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CHAPITRE VII.

Présentation, rapport, discussion et rejet du projet de loi pour la conversion ou réduction des rentes à la Chambre des pairs. teaubriand.

Disgrâce de M. de Cha

TOUTES les questions semblent épuisées quand elles arrivent de la Chambre des députés à celle des pairs. A peine aussi trouvet-on communément dans les journaux du temps quelques lambeaux de leurs discussions, ordinairement si lumineuses. Elles nous semblent d'autant plus dignes d'être recueillies par l'histoire, que cette Chambre est incessamment recrutée en vertu de la prérogative royale, de talens qui ont honoré l'autre tribune, et d'hommes qui, tenant naguères eux-mêmes les rênes de l'administration publique, ayant acquis la connaissance et la pratique des affaires, ne doivent pas s'égarer, même dans leur opposition, en vaines théories, faites pour capter l'opinion populaire. Ce n'est pas là que, pour nous servir d'une expression pittoresque, on doit « parler par les fenétres. » Mais telle est sur le commun des lecteurs l'influence de l'habitude et la paresse de réflexion, que les travaux de cette Chambre restent toujours comme ensevelis dans ses procèsverbaux; la décision récemment prise sur la proposition de M. le marquis de Bonnay (conversion des rentes) n'a qu'incomplètement répondu à ses vues.

Toutefois, malgré cette défaveur attachée à la position politique de la Chambre haute, surtout dans les questions de finances, telle était encore l'incertitude des esprits sur la conversion des rentes, qu'on attendait la seconde discussion avec autant d'anxiété que la première.

(6 mai.) Le ministre des finances, en portant ce projet à la Chambre (le 6 mai), présenta cette opération comme éminemment juste et d'un immense avantage pour le pays, non pas uniquement quant à l'économie qu'elle apporterait dans les charges de l'État, «< cet avantage n'avait été que secondaire dans la pensée

de l'administration, mais comme amené par la nécessité. La situation de l'État sous le rapport des finances exigeait une mesure qui changeait la nature des rentes en circulation; la fortune publique se trouvait compromise par l'effet même d'une prospérité dont notre histoire n'offre pas d'exemple; la carrière donnée au crédit était devenue trop étroite; les limites dans lesquelles il était retenu, et pour ainsi dire comprimé, pouvaient, si elles n'étaient élargies, produire bientôt une catastrophe avec une réaction sur tous les particuliers... Ces dangers appelaient la sollicitude du gouvernement... » Ici le ministre exposait, comme il l'avait fait à l'autre Chambre, le système de l'opération qu'il avait concertée avec les banquiers; il en justifiait le moyen par des raisons déjà connues; il s'attachait surtout à combattre les raisonnemens et les calculs de l'opposition sur l'augmentation du capital de la dette : grand argument, parce qu'il est moins propre à être entendu et expliqué que les autres. »

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On n'a qu'à opérer d'après les suppositions les plus probables, dit S. Exc., calculer le taux moyen et la durée du rachat de 3 pour 100, jusqu'à ce qu'ils atteignent le pair, tenir compte aussi des intérêts de la somme que l'opération laisse aux contribuables, et on trouvera en fin de compte un bénéfice pour eux de trois à quatre cents millions au lien de la perte qu'on supposait.

On ne peut assimiler les conséquences du capital nominal stipulé dans les emprunts faits par l'État, et dans ceux faits par les particuliers: ces derniers n'ont qu'un moyen de se libérer et de conserver leur crédit; c'est de rembourser intégralement ce capital nominal. L'État, au contraire, ne se sert jamais de ce capital nominal que pour obtenir, à mesure que les richesses s'accroissent, et à l'abri du droit de le rembourser, une diminution dans les intérêts d'une dette publique qu'il ne lui convient pas d'éteindre.

Son moyen de remboursement, c'est le rachat an cours de ses effets; l'action de l'amortissement n'a pas d'autre objet : en l'examinant même d'après sa véritable destination dans le système de crédit maintenant adopté par tons les gouvernemens, on trouvera qu'il est bien moins appelé à anéantir la dette qu'à combattre sa trop grande extension et à préparer les moyens de l'alienter et de l'accroitre, sans trop de dommage, dans les temps de nécessité. Ainsi ce n'est pas seulement le taux auquel l'amortissement opère ses achats qui doit donner la mesure de son utilité, mais encore le taux auquel son action, en maintenant le crédit, permet de faire de nouveaux emprunts quand ils deviennent nécessaires. »

C'est sur ce point que le ministre appelait les méditations des membres de la Chambre, que leurs connaissances rendaient si bons juges de la mesure financière qui leur était soumise.

