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plaintes et de reproches, auxquels ses écrivains répliquaient que le ministère ne faisait qu'user d'une influence légale, que les employés du ministère devaient voter avec lui, qu'ils étaient dans la sphère de sa responsabilité, et qu'il ne devait rien à qui travaillait à le détruire.

On n'entrera pas dans plus de détails sur cette question, qui fut amplement débattue à l'ouverture de la session; il nous suffit ici d'en indiquer le résultat. Malgré les reproches élevés sur la formation des listes électorales et sur la tenue des assemblées, le nombre des électeurs ne fut pas de beaucoup inférieur à celui des élections précédentes, et leurs opérations n'offrirent guère plus d'agitation et de scandales qu'à l'ordinaire. Les colléges se réunirent aux jours fixés par l'ordonnance du 24 décembre dernier; ceux d'arrondissement, le 25 février; ceux de département, le 6 mars. Les candidats divers avaient été proposés aussi librement que jamais dans les journaux des trois nuances de parti, mais avec moins de variations qu'on n'en avait vu jusqu'ici. Chacun avait senti le danger de se désunir, et l'avantage qu'il y avait d'emporter la majorité au premier tour de scrutin; de sorte qu'on put dire que les électeurs n'eurent en effet à voter cette année que pour une opinion. Les principaux candidats de l'opposition libérale étaient les mêmes que les années précédentes; mais les plus marquans avaient été désignés daus plusieurs arrondissemens, tels que le général Foy, qui fut élu le même jour, à Paris, à St-Quentin et à Vervins; c'est le plus beau triomphe que ce parti ait obtenu. A Paris même, ou il semblait assuré d'une victoire complète, il n'obtint dans les colléges d'arrondissement, outre le général Foy, que MM. Casimir Périer et Benjamin Constant. Quant au collége de département, la majorité des électeurs semblait porter à la députation les anciens députés J. Lafitte, Benjamin Delessert, Ternaux et Alexandre de La Borde: on substitua au nom du dernier celui de M. Manuel, qui avait échoué dans deux arrondissemens de province; et s'il faut en croire à des bruits qui ne sont pas dénués de vraisemblance, ce choix, devenu hostile au système monarchique, jeta la division dans le parti; il

y parut au dépouillement du scrutin général, où il ne se trouva que 722 voix en faveur de M. Manuel, tandis que ses concurrens touchèrent tous de fort près à la majorité absolue des voix, qui était de 1151 sur 2300 votans.

En résultat général, le parti libéral éprouva dans ses rangs électoraux une défection considérable. Sur 434 élections à faire, il n'en obtint que quinze dans les colléges d'arrondissement, et deux seulement dans les colléges de département; en tout dix-sept; et quoique le ministère eut le chagrin de ne pouvoir éloigner tous ceux qui, dans la dernière session, avaient levé la bannière d'une autre opposition, néanmoins il n'avait jamais acquis une majorité plus nombreuse et plus sûre. Quelques députés avaient été nommés par deux colléges; les élections de remplacement furent faites. dans le même sens. Ainsi le général Foy fut remplacé dans le premier arrondissement de Paris, par M. Dupont de l'Eure, et dans celui de Saint-Quentin, par M. Labbey de Pompière.

De toutes parts, comme on devait s'y attendre, d'après le résultat des élections, il s'éleva de nouvelles plaintes, et même des protestations qui vont être portées à la tribune.

Ainsi, rassuré sur la chose la plus importante dans le gouvernement représentatif, le ministère, dès l'ouverture de la session législative, préparait de nouveaux projets à ses discussions. Un phénomène inouï dans les annales financières de la France venait de s'opérer à la bourse de Paris. Les cinq pour cent consolidés, depuis long-temps en hausse régulière, et qui s'étaient élevés de 93 à 96 fr. dans le mois de janvier, montèrent au pair le 17 février, et s'élevèrent le 5 mars à 104 fr. 80 cent, quoique les fonds de l'emprunt de 23 millions ne fussent pas encore versés en totolité au trésor. On attribuait ce phénomène au concours des premiers capitalistes de l'Europe qui s'étaient rendus à Paris pour une opération dont on ne connaissait pas encore le secret; d'ailleurs, ce mouvement de hausse se faisait sentir sur toutes les places de l'Europe et sur tous les effets, excepté ceux d'Espagne. Alors s'annonçait vaguement dans le public le projet de réduire l'intérêt de la dette publique ou de la rembourser, en même

temps que celui d'une indemnité à donner aux émigrés, et de là surgirent des craintes et des espérances dans lesquelles l'importance du projet de renouvellement intégral et septennal de la chambre élective sembla tout à coup absorbé. On était impatient de sortir de tant d'incertitudes, quand arriva enfin l'époque fixée pour l'ouverture de la session législative que le Roi fit en personne le 23 mars, dans la grande salle du Louvre, avec le cérémonial accoutumé.

