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sanglantes, suivant un recensement général fait à la fin de 1823, la population est de 935,335 individus, augmentation prodigieuse, sans exemple même aux États-Unis, où elle a été aidée par tant de causes, phénomène d'autant plus singulier de la civilisation, que, dans toutes les colonies dont la culture est confiée aux nègres, l'opinion générale était que la population ne pouvait se soutenir que par l'afflux continuel de la traite. Il paraît, d'après d'autres états fournis sur cette population, que l'éducation et l'agriculture ont fait des progrès proportionnés ; les écoles libres instituées par Christophe se sont multipliées sur tous les points; les grandes écoles publiques forment tous les jours des élèves en état d'être professeurs à leur tour : les villes ont leurs journaux et leurs cabinets de lecture. Quant à l'agriculture depuis 1814, l'acquisition de terrains non cultivés, les donations du gouvernement et la division du territoire des anciens colons ont élevé le nombre des propriétaires à soixante-dix mille, et tous ces nouveaux possesseurs cultivent leurs champs avec ardeur; les noirs restés dans la pauvreté sont forcés au travail par une police sévère sur le vagabondage. Il en résulte dans les mœurs une amélioration sensible, et dans la prospérité nationale des progrès remarquables. D'après les états officiels de 1822, l'exportation des sucres s'est élevée cette année à 652,541 livres pesant; celle du coton à 891,950 liv. ; celle du café à 35,117,834. La valeur de ces exportations, auxquelles il faudrait joindre celles du cacao, des bois, etc., est estimée à plus de neuf millions de dollars, tandis que l'importation n'a été que de trois millions; et sur ces exportations et importations le trésor a perçu plus de quatre millions de dollars.

Quant à la force armée, les troupes régulières offrent un effectif de 45,520 hommes, et les gardes nationales une masse de 113,328 hommes armés.

On trouve ces évaluations officielles à la suite de la proclamation du président d'Haïti, du 6 janvier 1824, ou dans des documens émanés de la même source.

Cette proclamation, rendue sur la crainte ou le bruit d'une expédition méditée en France contre Saint-Domingue, était suivie

d'un décret portant que les gardes nationales des villes et des campagnes seraient organisées sans délai; que tous les régimens de ligne devraient être maintenus au grand complet, suivant le rè-` glement de 1820; que les armes, munitions et attirails de guerre

seraient inspectés et tenus en ordre.

Il faut remarquer d'ailleurs que le président Boyer n'alléguait réellement aucun fait, aucune démonstration d'attaque de la part de la France; il semblait même attaquer plus particulièrement le gouvernement anglais, qui, en témoignant des dispositions à reconnaître l'indépendance des anciennes colonies espagnoles, refusait ou déclinait les propositions répétées du gouvernement haïtien.

« Il est évident, disait-il, que l'outrage fait au caractère haïtien est un déplorable effet de l'absurde préjugé résultant de la différence de couleurs. Oui, il faut le déclarer authentiquement, ce honteux motif est le seul sur lequel est basée l'injuste politique dont nous nous plaignons. Faut-il une nouvelle preuve de cette vérité? nous la trouverons, ô infamie! dans la proscription exercée aujourd'hui plus que jamais, dans certains pays, contre les hommes de la teinte des Haïtiens; nous la trouverons dans la reconnaissance ostensible que quelques puissances ont faite, tout en déclinant nos droits, des états républicains récemment établis dans l'Amérique méridionale. Ces étranges procédés, tout horribles qu'ils sont, paraîtraient moins surprenans à une époque moins avancée. On sait que le président s'en est vengé en ôtant aux Anglais les priviléges dont ils avaient joui dans les postes haïtiens, et en les soumettant aux mêmes droits que les autres nations. »

Au fait, pour quiconque réfléchit à la situation de la Jamaïque et de toutes les Antilles, la conduite du cabinet anglais n'avait rien que de plausible. Il est vrai que le président d'Haïti désavouait la participation qu'on prêtait à son gouvernement dans les troubles de la Jamaïque et de Demerari; il avait même interdit par un décret spécial toute communication des Haïtiens avec les îles; mais la reconnaissance de l'indépendance d'Haïti n'eût peut-être pas été sans danger pour les propriétaires de la Jamaïque, et pour tout le système colonial des Antilles. D'ailleurs il y avait là plus qu'une question politique, mais une question de propriété qu'il n'appartenait qu'au gouvernement français de résoudre.

Aussi voit-on dans les proclamations du président d'Haïti, au milieu de ses protestations et de ses mesures énergiques pour main

tenir l'indépendance du pays et l'affranchissement de ses compatriotes, un sentiment de réserve et de respect pour l'ancienne métropole. Il ne paraissait occupé que de mettre l'île en état de défense contre une invasion. On amassait dans l'intérieur des armes et des munitions, et même des combustibles pour brûler les villes à l'approche des Français. On approvisionnait, on fortifiait des points inaccessibles pour y conduire les femmes, les enfans et les vieillards. Du côté de Santo-Domingo même, où une conspiration se tramait par quelques Espagnols honteux d'obéir à des noirs, on n'était pas rassuré. Il sortait décret sur décret pour l'armement et la police de la population. Mais, en même temps qu'il faisait ces préparatifs, le président Boyer envoyait en France des députés chargés de négocier l'indépendance. Ces députés, partis au mois de mai, arrivèrent au mois de juin au Hâvre-de-Grâce, Ils eurent, d'après l'autorisation du ministre de la marine et des colonies, des conférences avec M. Esmangart, préfet du Bas-Rhin, ancien propriétaire à StDomingue; mais après trois mois de pourparlers sans résultats, les députés d'Haïti repartirent sans avoir rempli l'objet de leur

mission.

