Page images
PDF
EPUB

ne s'enrichissent par le même moyen. Ses droits de propriété ne sont pas, au reste, tellement inhérens à lui-même, qu'ils ne puissent en être séparés; ils sont susceptibles d'être aliénés ou transmis héréditairement, comme tout autre genre de

biens.

Il suit de ces faits que la personne à laquelle l'autorité publique garantit, pendant un certain nombre d'années, la jouissance exclusive d'un ouvrage, a pendant ce temps exactement les mêmes droits qu'elle aurait si sa propriété lui était entièrement et à jamais garantie. S'il arrivait que les propriétés littéraires fussent mises sur le rang de toutes les autres, si elles étaient transmissibles de génération en génération, comme tout autre genre de biens, les questions auxquelles elles donneraient naissance, ne seraient pas différentes de celles qu'elles ont fait naître sous les lois actuelles : pour arriver à une bonne solution, on n'aurait pas besoin de recourir à d'autres principes que ceux à l'aide desquels elles ont été déjà résolues.

La circonstance que les lois qui déterminent la durée de la garantie accordée à la propriété littéraire, sont sans influence, soit sur la nature des questions auxquelles cette propriété donne naissance, soit sur la manière dont elles doivent être résolues, me permet d'examiner ici les principales de ces questions et les solutions qui en ont été don

nées, sans sortir des limites que je me suis prescrites, ni changer la nature de cet ouvrage.

Avant que d'être livrée à l'impression et mise en vente, une composition littéraire existe en manuscrit; et, sous cette forme, elle est le produit de l'industrie humaine comme un ouvrage imprimé. Cependant la loi du 19 juillet 1793 n'accorde une indemnité aux auteurs dont les ouvrages ont été contrefaits, que lorsqu'ils les ont eux-mêmes livrés à l'impression et publiés; elle est muette sur l'impression des manuscrits, faite sans l'autorisation des auteurs. Faut-il conclure de ce silence qu'un manuscrit n'appartient pas à celui qui l'a composé, ou que du moins il ne peut en revendiquer que la matière? Celui qui parviendrait à s'en emparer, et qui en prendrait une copie, ne serait-il tenu de restituer que l'original? Pourrait-il, après avoir fait cette restitution, en vendre des exemplaires à son profit?

Ces questions sont peu embarrassantes pour les hommes qui reconnaissent que toute production est la propriété de celui par lequel elle est formée, et qui pensent que les ouvrages littéraires doivent être mis sur le même rang que toutes les autres propriétés. En admettant, en effet, que chacun est propriétaire des valeurs auxquelles il donne naissance, et que nul ne peut légitimement s'enrichir en s'emparant du travail d'autrui, la circonstance

qu'un écrit a ou n'a pas été publié, ne change absolument rien à la question. Les principes qui protègent toutes les propriétés en général, sont applicables à un ouvrage manuscrit comme à un ouvrage imprimé et mis en vente; et il est impossible de voir pourquoi les atteintes portées à celle-là seraient plus licites que les atteintes portées à celle-ci.

Si les lois qui protègent la propriété en général, n'étaient pas applicables à des ouvrages manuscrits, il n'y aurait pas moyen de les livrer avec sûreté à l'impression, parce que l'auteur, en en perdant la possession, perdrait par cela même tous ses droits. Un homme qui, sans en avoir obtenu le consentement du propriétaire, se permettrait de livrer à l'impression un manuscrit tombé dans ses mains, et d'en vendre des exemplaires, se rendrait donc coupable, d'après les principes généraux du droit, d'atteinte à la propriété. Il devrait être condamné d'abord à restituer au propriétaire tous les bénéfices qu'il aurait faits, à réparer, en second lieu, les dommages qu'il lui aurait causés, et enfin à subir les peines que méritent ceux qui usurpent sciemment la propriété d'autrui (1).

(1) Le nom et la renommée d'une personne sont, pour elle, une propriété, à laquelle il n'est pas plus permis de porter atteinte, soit par usurpation, soit autrement, qu'à toute autre espèce de propriété. Une personne ne pourrait donc pas légitimement exploiter le nom ou la réputation d'une autre, pour

La question relative à la propriété d'ouvrages manuscrits, si simple et si facile pour ceux qui admettent en principe que tout produit appartient à celui qui le crée, n'est pas si aisée pour ceux qui considèrent comme un monopole la garantie donnée aux auteurs. Si, par la nature des choses, toute personne, en effet, avait le droit de faire imprimer et de vendre à son profit un ouvrage tombé dans ses mains; si les lois faites pour garantir aux auteurs la vente exclusive de leurs compositions, avait créé un privilége à leur profit, en portant atteinte aux droits de tous, il s'ensuivrait que ces lois devraient être restreintes aux cas spéciaux qu'elles ont prévus, et que nul ne pourrait réclamer que la protection qu'elles ont formellement donnée. Or, les lois faites en France, depuis 1793, sur la propriété littéraire, n'ont eu pour objet que de réprimer les contrefaçons d'ouvrages rendus publics par la voie de l'impression.

s'enrichir, en lui attribuant des ouvrages que celle-ci n'aurait pas composés. Ainsi, un libraire qui avait publié des Mémoires sous le nom d'un personnage célèbre (Fouché, duc d'Otrante), auquel ils n'appartenaient pas, a été condamné, sur la poursuite du fils de l'auteur prétendu, à déposer au greffe du tribunal l'édition entière pour être détruite, ou à payer à la partie poursuivante, à titre de dommages-intérêts, cinq francs pour chacun des exemplaires qui ne seraient pas représentés.—Arrêt du 20 mars 1826, Cour royale de Paris, 2o chambre. — J.-B. Sirey, t. XXVII, 2o part., p. 156 et 157.

L'article 4 de la loi du 19 juillet 1793 porte, en effet, que tout contrefacteur sera tenu de payer au véritable propriétaire une somme équivalente au prix de trois mille exemplaires de l'édition originale; mais, s'il n'existe pas d'édition originale, c'est-à-dire si l'auteur n'a jamais livré son ouvrage à l'impression, sera-t-il sans droit contre celui qui lui aura volé une copie de son manuscrit, et qui l'aura fait imprimer et mettre en vente? L'article 5 de la même loi, qui détermine l'indemnité à laquelle doit être condamné le débitant de l'édition contrefaite, présente la même difficulté; il fixe cette indemnité à une somme équivalente à la valeur de cinq cents exemplaires de l'édition originale. On suppose donc toujours qu'il s'agit d'un ouvrage que l'auteur a lui-même publié ou fait publier.

L'action que cette loi accorde à l'auteur dont l'ouvrage a été imprimé et mis en vente sans son aveu, est subordonnée à une condition: elle doit être précédée du dépôt, dans la bibliothèque nationale, de deux exemplaires de l'édition qu'il a lui-même fait imprimer; mais, s'il n'y a pas eu de publication de sa part, et si par conséquent aucun dépôt n'a été fait, ne sera-t-il admis à exercer aucune action en justice? celui qui lui aura soustrait son manuscrit pourra-t-il en vendre des exemplaires impunément, et sans être tenu de lui payer aucune indemnité? Oui, si la loi du 19

« PreviousContinue »