(23 mars.) Le discours de S. M. vint lever tous les doutes: il exposait d'abord le succès récent de nos armes. La France n'a plus rien à redouter de l'état de la péninsule. Une partie de son armée victorieuse est déjà rentrée en France, et l'autre ne doit rester en Espagne que le teinps nécessaire pour assurer la paix intérieure de ce pays. « Ce triomphe, qui offre à l'ordre social de si sûres garanties, dit S. M., est dû à la discipline et à la bravoure d'une armée française conduite par mon fils avec autant de sagesse que de vaillance ». A ce passage il partit de tous les points de la salle des cris vive le Roi! vive le duc d'Angoulême ! S. M., reprenant son discours, et rappelant les institutions qu'elle a fondées, dit que l'expérience lui a fait sentir l'inconvénient d'une disposition réglementaire de la Charte : que le mode actuel de renouvellement pour la chambre élective n'assure pas le repos de la France, et qu'un projet de loi sera présenté pour y substituer le renouvellement septennal. Elle annonce en outre que « des mesures sont prises pour assurer le remboursement du capital des rentes créées par l'État dans des temps moins prospères, ou pour obtenir leur conversion en des titres dont l'intérêt soit plus d'accord avec celui des autres transactions »; ajoutant que « cette opération, qui doit avoir une heureuse influence sur le commerce et l'agriculture, permettra, quand elle sera consommée, de réduire les impôts et de fermer les dernières plates de la révolution ».

Du reste, S. M. assurait que les relations de la France avec les puissances étrangères étaient toujours amicales: on avait l'espoir que les affaires d'Orient, et celles de l'Amérique espagnole et portugaise seraient reglées pour le plus grand avantage des états

et des populations qu'elles intéressent: des forces maritimes suffisantes étaient distribuées sur les stations les plus propres à protéger efficacement notre commerce; et aucun impôt, aucun emprunt nouveaux ne seraient nécessaires pour couvrir les dépenses de l'année qui venait de finir.

Plusieurs passages de ce discours avaient excité une vive sensation dans l'assemblée; ils n'en produisirent pas moins dans le public; ce fut bientôt l'objet de toutes les conversations, le texte de commentaires et de critiques dont les détails se trouveront à leur véritable place.

Quelques jours après, les deux chambres répondirent au discours du trône par des adresses (délibérées, celles des pairs le 1er avril, celles des députés le 3), qui n'étaient, selon l'usage, qu'une réproduction approbative des sentimens exprimés par la couronne, et des mesures annoncées comme devant être soumises prochainement à la législature. On remarqua seulement dans la réponse de la chambre élective deux paragraphes qui n'avaient été motivés ni directement ni indirectement par le discours du trône. Ils réclamaient pour le culte des lois protectrices, pour ses ministres une existence digne d'eux, pour l'éducation publique un appui nécessaire. Comme le culte est protégé par les lois, que ses ministres, objet de la sollicitude des législatures précédentes, n'ont point une existence indigne des fonctions qu'ils exercent. et que l'éducation publique, ayant un prélat à sa tête, n'est point soustraite à l'influence religieuse, le parti libéral vit dans cet acte d'initiative, resté sans résultat dans cette session, une première démarche publique en faveur d'un ordre religieux placé encore sous la disgrâce d'un arrêt solennel.

(24 mars.) Dès le lendemain de la séance royale, la chambre des pairs, s'étant rassemblée, nomma pour secrétaires MM. le baron de La Rochefoucault, le duc d'Uzès, le duc de Cadore et le marquis de Latour-Maubourg. La chambre des députés, provisoirement constituée sous la présidence d'âge de M. Chilhaud de La Rigaudie, procéda par la voie du tirage à la composition des bureaux. L'ordre du jour de la séance suivante était la vérification des pouvoirs.

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De nombreuses difficultés devaient s'élever, si l'on en juge par la multitude de protestations qui avaient été signées dans les colléges électoraux, par les abus, les retards, les violences même dont s'étaient plaints une multitude d'électeurs, et par toutes les réclamations dont les colonnes des journaux avaient été si longtemps remplies. Mais l'opposition, réduite à un petit nombre de membres, sentait elle-même sa faiblesse, et devait avoir peu de confiance dans ses efforts. Cependant la vérification des pouvoirs occupa long-temps la Chambre, et donna lieu à des débats fort animés, où l'on vit quelques membres latter avec opiniâtreté.

La première difficulté qui s'éleva avait pour objet la double élection du général Foy. Le rapporteur du premier bureau, chargé de faire connaître la validité des opérations du collège électoral de l'Aisne, annonçait que le procès-verbal était régulier; mais que, faute de pièces, l'admission du général paraissait devoir être ajournée, pour l'arrondissement de Vervins comme pour celui de St-Quentin. On répondait que les pièces étaient entre les mains du huitième bureau (chargé de vérifier les opérations des colléges de Paris), et qu'on aurait dû en demander la communication. Le rapporteur ajoutait que le premier bureau avait pris connaissance de ces pièces, et que le général Foy ne justifiait pas suffisamment de ses contributions personnelles et mobilières, nécessaires pour compléter le cens d'éligibilité... En effet, d'après les explications données ensuite par le général Foy, par erreur ou par oubli, on n'avait pas porté sur les rôles de 1824 ces deux espèces de contributions qui se paient pour les militaires en activité de service au moyen de retenue sur leurs appointemens. Mais le ministre des finances, auquel le général Foy avait adressé sa réclamation à cet égard, y avait fait faire droit, en ordonnant qu'il fût rétabli sur les rôles, et les pièces qui constataient le cens d'éligibilité avaient été adressées au huitième bureau, sur le rapport duquel la triple élection du général Foy, qui opta ensuite pour Vervins, fut déclarée valide.

Une discussion plus vive s'engage ensuite au sujet de l'élection de M. de Saunac, par le collége de Dijon, contre laquelle il existait

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