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« 1° Que la paix n'a pas encore couronné les efforts de la Colombie, quoique ses armes aient expulsé l'ennemi de son territoire;

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2° Que le rétablissement d'un gouvernement absolu en Espagne ne permet plus d'espérer la reconnaissance de l'indépendance de la Colombie et de ses colonies, ils ont décrété ce qui suit:

Article unique. Le pouvoir exécutif lèvera 50,000 hommes, en diminuant ce nombre selon les circonstances. >>

Quoique ce décret n'ait pas trouvé d'opposition dans le congrès, il se manifestait pourtant des dissidences et des inquiétudes graves dans l'opinion sur l'expédition où Bolivar avait engagé la république nouvelle. Les uns l'accusaient assez hautement de sacrifier les intérêts de son pays à son ambition, ou du moins à sa gloire particulière; d'autres accusaient le vice-président Santander de ne lui avoir envoyé, malgré ses demandes réitérées, que quelques centaines d'hommes, avec lesquels il lui était impossible de lutter contre les forces espagnoles et les divisions du Pérou.

La difficulté venait de ce que le vice-président ne pouvait sans autorisation faire sortir les soldats colombiens du territoire de la république, et le vice-président proposait donc de donner cette autorisation. Le ministre des affaires étrangères, don Pedro Gual, déploya à cette occasion une éloquence qui aurait brillé aux premières tribunes de l'Europe; il fit sentir que la cause du Pérou était celle de la Colombie, et que, si on n'allait pas combattre pour son indépendance aux bords du Desaguadero, il fallait s'attendre à soutenir bientôt la même lutte sur les rives de l'Apure. L'autorisation demandée fut accordée sans difficulté (décret du 6 mai).

Entre les autres décrets rendus dans cette session, il faut citer celui qui a créé une caisse et un fonds d'amortissement. Le revenu public s'était élevé à sept millions de dollars; mais il s'en fallait bien que cette somme suffit aux dépenses courantes ou extraordinaires pour l'entreprise des travaux utiles. On fut donc obligé de recourir à un nouvel emprunt (décret du 30 juin) de 4,750,000 1. st. environ 13,000,000 de dollars portant intérêt à 6 pour cent, hypothéqué sur tous les revenus de l'État (1), spécialement sur celui du

(1) Le revenu général de l'État est estimé à 7 millions de piastres.

tabac, emprunt rachetable en trente ans, au moyen d'une caisse d'amortissement, dotée dabord de 47,500 liv. sterl. (environ 237,500 doll.). Cet emprunt a été contracté par une maison de Londres à 88 et demi pour cent, et les difficultés relatives à celui de 1822 ont été résolues d'une manière satisfaisante pour les intéressés.

Un autre décret a déclaré partie intégrante de la Colombie la côte des Mosquitos, depuis le cap Gracias a Dios jusqu'à la rivière de Chagres, et a interdit la colonisation de toute cette côte sans l'assentiment du gouvernement colombien. Ce décret était dirigé contre le général Mac-Gregor, qui voulait s'y faire un établis1 sement dont il sera question dans l'histoire de l'année prochaine.

On ne s'étendra point sur les autres travaux de la législature ou sur les actes de l'administration colombienne: celle-ci avait pris de nouvelles mesures sévères contre les Espagnols; elle avait entamé avec le saint-siège des négociations que le crédit de l'Espagne a fait échouer, et conclu (le 2 octobre) avec les États-Unis un traité d'amitié, de navigation et de commerce, basé sur la réprocité de droits et d'avantages la plus complète, remarquable surtout en ce qu'il établit (art. 12), de la manière la plus illimitée, la franchise du pavillon, en bornant toutefois les avantages qui en dériveraient aux scules puissances par qui ce principe serait reconnu. (Voy. l'Appendice).

Tout importantes que fussent ces transactions pour la Colombie, ses destinées paraissaient maintenant dépendre du sort d'une expédition étrangère : tous les regards étaient tournés vers le Pérou.

PÉROU.

D'après la défaite de la division columbo-péruvienne dans le district d'Arequipa, sur les rives du Desaguadero, la position de Bolivar et la cause de l'indépendance étaient fort compromises dans le Pérou. A peine restait-il à celui-là dix à douze mille hommes, en partie colombiens, pour occuper quatre à cinq cents lieues d'un pays dont les naturels étaient, les uns encore affectionnés à la cause royale, les autres jaloux des prétentions qu'apportaient chez eux

des étrangers avec les maux inséparables d'une incursion et de l'état de guerre. La victoire et l'enivrement de l'indépendance avaient caché ces conséquences funestes; mais la défaite allait développer les germes de la division secrète qui existait entre les Colombiens et les Péruviens....

Rien ne semblait alors empêcher le vice-roi la Serna, maître du haut Pérou, avec vingt à vingt-cinq mille hommes de troupes victorieuses, péruviennes en grande partie, de marcher sur Lima, d'y rétablir le gouvernement royal, et de chasser les Colombiens jusqu'au delà de Truxillo, où ils avaient encore à combattre l'insurrection de Pastos; mais, heureusement pour eux, la discorde était aussi dans le camp du vainqueur. Déjà la vieille querelle de la déposition du vice-roi Pezuela s'était réveillée; la Serna, élevé par une insurrection militaire à cette dignité (voy. l'Annuaire pour 1821, page 577), n'en avait pas reçu la confirmation royale. Libéral par principes, aussi-bien que les généraux Canterac et Valdès, il avait reçu les nouvelles de la révolution espagnole, et publié la constitution des cortès avec empressement : il croyait sans doute y trouver la garantie et l'aveu de son élévation... Tant que dura cet état de choses en Espagne, l'autorité de la Serna fut respectée au Pérou ; ses ennemis, les royalistes absolus ne manifestèrent point d'opposition; mais quand la cause des cortès parut sérieusement attaquée, celle des constitutionnels royalistes du Pérou commença à perdre, et il s'éleva au sein de l'armée une faction à la tète de laquelle se mit Olaneta, brigadier général, qui devait sa fortune au vice-roi Pezuela, qui s'était opposé à sa déposition, et qui se déclara partisan décidé de l'absolutisme. La victoire d'Oruro sur les patriotes, à laquelle il avait eu la plus grande part, les nouvelles d'Europe et l'invasion de l'armée française en Espagne, venaient de relever ses haines et ses prétentions; il ne prit plus la peine de les déguiser: il devint un ennemi dangereux pour la Serna, et la cause première des désastres arrivés à l'armée royale.

