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L'orateur, développant ensuite son opinion personnelle, montrait par des faits tirés des trente dernières années que l'expérience du renouvellement intégral à toujours été funeste, tandis que le renouvellement partiel n'a jamais eu que d'heureux résultats. Rappelant les opinions récemment prononcées à la Chambre des pairs, il faisait remarquer que les adversaires du projet étaient des hommes dévoués au maintien de l'ordre et à la monarchie, qui, aux époques les plus orageuses de la révolution, avaient lutté courageusement contre l'anarchie dont ils ont failli être victimes; qui devaient par conséquent craindre plus que qui ce soit l'anarchie. et tout ce qui peut la favorisér.

Il cherchait à montrer combien sont restreintes aujourd'hui la liberté de la presse, celle de la tribune, celle des élections, le droit de pétition, etc...; et, jetant les yeux sur les institutions d'un peuple voisin, sur leur origine et leur développement, il établissait par des citations historiques que la liberté a été en Angleterre le résultat d'une lutte qui a duré pendant plusieurs siècles... Enfin son vote repoussait la loi comme dangereuse et tendante à dénaturer notre gouvernement.

(7 juin.) Le lendemain on entendit M. Dupille qui, en adoptant le renouvellement intégral, voudrait borner la durée des pouvoirs à cinq ans, mais en laissant à la sagesse royale le droit de proroger la Chambre pour un an, suivant ce qu'elle aviserait être utile au bien de l'État, en raison des circonstances politiques où il se trouverait.

M. Pavy, reconnaissant qu'il y a urgence, qu'il y a nécessité absolue à entreprendre les vastes et importantes délibérations qui doivent rendre notre législation civile et politique homogène, ne voudrait accorder la durée de cinq ans à l'assemblée actuelle sans renoncer aux avantages du renouvellement partiel.

Deux opinans furent encore entendus, M. Calemard de la Fayette, qui adoptait le renouvellement intégral et septennal sans restriction, comme un bienfait accordé à la paix publique et à la tranquillité des citoyens, une mesure féconde en conséquences utiles pour le trône, pour la législation, pour l'administration publique, pour la généralité des Français; et M. le baron Saladin, qui atta

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quait le projet comme inconstitutionnel, et regardait dans le cas de son adoption le renouvellement actuel comme indispensable, attendu que « c'est aux colléges électoraux, et non à la puissance législative, que la Charte demande des députés. »

Vingt orateurs avaient successivement occupé la tribune. Des deux côtés on avait abordé franchement la question, et les défenseurs comme les adversaires des différens systèmes qu'on opposait l'un à l'autre n'avaient évité aucune difficulté. Nous avons emprunté à chaque discours les argumens qui nous ont paru établir le mieux et l'opinion de l'orateur et le progrès de la discussion. Enfin, examinée sous toutes ses faces, la question générale paraissait suffisamment éclaircie, et l'assemblée en prononça la clôture.

A l'ouverture de la séance suivante, M. de Martignac, rappor teur de la commission, présenta dans un résumé impartial et lumineux les principales objections élevées contre la loi; il les avait presque toutes indiquées et combattues dans son rapport contre la loi, et il s'en référa aux premières conclusions.

Plusieurs amendemens annoncés dans le cours de la discussion furent alors produits, soit pour borner à cinq ans la durée de la Chambre élective, ou du moins celle de la Chambre actuelle à cinq ans (M. de Bouville), amendement qui fut combattu par M. de Vaublanc, et rejeté par la Chambre; seit pour introduire quelques modifications dans le système électoral, comme d'établir en faveur des propriétaires dépossédés par les confiscations révolutionnaires une sorte de propriété fictive qui leur conférerait les droits d'électeurs et d'éligibles (M. de Montrond). Un article additionnel, proposé par M. Leclerc de Beaulieu, portait que les députés qui seraient promus par le gouvernement à une fonction ou un emploi inamovible (excepté dans l'armée de terre et de mer), cesseraient, par le seul fait de leur acceptation, de faire partie de la Chambre, mais qu'ils pourraient y être réélus (disposition reproduite dans une proposition spéciale de M. de Sancowitz).

Ces amendeinens successivement développés eurent le même sort; ils furent tous rejetés.

Un autre, présenté par M. Benjamin Constant, n'eut pas même

l'honneur d'être appuyé; mais il n'en est pas moins remarquable de sa nature, et surtout par le discours que l'auteur prononça à ce sujet. Il admettait le renouvellement intégral pour la Chambre qui remplacerait la Chambre actuelle, et pour les suivantes; mais il en réduisait la durée à quatre ans, à dater de l'ordonnance de leur première convocation.

Dans son discours, d'ailleurs, l'habile orateur demandait en compensation de l'accord du renouvellement intégral d'autres innovations qu'il jugeait utiles et convenables, telles que la fixation de l'âge d'éligibilité des députés à trente ans, le partage de l'initiative des lois entre les deux Chambres et le Roi, etc., réformes que le parti de l'opposition essaierait probablement d'accomplir, si la septennalité faisait passer un jour entre ses mains le droit de révision qu'elle institue.