Ce projet, renvoyé à une commission spéciale, y fut l'objet d'un

examen approfondi. Elle demanda de nouveaux éclaircissemens au ministre, qui ne paraissait pas lui avoir donné d'abord plus de détails qu'à celle des députés. On n'y fut pas toujours de la même opinion sur tous les articles. On le verra par les objections que firent au projet plusieurs des membres de cette commission.

(21 mai.) Néanmoins, malgré cette opposition évidente d'opinions au sein de la commission, le rapport fait en son nom (le 21 mai), par M. le duc Lévis, porte l'empreinte de cet esprit de sagesse et de modération qui font de ces travaux une collection précieuse pour l'histoire.

Le noble rapporteur, remontant aux principes de la question et la suivant dans toutes ses conséquences, observe d'abord qu'au milieu de ce déluge de plans, de brochures, de pétitions, d'écrits de toute espèce dont la commission avait été assaillie, il lui aurait été impossible de remplir sa tàche, si elle n'avait reconnu comme première base qu'elle n'était pas appelée à choisir la meilleure entre toutes les combinaisons financières.

Ainsi, en se bornant à la question proposée, elle a examiné si la loi proposée était juste, si elle était profitable. D'abord elle a admis le premier point, le droit qu'a le gouvernement, comme les particuliers, de rembourser ses créanciers.

Quant au deuxième, « si la loi est profitable à l'État », la commission y avait vu l'avantage incontestable d'une diminution de 28 millions de dépense annuelle; mais il lui semblait très chèrement acheté... »

>> On se demande, dit le rapport, pourquoi, l'intention du gouvernement étant d'allouer 4 pour 100 aux créanciers, on n'a pas établi de nouveaux fonds à ce taux. Rien ne paraissait à la fois plus simple et plus juste. Tout accroissement de capital eût été évité. L'avantage de cette mesure est tellement évider t, qu'elle eût été sans doute adoptée, si des obstacles moins insurmontables n'avaient pas arrêté l'administration.

« Mais ces obstacles tiennent aux circonstances extraordinaires dans lesquelles l'Europe est placée, aux progrès de la civilisation à la paix générale, au crédit, aux conquêtes journalières de l'industrie, à l'abondance des capitaux qu'elle crée; de l'autre, côté, aux progrès non moins remarquables dans l'art de gouverner les hommes... Il était probable que le taux de l'argent, baissé sur toutes les places, ne resterait pas à 4 pour 100 sur celle de Paris. Les

(1) Cette commission était composée de MM. le comte Roy, le comte Mollien, le duc de Lévis, le marquis d'Alègre, le comte de La Forest, le duc de Narbonne, et le duc de Fitz-James.

capitalistes auraient craint un remboursement; il fallait que le gouvernement français créat tout de suite, comme ses voisins, des 3 pour 100. »

Ici se présentait dans toute sa force l'objection tirée de l'accroissement du capital, objection aussi sérieuse au premier aspect, dit le nouveau rapporteur, pour faire écarter le plan.

Mais, en y refléchissant, on observe que la fortune de l'Etat ne peut pas être regie suivant les mêmes règles que les affaires des particuliers, que les positions en sont différentes, que l'Etat, empruntant sous la forme des rentes, n'est tenu dans aucun cas de rembourser la somme prêtée, que l'accroissement du capital se réduirait, dans la réalité, à l'engagement que la nation contracte de ne point demander de réduction ultérieure tant que les fonds n'auront point atteint le pair... Ce que l'on n'a point assez clairement énoncé, c'est que la sécurité donnée au rentier de conserver son même revenu en dédommagement, la réduction d'intérêt serait d'autant plus de grande que le taux nominal du fonds est plus élevé, acquerrait aussitôt une valeur vénale que le possesseur de la rente pouvait réaliser à chaque instant en la vendant.... Il ne dépend que de lui d'en tirer parti; mais parce qu'il jouira de tout son avantage, il faut qu'il conserve son placement jusqu'au moment où l'abondance des capitaux aura fait monter les fonds au pair... Alors, en supposant que tous les rentiers francais voulussent être payés, il est certain que dans ce cas ils recevraient 933 millions de plus que si l'on n'avait pas touché aux 5 pour 100... Mais aux dépens de qui se ferait ce paiement? Le trésor ne débourserait pas un sou; tout serait payé par les nouveaux rentiers qui prendraient la place des anciens; et ce n'est pas une théorie, dit le noble rapporteur; c'est ainsi que les choses se passent de tout temps en Angleterre, et en ce moment même, sans réclamation, et à la satisfaction de tous.» (Voyez chap. de la Grande-Bretagne.)

