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tellement placés au-dessus de l'humanité, qu'ils se livreront aux plus grands efforts pour la moindre récompense. S'agit-il de fixer la durée de la jouissance accordée à leurs enfans? On semble croire qu'ils sont tellement égoïstes, qu'ils ne portent aucun intérêt à leurs familles, et qu'ils ne demandent qu'à placer leurs biens en rentes viagères.

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Si l'on croyait pouvoir, sans injustice, n'accorder aux auteurs sur leurs ouvrages qu'une jouissance temporaire, il aurait fallu du moins que chaque année de jouissance qui leur serait enlevée par mort, fût ajoutée aux années accordées aux enfans; on aurait ainsi évité de donner aux écrits qu'un homme publie dans sa jeunesse, une prime sur ceux qu'il publie dans l'âge mur; refuser à ceux-ci des avantages qui sont garantis à ceux-là, ce n'est pas seulement commettre une injustice envers l'auteur et sa famille, c'est méconnaître et sacrifier les intérêts du public et des sciences.

CHAPITRE XXXV.

Distinction entre la propriété littéraire et le monopole.

Les erreurs dans lesquelles on est tombé au sujet de la propriété littéraire, sont venues de ce qu'on a confondu les garanties réclamées pour cette propriété avec l'établissement des monopoles. Après avoir fait cette confusion, il était naturel qu'on donnât des limites à la jouissance d'un auteur ou de ses héritiers. On aurait pu même se dispenser de leur garantir pendant aucun temps la faculté de vendre ou faire vendre exclusivement des exemplaires de leurs ouvrages (1).

Mais, il faut se hâter de le dire, il n'y a rien de commun entre l'établissement d'un monopole et la garantie littéraire. Un monopole, en effet, n'est pas autre chose que l'interdiction faite, sous des peines plus ou moins sévères, à toutes les classes

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(1) En Angleterre, tous les jurisconsultes sont loin d'avoir partagé cette erreur; on a vu, au contraire, que lorsque la question a été approfondie, presque tous les magistrats ont été d'avis que la propriété littéraire devait être régie par les lois communes; mais déjà le Parlement avait prononcé.

de la population, de se livrer à un genre particulier d'industrie ou de commerce, accompagnée d'une exception au profit d'une ou de plusieurs personnes. L'autorité qui crée un monopole, dans l'intérêt d'un ou de plusieurs particuliers, convertit en délit, à l'égard de tous les autres, l'exercice innocent de leurs facultés et le bon emploi de leurs capitaux. Elle commet à la fois deux attentats: l'un contre la liberté des personnes, l'autre contre la disposition des propriétés.

Ainsi, par exemple, lorsque le gouvernement français interdit, sous de fortes peines, l'exercice de l'art typographique à tous les citoyens, et qu'il établit une exception au profit de quelques-uns dont il s'est réservé le choix, il crée évidemment un monopole. Il crée aussi un monopole, lorsqu'il défend, sous certaines peines, à tous propriétaires de terres la culture du tabac, et qu'il permetensuite cette culture à quelques-uns. Enfin, il crée un monopole, quand il interdit à tous les citoyens l'enseignement public, quel qu'en soit l'objet, et qu'il le permet ensuite à un certain nombre de personnes. Dans ces divers cas et dans d'autres semblables, il est évident que l'on convertit en délit, pour la masse de la population, des actions qui ne sont point vicieuses par leur nature, afin de favoriser le développement de certains intérêts particuliers.

Les hommes auxquels l'exploitation d'un monopole est accordé, n'avaient aucun droit préexistant à l'exercice exclusif de l'industrie ou de commerce qu'ils exploitent. Si le gouvernement n'avait fait aucun acte pour attribuer exclusivement à certaines personnes la faculté de multiplier, par la presse, les copies d'un écrit, comment ces personnes seraient-elles parvenues à établir leur droit exclusif à l'exercice de cette industrie? Comment les hommes auxquels on a donné le monopole de l'enseignement, parviendraient-ils à prouver en justice qu'ils ont seuls le droit d'enseigner, s'ils étaient obligés de mettre de côté l'acte de l'autorité publique, qui convertit en délit l'exercice d'une profession nécessaire et honorablement remplie ? Comment enfin parviendrait-on à démontrer que, par la nature des choses, les propriétaires de tels ou tels champs ont seuls le droit de cultiver telle ou telle plante? Ici, le droit appartient également à tous; mais ce droit est converti en priviléges au profit de quelques-uns.

On ne peut pas donner le nom de monopole à la garantie donnée à chaque individu d'exercer librement sa profession ou son industrie, et de jouir et de disposer seul des produits qu'il en obtient; la même garantie étant donnée à tous, il n'y a de privilége pour personne. Ainsi, le manufacturier auquel les lois assurent la disposition exclusive du

produit de sa manufacture, ne jouit d'aucun monopole. Il n'y a pas non plus de monopole pour l'homme auquel les lois garantissent la jouissance et la disposition exclusive de la maison ou du champ dont il a la propriété. On ne saurait à plus forte raison mettre au rang des monopoles les avantages qui résultent pour un homme de ses talens, de ses connaissances, de sa réputation, de ses relations de famille.

Dans quel sens serait-il donc vrai de dire que la garantie donnée à la propriété littéraire, constitue un monopole au profit des auteurs ou de leurs héritiers? Si la même garantie est donnée à tous, n'est-il pas évident qu'il n'y aura de privilége pour aucun? Si chacun est propriétaire de ses œuvres, quel est celui qui pourra se prétendre lésé? Quelle est la base sur laquelle un homme pourrait fonder son droit de multiplier et de vendre à son profit les ouvrages des autres?

Si un acte de l'autorité publique interdisait à la généralité des citoyens d'écrire sur tel ou tel sujet, de traiter telle ou telle science, et s'il établissait ensuite une exception en faveur d'une ou de plusieurs personnes, alors sans doute on pourrait se plaindre avec raison de l'existence d'un monopole; mais il n'y a rien de commun entre un tel privilége et la garantie donnée à chaque auteur de la propriété de ses ouvrages. Cette ga

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