Arrivés au dernier terme de cette discussion, nous ne pouvons plus nous arrêter aux détails de ce discours, aux réflexions piquantes de l'orateur sur les dernières élections, sur le blâme que M. de Villèle avait jeté sur des agens malhabiles et maladroits, sur la composition d'une Chambre élective où la France allait être représentée par des hommes dans le déclin de la vie...

M. de Kergariou fit une courte réponse à cette critique piquante mais tardive du projet de loi; et la chambre passa, sans s'y arrêter, au scrutin, dont le dépouillement offrit plus des trois quarts des suffrages en faveur de la loi.

Nombre des votans: 379. — Boules blanches, 292. noires, 87.

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CHAPITRE IX.

Discussion et adoption d'un projet de loi pour l'admission des juges à la retraite, adopté par les deux Chambres. Établissement des communautés religieuses, projet rejeté par les pairs.

Objets divers.

Le principe de l'indépendance et de l'inamovibilité des juges est consacré en France on le retrouve même dans la vénalité des offices, d'où sortit, suivant la belle expression de M. Royer Collard, une magistrature admirable (voyez ci-dessus, page 185). Il avait été méconnu dans la révolution. Le gouvernement impérial y était revenu par une organisation nouvelle des tribunaux; mais là, comme dans d'autres parties de l'administration publique, il n'avait pas tardé à introduire dans le pouvoir qu'il avait semblé faire indépendant des germes de dépendance et de servilité. Tel était le fameux décret ou règlement de 1807, en vertu duquel il ne fallait rien de plus que le prétexte d'infirmités réelles ou prétendues, supposées, qu'un simple rapport pour forcer un juge à accepter sa retraite. La seule obligation qui fût imposée au ministre se réduisait à demander préalablement les observations de cc magistrat, sans autre contrôle ni recours.

Les juges, en vain déclarés inamovibles par la Charte, puisqu'ils dépendaient du caprice d'un ministre, étaient encore sous l'empire de ce règlement de 1807.Tous les tribunaux en désiraient l'abrogation; mais pourtant on sentait la nécessité d'y subsistuer une loi qui mît les tribunaux à l'abri de la désorganisation qu'entraîneraient des incapacités physiques ou morales de leurs membres, sans attenter aux principes sur lesquels ils sont institués.

Tel était le but d'un projet de loi présenté le 17 avril à la Chambre des pairs par M. le garde des sceaux.

L'inamovibilité ayant été accordée, disait S. G., afin que les fonctions de jage fussent mieux remplies, il est évident qu'elle ne peut cesser que lorsque le juge cesse lui-même de pouvoir ou de vouloir remplir ses fonctions. Ainsi la mort qui achève tout; la perte de la raison qui est la mort de l'homme intellectuel; la destruction des organes nécessaires aux opérations de l'esprit,

l'abdication, quand elle est prouvée selon la loi; les condamnations judiciaires, quand elles produisent l'incapacité civile seront autant de bornes où finira l'inamovibilité, mais seront les seules. Le juge est inamovible pour le prince, non pour la loi ni pour la nation; il est inamovible tant que la loi ne l'a pas fletri, tant que la nature ne l'a pas dépouillé de la faculté de voir et d'entendre, de concevoir et de prononcer. »

M. le garde des sceaux reconnaît qu'on peut craindre des erreurs et des injustices, et désirer des épreuves qui servent de garantie et d'abri contre la précipitation et l'arbitraire dupouvoir; mais il observe que la loi nouvelle a pris des précautions telles, que le juge ne pourra jamais redouter qu'on abuse envers lui de ce pouvoir dangereux, comme sous l'empire du décret du 2 octobre 1807, dont les formes étaient si brusques, si faciles et si expéditives. On n'entrera pas dans le détail des dispositions du projet qui justifia le ministre, et qui ne souffrit que de légères altérations. ( Voyez le texte de la loi.)

(8 mai). Ce projet, renvoyé à l'examen d'une commission spéciale, y éprouva quelques objections, moins dans le principe que dans les termes. M. le marquis d'Orvilliers, chargé d'en faire le rapport, signalant d'abord le caractère despotique et abusif du décret ou règlement du 2 octobre 1807, exprima le désir qu'il ne fût pas même rappelé dans le projet de loi, puisqu'il se trouvait entièrement abrogé. Il reconnaissait qu'il eût été difficile de multiplier avec plus de prudence et de ménagement, les garanties que pouvaient réclamer en même temps l'intérêt public et la sécurité des magistrats... Il ne trouvait à y faire que de légères modifications dans les termes en faveur du magistrat, qui pouvait fournir ou ne pas fournir les explications écrites ou verbales qui lui seraient demandées par les commissaires, etc., etc. Le noble rapporteur, insistant sur la nécessité de l'indépendance et de l'inamovibilité des juges, saisissait cette occasion de montrer que tel avait été, long-temps avant la Charte, le principe des ordonnances de nos rois dans la constitution de l'ancienne magistrature, où l'hérédité même avait été définitivement consacrée à cet égard; il ne craignait pas de dire que la vénalité de ces offices en France n'avait jamais été ce que l'ont allégué des novateurs de mauvaise foi, avides de bouleversemens et de désordres.

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