Ici, M. le duc de Lévis observe, à l'égard des tableaux compa¬ ratifs par lesquels on a voulu démontrer que la libération définitive de l'État serait, dans le système nouveau, beaucoup plus coûteuse qu'en conservant les 5 pour 100 actuels (différence qui s'élèverait, suivant certains calculs, à un millard, tandis que ceux du Moniteur présentaient des résultats tout opposés. ) La commission n'avait pas tardé à reconnaître que toute la différence provenait de diverses bases que les auteurs des tableaux jugeaient à propos d'adopter dans leurs systèmes, mais que les bases ellesmêmes, ne reposant que sur la chose du monde la plus mobile et la plus éventuelle, le cours des effets publics laissait aux conjectures un vague qui répugne à la raison... Il est encore, dit le noble rapporteur, un autre vice radical qui attaque par le fondement toutes ces combinaisons de chiffres (celle du Moniteur aussi bien que les autres); c'est quelles partent toutes de la supposition inadmissible qu'une nation éclairée comme la nôtre

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serait assez dupe pour continuer pendant vingt ou trente ans l'énorme accumulation d'un fonds d'amortissement déjà exagéré. »

De là M. le duc de Lévis prend occasion d'établir les vrais principes qui régissent cet ingénieux moyen de libération sur le rachat constant et journalier des rentes au cours qu'elles obtiennent sur la place... Mais, tout en reconnaissant l'avantage d'une institution désormais inséparable de tout système de crédit, le noble pair observe que là, comme en d'autres choses, en France, on a dépassé le but que s'était proposé le législateur.

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Au lieu de se borner, dit S. S., à voir dans la caisse d'amortissement un moyen puissant de gouvernement qui s'adapte aux besoins des circonstances, on a prétendu lui donner un caractère de perpétuité indépendant de la volonté du législateur. Enfin on a été jusqu'à soutenir (et ce sont des ministres qui l'ont dit avec plus de zèle pour le crédit du moment que de réflexion) que les fonds de l'amortissement n'étaient pas moins sacrés que ceux de la dette. Il est temps de revenir à des notious plus justes et de repousser nne doctrine qui tendrait à faire un instrument de dommage d'une institution utile et salutaire. Non, l'Etat ne doit à ses créanciers que le service exact et ponctuel de leurs arrerages; ce qui n'empêche pas qu'il puisse lui convenir de se libérer par des remboursemens partiels qui atténuent sa dette en même temps qu'ils empêchent l'avilissement des effets publics, ce qui a l'avantage de maintenir l'intérêt à un taux modéré, soit entre les particuliers, soit pour le gouvernement lui-même, lorsqu'il est dans le cas d'y recourir. Mais la quotité et le mode de ses rachats dépendent entièrement, et à toujours, de la volonté qui règle annuellement les recettes et les dépenses de l'Etat. C'est donc ́dans le budget que doit être déterminé invariablement, mais pour l'année seulement, le montant des fonds qu'il convient de consacrer à l'amortissement. Tels sont les principes : tels ils sont observés dans le pays classique de la finance; les exagérer, ces principes, ce serait à la fois induire en erreur les créanciers et inquiéter mal à propos les contribuables, qui, au reste, sauraient bientôt se faire justice par l'organe de leurs représentans.

<< Rien ne s'oppose donc à ce que l'on maintienne une juste proportion entre l'amortissement et la dette sur laquelle il doit agir. Si l'élévation du cours rend ce mode de remboursument trop onéreux, on peut ralentir l'action de la caisse; enfin faire tout ce que les circonstances conseilleront. Avec une telle faculté, on sent combien perdent de leur importance ces tableaux que l'on présente comme démonstratifs. Aussi votre commission, Messieurs, n'a-t-elle rien vu d'effrayant ou de véritablement onéreux dans l'accroissement du capital qui doit être la conséquence nécessaire de la conversion de la dette en un nouveau fonds de 3 pour 100, tandis qu'elle trouve dans la diminution de 28 millions sur les arrérages une économie trop importante pour ne pas être recherchée avec empressement; et c'est ainsi que se résout à l'affirmative la seconde question que nous avons posée, en nous demandant si la loi serait profitable

Entrant ensuite dans des considérations particulières sur le sort des personnes que la mesure intéresse, la commission avait cherché à connaître, autant qu'il était possible, et leur nombre, et

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