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Les magistrats anglais, tout en admettant que, suivant le droit commun de leur pays, le roi possède la prérogative de donner à l'auteur d'une invention, le privilége de l'exploiter exclusivement pendant un certain nombre d'années, considèrent ce privilége comme un véritable monopole. Ils interprètent, en conséquence, en faveur de la liberté générale, les doutes que les lois présentent dans l'application. Tout inventeur qui ne s'est pas rigoureusement soumis aux conditions que les lois lui ont imposées, est déchu de son privilége. En France, la magistrature tend, au contraire, à restreindre la liberté dans l'intérêt des monopoles; cette fausse tendance paraît être une conséquence de l'erreur dans laquelle l'Assemblée constituante est tombée. Ayant admis en principe qu'une découverte dans les arts est la propriété de celui qui l'a faite, et que ne pas en garantir la jouissance exclusive à l'inventeur, c'était méconnaître les droits inhérens à la nature humaine, il était naturel qu'on donnât à ces prétendus droits toute l'extension qui n'était pas incompatible avec les termes de la loi.

Une mesure qui met momentanément obstacle au développement d'un nouveau moyen d'existence, est, en général, moins désastreuse que celle qui détruit des moyens d'existence déjà établis, comme l'acte qui prévient la formation d'un

mariage, est infiniment moins funeste que celui qui causerait la destruction d'une famille. Le monopole d'une nouvelle branche d'industrie, donné temporairement à l'inventeur, avant que personne ait pris possession de cette industrie, n'a pas d'autre effet que d'arrêter pour quelque temps la formation de nouvelles richesses; il ne condamne aucune famille à la ruine et à la destruction. Tous les hommes industrieux se trouvent, après l'établissement du monopole, à peu près dans l'état où ils étaient avant l'invention. Si quelques-uns perdent la chance de faire eux-mêmes la découverte, tous sont appelés à jouir des avantages qu'elle doit produire pour la société.

Il existe donc une immense différence entre le monopole d'une industrie dont personne n'a pris possession, et le monopole d'une industrie déjà pratiquée. Celui-ci dépouille nécessairement un nombre de personnes plus ou moins grand, de leurs moyens d'existence, et les condamne à la misère. Celui-là n'a pas, en général, d'autre effet de que surprendre momentanément l'essor d'un genre particulier d'industrie. Cette différence suffit pour expliquer la rigueur avec laquelle les cours de justice de la Grande-Bretagne font observer les conditions imposées aux inventeurs qui veulent réduire leurs découvertes en monopole, pendant le temps déterminé par la loi.

CHAPITRE XXX.

Des lois relatives à la propriété des inventions industrielles.

Le statut de la vingt-unième année du règne de Jacques Ier ne déclare pas que toute découverte, quel qu'en soit l'objet, est la propriété de celui qui l'a faite; il reconnaît seulement à la couronne la faculté d'accorder à l'auteur d'un nouvel objet fabriqué ou manufacturé, le privilége exclusif de se livrer, pendant quatorze années, à la fabrication de ce même objet, si d'ailleurs personne n'en faisait usage au moment où les lettres-patentes ont été concédées (1).

Le décret de l'Assemblée constituante est beaucoup plus général : il proclame, ainsi qu'on l'a déjà vu, que toute idée nouvelle, dont la manifestation peut devenir utile à la société, appartient primitivement à celui qui l'a conçue; que toute découverte ou nouvelle invention est la propriété de son auteur, et qu'en conséquence la loi doit lui en garantir la pleine et entière jouissance.

(1) Richard Godson, Practical treatise on the laws of patents for inventions, pag. 379.

Cependant, quelque générales que soient les dispositions de ce décret, on a été obligé de les restreindre, dans la pratique, aux objets produits par la main de l'homme, et qui peuvent faire la matière d'un échange. Si l'on avait voulu les prendre dans le sens le plus large, elles seraient devenues des obstacles à toutes sortes de progrès, sans profit pour personne. Dans un grand nombre de cas, elles auraient été inexécutables (1).

La loi anglaise, comme la loi française, n'accorde un privilége pour la fabrication et la vente d'une nouvelle marchandise, qu'à celui qui en est le véritable inventeur. Celui qui fabrique une chose qui n'a pas été produite avant lui, n'a droit à aucun privilége si la description en a été donnée dans un ouvrage scientifique (2). Il importe peu d'ailleurs

(1) La loi des 31 décembre 1790 et 7 janvier 1791 dispose d'une manière si générale sur la propriété des découvertes, que quand elle eut été promulguée, plusieurs personnes demandérent des brevets d'invention pour des établissemens de finances. Une loi du 20 septembre 1792 déclara que la première ne s'appliquait qu'aux découvertes faites dans les arts et métiers,

et

que le pouvoir exécutif ne pouvait plus accorder de brevets d'invention aux établissemens relatifs aux finances.

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(2) James Godson, Practical treatise, p. 53. Loi du 31 décembre 1790, art. 16, § 3. — Arrêt de la Cour de cassation du 9 janvier 1828.-J.-B. Sirey, t. XXVIII, 15° part., p. 9496.-Arrêt de la Cour royale de Rouen du 14 janvier 1829. Ibid, t. XXIX, 2o part., p. 65.

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que cet ouvrage soit ou ne soit pas écrit en français, qu'il ait été publié en France ou en pays étranger. En Angleterre, on ne considère pas non plus comme inventeur celui qui se borne à mettre en pratique un procédé qu'on lui a verbalement enseigné, à moins qu'il ne l'ait appris en pays étranger (1)..

Après avoir refusé le privilége de l'invention à celui qui emprunte à un ouvrage scientifique le moyen de faire une chose nouvelle, il semble. peu raisonnable de l'accorder à celui qui ne fait qu'imiter un produit fabriqué chez une autre nation. Cependant, la jurisprudence anglaise, et le décret de l'Assemblée constituante du 31 décembre 1790, donnent, en pareil cas, à l'imitateur, les mêmes avantages que s'il était inventeur. La loi française. (art. 9) se borne à restreindre les brevets d'importation aux industries étrangères dont les inventeurs ont encore le monopole (2).

Dans les deux pays, on s'est laissé diriger, quand on a adopté cette mesure, moins par l'intérêt bien

(1) James Godson, Practical treatise on the law of patents for inventions, p. 53.

(2) Ibid, p. 98-99. Une industrie pratiquée en pays étranger, qui serait décrite dans un ouvrage scientifique, ne pourrait pas faire l'objet d'un brevet d'importation. Cela paraît résulter, du moins, de la loi et des arrêts cités dans la première note de ce chapitre.

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