La Serna, s'il faut en croire à des rapports que sa conduite et d'autres circonstances ont justifiés, avait eu l'idée de mettre un terme à la guerre civile, et de concilier les opinions des Péruviens libéraux

ou encore attachés à l'Espagne, en opérant au Pérou une révolu tion pareille à celle du Brésil, c'est-à-dire en faisant une monarchie particulière, sur le trône de laquelle on aurait placé un infant ou tout autre prince de la maison de Bourbon. Il en avait fait l'ouverture au gouvernement des cortès, il en attendait encore la réponse lorsque Bolivar lui fit, après la bataille d'Oruro, des propositions d'accommodement, d'accord avec le président Torre Tagle, les ministres et plusieurs membres du congrès péruvien.

Dans la situation où tous les partis se trouvaient, Bolivar ayant éprouvé des pertes sensibles, ne recevant point de secours de Colombie, et voyant la division s'établir dans son armée, les Péruviens déjà fatigués de leurs alliés, le général espagnol redoutant les nouvelles d'Espagne et la réaction politique qui s'annonçait, prèta l'oreille aux propositions de Bolivar, et en donna connaissance à ses officiers généraux, qui furent d'avis d'entrer en pourparlers, à l'exception d'Olaneta, qui manifesta l'opposition la plus décidée à tout arrangement. D'ailleurs l'idée à laquelle tenait la Serna, d'é tablir à Lima le siége d'une monarchie indépendante avec un prince de la maison de Bourbon, ne pouvait pas convenir au chef républicain de la Colombie, et la négociation n'eut pas de suite; mais on verra qu'elle eut des résultats utiles à sa cause par l'embarras et la division qu'elle jeta dans les rangs des royalistes.

L'armée espagnole-péruvienne était séparée en deux corps : l'un sous le commandement du général Cauterac, appelée l'armée du nord, était destinée à marcher sur Lima et s'avançait dans la province de Tarma à 40 lieues de la capitale ; l'autre, sous le maréchal de camp Valdès, formait l'armée du sud dans la province d'Arequipa. Le vice-roi était à Cusco, point central du Pérou. Le brigadier don Antonio Pedro Olaneta était avec une troisième division de 2,500 hommes au Potosi, comme en observation du côté des provinces indépendantes de Buenos-Ayres.

De son côté, Bolivar, toujours à la tête du gouvernement de Lima, avait rallié les débris de l'armée de Santa-Crux, appelé les Péruviens à la défense de leurs foyers, et demandé des renforts à la Colombie; il avait approvisionné et mis en état de défense le

Callao; et malgré les mauvaises dispositions qu'il pouvait déjà remarquer dans plusieurs membres du gouvernement péruvien, surtout dans le président marquis de Torre-Tagle, il comptait pouvoir tenir dans la capitale jusqu'à ce que des levées nouvelles et l'arrivée des renforts attend us de la Colombie le missent en état de reprendre l'offensive; quand tout à coup, le 5 février, la garnison du Callao, composée de 4 à 500 hommes du bataillon des Andes et d'une compagnie d'artillerie du Chili, s'insurgea sous prétexte d'exiger la solde arriérée; les soldats mirent leurs officiers et le gouverneur ( Alvarado ) aux arrêts, et, sous la conduite d'un de leurs sergens Damazo Mozano), ils s'emparèrent de tous les postes, déclarant qu'ils ne mettraient bas les armes que quand ils seraient complétement payés... Jusque-là, cette sédition qui ressemblait un peu au mouvement qui eut lieu en 1814 à Strasbourg sous la direction du sergent Dalhousie, n'offrait aucune apparence de trahison. Mais tout à coup elle prit le caractère le plus grave: on menaça les révoltés : ils se mirent en défense; on leur offrit ensuite une partie de la solde vingt mille onces et ils en voulaient cent mille). Des négocians se cotisèrent; mais les insurgés ne voulurent rien entendre. On marcha contre eux; ils donnèrent la liberté et des armes aux prisonniers de guerre espagnols enfermés dans le fort; ils choisirent. pour commandant un de leurs officiers (le colonel D. CazaIrujo), qui paraît avoir été le moteur principal de l'insurrection, aborrèrent (9 février) le drapeau espagnol, ouvrirent le port aux bâtimens de la marine royale qui le bloquaient et envoyèrent demander au général Canterac un gouverneur et des renforts.

On peut juger de l'effet que causa cet événement à Lima. Callao était son port, sa forteresse, toute sa sécurité. L'exemple de la révolte était donné aux Péruviens, et la capitale était pleine de factions. L'armée royale victorieuse était à ses portes. Le congrès délibérant (10 février) sur le danger où se trouvait la république, déféra par un décret spécial au général Bolivar l'autorité la plus absolue, ôtant même au marquis de Torre-Tagle la présidence nominale dont il était investi, pour ne point gêner les volontés du dictateur... Et après avoir pris cette résolution, le congrès mit fin luiAnnuaire hist. pour 1824. 37

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