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valeur du château, ou qu'il abandonne son fonds sans indemnité. Il ne pourra demander ni la suppression du bâtiment, ni le paiement du sol sur lequel il aura été élevé. Cela n'est guère conforme au bon sens, à la justice; mais c'est ainsi que l'ordonne le droit d'accession, consacré par l'art. 555 du Code civil.

Un autre exemple fera mieux comprendre encore combien il importe de consulter toujours la nature des choses, et de ne pas se laisser dominer par des mots qui souvent n'ont aucun sens.

Supposons qu'un homme possède un terrain dont il se croit réellement propriétaire, quoique sa possession ne réunisse pas toutes les conditions la loi demande pour qu'il soit réputé de bonne foi; car il peut y avoir bonne foi dans le vrai sens du mot, quoiqu'il n'y ait pas bonne foi dans le sens légal.

que

Supposons, dis-je, que cet homme qui se croit mal à propos propriétaire, fasse construire un bâtiment sur le terrain qu'il croit lui appartenir : à qui appartiendra la propriété de ce bâtiment et du sol sur lequel il est établi?

Le propriétaire du sol a deux partis à prendre : il peut demander la suppression du bâtiment sans indemnité, ou bien il peut le retenir; mais, dans ce dernier cas, il doit rembourser la valeur des matériaux et le prix de la main-d'œuvre.

Qu'un bâtiment d'une valeur de cinq cent mille francs ou d'un million soit construit sur un terrain d'une valeur de dix ou douze mille francs, comme cela arrive souvent dans une grande ville; qu'une manufacture qui fournira des moyens d'existence à un village entier, soit élevée sur un terrain propre à servir de pâturage à quelques moutons; mais que le capitaliste qui aura fait construire le bâtiment ne soit pas propriétaire du sol, et qu'il ne réunisse pas toutes les conditions requises pour être réputé de bonne foi, toute la propriété nouvellement créée devra être détruite, sans qu'il en reste le moindre vestige, si le propriétaire du sol le veut ainsi.

Le fabricant, sa famille, ses créanciers, les habitans du pays qu'il faisait exister, seront peut-être ruinés: n'importe, le sol n'eût-il qu'une valeur de cinquante francs, le propriétaire sera satisfait.

On peut dire, sans doute, que cette disposition a été dictée par un sentiment profond du respect qu'on doit à la propriété; mais il y a ici deux propriétés en conflit : l'une, que nous supposons de la valeur de cent cinquante ou de deux cents francs, et l'autre, que nous supposons de cinq cent mille francs ou d'un million. Or, détruire une valeur d'un million de francs, en faveur d'une valeur de deux cents francs, est une singulière manière de respecter la propriété.

Ajoutons qu'il pourrait arriver que la propriété de cinq cent mille francs ou d'un million, fût affectée au paiement de créances dues à des mineurs, à des femmes ou à d'autres personnes fort innocentes de la prétendue mauvaise foi de celui qui aurait fait construire le bâtiment.

Mais ce n'est pas tout: supposons que le propriétaire du sol soit honnête homme, et qu'il veuille retenir le bâtiment, au lieu d'en demander la suppression; quelle est la valeur qu'il devra payer pour en rester propriétaire?

Il ne suffira pas de payer la valeur actuelle; il faudra qu'il paye tout ce qu'il aura coûté en matériaux et en main-d'œuvre. Si, par exemple, le bâtiment ne valait que cinq cent mille francs, et qu'il eût coûté un million, le propriétaire du sol ne pourrait le retenir qu'en payant un million. Il n'en serait pas ainsi dans le cas où le constructeur du bâtiment serait réputé de bonne foi dans ce cas, le propriétaire du sol aurait le choix de payer les matériaux et la main-d'œuvre, ou la valeur actuelle du bâtiment. Or, conçoit-on que la mauvaise foi du constructeur du bâtiment prive le propriétaire du sol d'une faculté qu'il aurait dans le cas où il y aurait eu bonne foi?

:

Il est vrai que si la loi le prive de la faculté de garder le bâtiment, en en payant la juste valeur, elle l'autorise à le faire supprimer sans indemnité,

et qu'elle lui donne ainsi le moyen de faire capituler son adversaire; mais on ne saurait voir dans tout cela ni raison ni justice.

Les diverses questions de propriété auxquelles peuvent donner naissance les modifications que font subir les fleuves et les rivières aux héritages qui les bordent, sont résolues par le droit d'accession. En traitant ces questions, dans un des chapitres qui précèdent, j'ai fait connaître les véritables motifs des solutions qui en ont été données.

C'est aussi par le droit d'accession que le Code civil résout la question de savoir à qui appartiennent les pigeons, lapins et poissons qui passent dans un autre colombier, garenne ou étang; il décide qu'ils appartiennent au propriétaire de ces objets, pourvu qu'ils n'y aient point été attirés par fraude et artifice.

DU MÉLANGE DE PROPRIÉTÉS MOBILIÈRES, ETC. 395

CHAPITRE L.

Du mélange de propriétés mobilières appartenant à différens

maîtres.

I

Si le droit d'accession a jeté dans l'embarras les jurisconsultes qui l'ont imaginé ou adopté, quand ils en ont fait l'application à des propriétés immobilières, il a fait naître des difficultés bien plus graves quand ils ont voulu l'appliquer à des propriétés mobilières.

Quand il est question d'immeubles, il est facile de voir quelle est, entre deux choses, celle qui va s'ajouter à l'autre ; s'il s'agit, par exemple, de prononcer sur la propriété d'une maison construite sur le fonds d'autrui, on ne peut pas mettre en doute si ce sont les matériaux qu'on a placés sur le fonds, ou si c'est le fonds qu'on a placé sous les matériaux. Il y a là un fait évident que l'homme le moins intelligent est capable de reconnaître; ce fait, il est vrai, ne devrait avoir qu'une bien faible influence sur la solution de questions de propriété; mais on conçoit cependant que les jurisconsultes lui aient donné une certaine importance.

Mais, lorsque des choses mobilières se réunissent

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