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CHAPITRE VI.

Recrutement de l'armée.

Un projet important sous le rapport politique, mais alors à peine aperçu dans les débats de la réduction des rentes et de la septennalité, celui qui préparait des modifications à la loi de 1818 sur le recrutement de l'armée avait été soumis le même jour 5 avril à la Chambre des pairs. Mais la question a été traitée avec tant d'étendue dans l'Annuaire pour 1818 (pages 54-101), qu'on nous pardonnera de nous borner à ce qu'elle offre ici de nécessaire à l'éclaircissement de l'histoire du temps.

Il faut se rappeler les objections faites, lors de cette intéressante discussion, sur la courte durée du service, et sur l'institution des vétérans. Le gouvernement ayant éprouvé les inconvéniens de l'une et le peu d'avantages de l'autre, s'était déterminé à proposer la prolongation du service militaire, et la suppression du service des vétérans, en portant l'appel annuel à 60,000 hommes. Le ministre de la guerre (M. le baron de Damas), en présentant le projet à la Chambre des pairs, exposait brièvement d'abord le système de la loi de 1818, ensuite les motifs des modifications que l'expérience avait fait juger nécessaires pour conserver ou augmenter le complet de 240,000 hommes, et pour remplacer avantageusement le service des vétérans.

Une entreprise courte et glorieuse, dit S. Exc., en justifiant la confiance du Roi dans le dévouement de l'armée, a prouvé tout à la fois le zèle des anciens militaires, et la force des liens qui retiennent une partie d'entre eux dans leurs foyers.

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La classe des vétérans appelés comme auxiliaires était celle de 1816. Sa force, à l'instant où ils avaient été libérés du service actif, s'élevait à 22,000 hommes libérés, au 31 décembre 1822, et rappelés par la loi du 5 août 1823. Ils avaient passé quelques mois seulement au sein de leurs familles. Aucun lien ne les attachait encore à la vie civile; et cependant l'effectif de ceux qui ont satisfait au réappel, ne s'est élevé qu'à 16,000 hommes.

Cette épreuve suffirait seule pour autoriser à considérer comme certaine l'effrayante progression des pertes des classes ancienues; mais il résulte des reuseignemens recueillis avec soin sur la position des classes plus àgées, que les

décès, les absences, les intérêts et les affections domestiques attachent les vétérans à leur sol natal ou adoptif; que dès lors cette institution n'est point en harmonie avec l'état actuel de la civilisation.

« Ces résultats d'expériences et d'observations ont amené le gouvernement du Roi à chercher un autre mode pour composer la réserve de l'armée. S. M. a préféré celui qui exigeait le moins de changemens dans la loi du 10 mars 1818. « Cette combinaison se réduit à deux dispositions fondamentales. L'une substitue à la réserve des vétérans une réserve de jeunes soldats; l'autre convertit en huit ans de service dans l'armée ou dans la réserve les douze années de service que les jeunes gens avaient à faire dans l'armée et dans la vétérance. »

En résultat, le projet du gouvernement consistait :

A porter à 60,000 hommes (au lieu de 40,000) les appels faits chaque année pour le recrutement des troupes de terre et de mer (art. 1er);

A les distribuer en classes qui seraient mises successivement en activité à mesure des besoins de l'État et des fonds accordés au budget, le reste étant laissé dans leurs foyers (art. 2);

A fixer la durée du service à huit ans pour les troupes de toutes armes (art. 3);

Et à abroger l'article 23 de la loi du 10 mars 1818, relatif aux vétérans, en ce qui concerne les jeunes soldats appelés ou enrôlés postérieurement à la promulgation de la loi nouvelle (art. 4).

Ce projet de loi, renvoyé à l'examen d'une commission spéciale, n'y souffrit d'altération que dans sa rédaction. M. le maréchal Suchet, duc d'Albufera, chargé d'en faire le rapport (4 mai), rappelant la mémorable discussion de 1818, rendit hommage au système général de la loi.

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Établir les bases du recrutement sur des engagemens volontaires, sur des appels annuels, dit S. S., était une heureuse conception qui honorera toujours

son auteur.

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Ce système convient le mieux à la France; il y restera consacré comme une institution fondamentale dont on reconnaît tous les avantages.

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C'est au nouveau mode de recrutement que le Roi a dù son armée d'Espagne, dans laquelle se sont trouvés confondus nos vieux et nos jeunes soldats. Conduits par un fils de France, ils ont triomphe... Désormais, réunis par la victoire et par les liens sacrés qui attachent les braves ils rivaliseront de zèle et de fidélité pour la défense du trône et de la patrie...

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Cependant cette loi de recrutement, établie sur d'excellentes bases, portait avec elle la formation d'une classe de vétérans dont l'expérience semble aujourd'hui démontrer l'insuffisance... »

Ici le noble rapporteur, entrant dans la critique de la loi de

1818 et l'examen des modifications proposées, rappelle d'abord que, par la première, l'armée devait être portée à un complet de paix à 240,000 hommes; que les vétérans devaient former en outre une réserve de 240,000 hommes; que l'ensemble de ces diverses combinaisons paraissait assurer les moyens d'élever l'armée au complet fixé; mais que de puissantes difficultés s'étaient opposées au développement, et par conséquent à l'action de ces mesures législatives.

D'après un compte présenté, par le ministre de la guerre, au Roi, le 5 mars 1823, la France renfermait une population générale de 30,465,291 individus, répartis entre les départemens, d'où il ressort, année commune, 290 environ 300,000 jeunes gens de l'âge de vingt ans, appelés au tirage.