On n'a, pour juger de cette négociation, qui n'offre rien des formes diplomatiques suivies d'état à état, que les documens publiés par le gouvernement au retour de ses envoyés. Ils se sont plaints amèrement qu'après avoir provoqué l'ouverture de la négociation, la France eût refusé de reconnaître le principe qui devait lui servir de base, c'est-à-dire l'indépendance absolue de l'île; mais l'issue de cette affaire a prouvé qu'on différait moins sur les principes que sur les formes de l'arrangement.

A la nouvelle que la négociation était rompue, l'alarme se répandit dans la population. Le président Boyer ordonna de nouvelles mesures de défense. Il acheva l'armement de la garde nationale; il fit un appel à tous les hommes de couleur et noirs qui se trouvaient aux États-Unis, en leur promettant des terres. Mais ce projet de colonisation n'a pas eu de succès.

Quant à son administration intérieure, le président jouissait d'une grande popularité. On peut en juger par le décret du congrès

Haïtien (du 14 juillet), qui lui donna, au nom de la nation, la propriété de deux habitations en sucreries.

Au milieu des préparatifs qui se faisaient pour repousser un expédition dont la France ne s'occupait pas, on ne perdait pas l'espérance d'un accommodement avec la métropole. On sait que cette espérance a été réalisée ; et au moment où nous écrivons, cette question, si délicate et si difficile sous le rapport social et politique, a été résolue d'une manière qui a concilié les intérêts du pays et du commerce avec les droits des anciens colons et la dignité de l'ancienne métropole (1).

MEXIQUE.

Janvier. Au moment où le congrès constituant de la nouvelle république mexicaine recevait, dans l'envoi des commissaires anglais (MM.Ward, Harvey et O'Gorman), une espèce de reconnaissance, une grandeprovince, Guatimala se séparait d'elle; plusieurs autres témoignaient peu de dispositions à entrer dans la fédération, et Mexico même était en proie à des divisions; la chute d'Iturbide en avait laissé le germe. Là, comme partout où le despotisme militaire a voulu s'établir sur les ruines de la liberté, les ambitions particulières ne peuvent s'accommoder d'un régime où il ne suffit plus de plaire à un homme pour s'élever.

Cette faction, nombreuse au Mexique, se composait d'une grande partie des militaires et du clergé. Le congrès s'était montré modéré; le gouvernement suprême, composé d'hommes éclairés, ménageait soigneusement les partis... Il s'efforçait de réconcilier les habitans espagnols au nouvel ordre; il employait le faible produit

(1) L'indépendance d'Haïti a été reconnue, pour la partie française de l'ile, par voie d'ordonnance (du 17 avril 1825). D'après cette ordonnance, par le gouvernement d'Haïti, les ports de la partie française de l'île sont accepiće ouverts à toutes les nations; mais les droits perçus, tant à l'entrée qu'à la sortie des bâtimens, sont réduits à moitié pour les Français.-Les habitans verseront à la caisse des dépôts et consignations de France en cinq ans, et par cinquième, à compter du 31 décembre 1825, une somme de 150 millions destinés à dédommager les anciens colons.

Annuaire hist. pour 1824.

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des impôts de la douane à payer la solde arriérée des troupes; mais la faction y entretenait soigneusement le mécontentement, et parvint à y organiser l'insurrection. Le centre de ses manœuvres était à Mexico même. Là commandait le général Lobato (ancien cordonnier), parvenu dans la révolution à ce grade supérieur, en qui on avait eu une grande confiance à cause de ses idées saines et modérées, mais qui, affectant maintenant un zèle exagéré pour la cause de l'indépendance, accusait en toute occasion le pouvoir exé. cutif de faiblesse, ou même de trahison, et ne dissimulait pas l'intention de le renverser. Le gouvernement, instruit de ses intrigues avec d'autres généraux mécontens, s'était décidé à le faire arrêter, lorsque, se mettant à la tête d'une partie de la garnison de Mexico (environ 1000 hommes ), et annonçant lui-même le dessein de faire renvoyer du gouvernement ceux qu'il traitait d'Espagnols et d'hommes peu affectionnés à la république (Michelena et Dominguez, membres du pouvoir exécutif, Alaman, ministre des affaires étrangères), il envoya, le 24 janvier, au congrès constituant, au nom de l'armée, un message ou pétition pour le prier de porter un décret en conséquence, et de faire payer l'arriéré de la solde de l'armée. Le congrès ayant répondu au message qu'il en délibérerait quand les pétitionnaires seraient rentrés dans l'ordre, ceux-ci arrêtèrent qu'ils ne mettraient bas les armes que quand le souverain congrès constituant aurait mis le pouvoir exécutif dans les mains d'Américains patriotes, et renvoyé les Espagnols ou Américains peu attachés à la cause de leur pays, de tous les emplois, jusqu'à ce que l'Espagne se fût désistée de toute entreprise hostile, et eût reconnu l'indépendance du Mexique. De son côté, le gouvernement fit une proclamation au peuple, que Lobato voulait entrainer dans sa révolte, mais qui ne fit aucun mouvement. Cependant, pour ôter tout prétexte aux factieux, Michelena, Dominguez et Alaman offraient leur démission : le congrès la refusa, se déclara en permanence, et conféra au gouvernement tous les pouvoirs nécessaires pour rétablir la tranquillité. Deux jours se passèrent dans les angoisses d'une crise menaçante. Le congrès et le pouvoir exécutif, siégeant dans le même palais, n'avaient pour eux que leur

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