an

pandre sur les côtes de France. Mais le service des côtes était si bien fait, que cette déclaration fut » Le roiva garanti à l'armée la tout-à-fait inconnue de l'immense » conservation des grades, em- majorité des Français, et sans la plois, solde' et appointemens discussion qui eut lieu le 12 mars » dont elle jouit à présent. Il pro- suivant dans la chambre des com» met aussi aux généraux, officiers munes relativement à la part que et soldats qui se signaleront en le ministère anglais avait pu avoir >>faveur de sa cause, inséparable à la publication de cette adresse, » des intérêts du peuple français, elle fût restée presque entièrement · » des récompenses plus réelles, ignorée de l'Europe. Ce fut alors » des' distinctions plus honorables que lord Castelreagh, interpelé >> que celles qu'ils ont pu recevoir de déclarer si cette pièce avait été d'un usurpateur, toujours prêt publiée avec le concours ou l'assen» à méconnaître ou même à ré-timent des ministres, répondit douter leurs services. Le roi simplement, qu'elle l'avait été » prend de nouveau l'engagement sans leur sanction. Le peuple fran

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