Sur ce nombre, il s'en est trouvé, en 1816 et en 1823, 12 à 17,000 exemptés par défaut de taille, et 19 à 31,000, comme aînés d'orphelins, fils de veuves, vieillards ou frères de militaires; et près de 180,000 jeunes gens, porteurs des numéros les plus élevés, ont été définitivement libérés chaque année, sans avoir été envoyés devant le conseil de révision...

En résultat général, la composition du contingent levé en 1821, d'où l'on déduit 2570 jeunes gens insoumis, et où l'on voit figurer 3551 engagemens volontaires de la classe, avant l'appel, offrait un total de 34,040 hommes. La commission, appliquant ce calcul au huit classes de 1816 à 1823, établit le moyen terme de la levée annuelle à 34,000 hommes, auquel ajoutant 2,000 engagés volontaires, qui, n'appartenant à aucune classe, élèvent pourtant le total du contingent annuel à 36,000 hommes; et en appliquant la base du produit d'un contingent de 40,000 hommes à celui qui est proposé, on n'aurait pour produit que 54 ou 55,000 hommes, au lieu des 60,000 demandés par le projet de loi.

La difficulté, d'abord examinée par la commission, était de savoir si la loi devait déterminer explicitement le produit nominal, dont il faudrait déduire les exemptions ou le déficit, ou seulement le produit effectif des appels... Les besoins réels de l'armée, étant la raison des appels, il semble naturel, au premier aperçu, de faire

porter le commandement de la loi sur le produit effectif qui est l'expression véritable des besoins réels.

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Cependant la loi de 1818 avait procédé en sens inverse, et fixé seulement le produit nominal des appels, comme le renfort destiné à subvenir au completement de l'armée.

« A la vérité, l'institution des appels touchant à la fois aux intérêts de l'armée et à ceux de la population, il convient de s'arrêter au mode d'exécution qui les concilie le mieux.

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sont :

Les avantages que l'on trouve à procéder par voie de contingent nominal,

« 1° D'arriver au mode de répartition le plus simple, et en même temps le plus juste;

« 2o Déterminer l'appel annuel eu une seule opération.

« Le mode de répartition est le plus simple, parce qu'il se borne à diviser le total des contingens, à fournir entre tous les cantons du royaume, suivant la population de chacun d'enx;

« Il est le plus juste, parce qu'il proportionne la charge à la population qui doit la supporter, et libére définitivement le surplus..... »

Le noble rapporteur observe à cet égard que le retard de cette libération, et l'incertitude plus ou moins prolongée qui en résulterait pour les classes appelées, et les inquiétudes, qui jetteraient dans les classes des appels successifs, feraient renaître tous les inconvéniens de l'ancien système.

Toutefois la commission, embarrassée par d'autres considérations en faveur du contingent effectif, avait d'abord peine à faire au projet de loi quelques amendemens qui auraient eu pour objet d'obtenir, pour compléter annuellement l'armée, un contingent effectif entretenu par les départemens, au lieu d'un contingent nominal qui ne peut remplir ses besoins, et de diminuer du moins les inconvéniens de l'article 13, dont il était résulté en huit ans un déficit de 13,481 jeunes gens qui n'avaient pas rejoint les drapeaux, et qui forment la plus grande partie des insoumis. Mais la considération, exposée par le ministre de la guerre, que S. M., voulant ménager les intérêts de la population, préférait le mode qui exigerait le moins de changemens possibles dans la loi, avait arrêté la commission, qui s'était contentée de proposer quelques modifications de rédaction.

«En suivant le matériel des produits de la loi de 1818, la conmission avait, dit le noble rapporteur, observé que le nombre des

remplacemens diminuait chaque année. En 1816, il s'élevait à 9,898 hommes; en 1823, il était réduit à 6,954 »; et à cette occasion, elle signalait au gouvernement le honteux trafic d'hommes que des compagnies intéressées procurent pour les remplacemens ; et le suppliait d'y mettre un terme, en indiquant à sa sagesse un projet d'établissement, récemment distribué, d'une administration de recrutement et de remplacement, sous la surveillance du gouvernement; projet suivant lequel on fournirait au remplacement par des engagemens volontaires de soldats prêts à être libérés.

Le nombre des engagemens volontaires depuis la promulgation de la loi de 1818 jusqu'à 1823, s'était élevé à un peu plus de 46,000 hommes, dont 16,000 seulement avaient passé l'âge des appels; en sorte qu'on ne pourrait réellement établir cette ressource dans le recrutement que pour 2,000 hommes par année.

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Mais ce qui est digne de remarque, ajoute le noble rapporteur, et donne la mesure de cet amour de la gloire qui anime tonjours les Français, c'est qu'en 1823, an premier coup de canon, l'armée a été augmentée tout à coup de 12,944 enrôlés volontaires, jaloux de partager l'honneur de franchir les Pyrénées, et de servir sous les ordres du prince qui commandait nos légions. »

Quant aux vétérans, qui devaient offrir en 118 plus de 240,000 soldats qui avaient triomphé sur tant de champs de bataille, leur recensement, fait en 1820, offrait environ 204,000; celui de 1821 était réduit à 165,000, et celui de 1822 à 134,000.

Maintenant, presque tous ces soldats ont accompli leur temps de service, et sont rendus à la vie civile... La loi ne peut plus rien exiger d'eux.

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Les deux classes de 1816 et de 1817, restant seules dans la vétérance, offrent pour 1824 une force de 33,194 hommes; mais une partie de ces hommes (3,025 de 1816) se sont rengagés volontairement. D'ailleurs, la loi n'ayant point d'effet rétroactif en, France, toutes les classes qui restent requises par la loi du 10 mars, entreront jusqu'en 1826 dans la force militaire du royaume, et la presque totalité des vétérans qui figureront jusque-là dans nos forces. militaires, et qui rempliront successivement la même obligation, auront servi sous les ordres du duc d'Angoulême; et si jamais le

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