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INTRODUCTION.

A une époque où les distances disparaissent et où les rapports avec les autres nations deviennent chaque jour plus fréquents, est-il besoin de faire ressortir l'utilité pratique de la connaissance des lois étrangères? Ceux qui ont des relations établies ou à établir dans des pays dont ils ignorent la législation, des intérêts à soutenir ou à combattre, des contestations à juger, des conseils à donner lorsque des étrangers sont en cause, en comprennent toute l'importance. Quant à l'étude comparative et théorique de ces lois, elle est indispensable aux jurisconsultes et aux législateurs dont l'horizon est trop peu étendu, s'ils se bornent à étudier les leurs et s'ils ne profitent pas des améliorations qui s'introduisent hors de chez eux.

Nous constatons avec plaisir qu'aujourd'hui, dans les commentaires, dans les recueils de jurisprudence et dans les exposés de motifs des lois nouvelles dont plusieurs ont été inspirées par des lois analogues qui réussissaient dans des pays voisins, on cite souvent les législations étrangères et qu'on semble se tourner vers cette étude si essentielle plus que dans aucun autre temps. La meilleure récompense de nos travaux serait d'avoir contribué pour notre part à ce résultat que nous croyons utile.

La comparaison des législations des divers pays peut se faire de deux manières principales ou on les rapproche toutes ensemble sur le même sujet, ou on les compare l'une après l'autre avec une législation qu'on prend pour type. La première manière est celle que nous avons suivie dans l'introduction et dans les tableaux synoptiques; la seconde est celle du reste de l'ouvrage, de sorte que la question sera retournée sous ses deux faces.

Hâtons-nous de dire que nous sommes loin de prétendre exposer complètement dans cette introduction tous les rapports et toutes les dissemblances qui peuvent exister entre les législations civiles; nous voulons seulement faire ressortir quelques-uns des rapprochements les plus remarquables et attirer l'attention sur un petit nombre de principes fondamentaux dans chaque matière. Nous passons sous silence en général, comme n'offrant aucune particularité, ceux de

ces principes sur lesquels il n'y a pas de désaccord avec notre Code, mais, pour les autres, nous groupons, autant que possible, les législations étrangères en systèmes différents. Nous avons pensé qu'il serait curieux d'indiquer aussi quelquefois dans quel sens ces législations décidaient des questions controversées chez nous, et enfin nous avons cherché de temps en temps à rattacher au droit romain et à l'ancien droit les points sur lesquels elles s'écartent du Code Napoléon. Ce travail très-sommaire laisse le champ libre aux esprits profonds et spéculatifs qui voudraient étendre un cadre que nous n'avons pu que tracer.

TITRE PRÉLIMINAIRE.

Presque tous les Codes civils débutent comme le Code Napoléon, par un titre préliminaire où sont énoncés des principes qui sont comme les prolégomènes de toutes les lois et sur lesquels les législations sont d'accord. La promulgation des lois se fait, soit par la lecture à haute voix en chaire, à l'audience ou en place publique, soit par la publication dans les journaux officiels, soit par des affiches, soit par ces différents moyens combinés. En Angleterre il n'y a pas besoin de promulgation; tout acte du parlement est exécutoire du jour où il a reçu la sanction royale, parce que chaque Anglais est censé y avoir concouru par l'organe de ses représentants. Quant au délai après lequel la loi est exécutoire, souvent il doit être indiqué dans la loi même; sinon, il est tantôt unique pour le pays entier, ainsi en Belgique il est de dix jours pour tout le royaume indistinctement (loi. belge du 28 février 1845), tantôt variable pour chaque point du territoire, selon la distance du lieu où la loi a été promulguée. La non-rétroactivité de la loi et les dispositions des articles 3 à 6 du Code Napoléon sont écrites dans la plupart des Codes (1). Cependant le Code des Pays-Bas décide que le droit civil du royaume est le même pour les étrangers que pour les Hollandais, et le Code des Deux-Siciles soumet à toutes les lois du royaume ceux qui l'habitent, nationaux ou étrangers. Le Code Napoléon ne parle pas de la loi qui régit les meubles tandis que les Codes de Prusse et d'Autriche les soumettent formellement aux lois applicables à la personne du propriétaire.

Les titres préliminaires de plusieurs Codes étrangers contiennent aussi des règles qui, sans se trouver dans le Code Napoléon, sont admises chez nous. Ainsi les Codes de Sardaigne, d'Autriche, de Serbie et d'Argovie portent que le pouvoir législatif peut seul interpréter une loi d'une manière généralement obligatoire (2). Le principe: locus regit actum, tellement incontestable qu'on ne l'écrivit pas dans notre Code, est énoncé dans ceux de Hollande, de Prusse, de Berne, de Fribourg, d'Argovie, de Zurich et de la Louisiane. Enfin d'autres

(1) Pour tout ce qui a rapport au statut réel et au statut personnel, voir le Traité de droit international privé de M. Fœlix, p. 35 à 80, 1 v. in-8°, Paris, 1843.

(2) Voir sur cette question les Observations de M. le comte Portalis qui précèdent le Code Sarde dans la collection de M. Victor Foucher (p. LVIII et suiv.).

législations décident que les lois restrictives et exceptionnelles doivent être entendues dans leur sens le plus modéré (Modène, Iles-Ioniennes), et que les lois sont exécutoires tant qu'elles ne sont pas expressément révoquées par le législa→ teur (Prusse, etc.).

DE LA JOUISSANCE ET DE LA PRIVATION DES DROITS CIVILS.

Les différences entre les personnes, au point de vue du droit, sont nombreuses. Outre les différences naturelles qui résultent de l'âge, du sexe, et qu'on retrouve chez tous les peuples, il en est de sociales qui sont particulières à quelques-uns où les distinctions entre libres et esclaves, entre privilégiés et non privilégiés, entre orthodoxes et non orthodoxes subsistent encore. Mais la différence sociale la plus profonde et qu'on ne pourra jamais effacer entièrement (1), est celle qui sépare les nationaux et les étrangers. Le titre premier du Code Napoléon est consacré à cette matière.

Ce qu'on entend par national y est établi par les articles 9, 10 et 12. Les principes fondamentaux de ces articles sont admis presque partout, sauf une plus ou moins grande libéralité à accorder la qualité de national. Ainsi le Code Sarde considère comme sujet (art. 24) tout enfant né d'un étranger qui s'est établi dans le royaume avec l'intention de s'y fixer à perpétuelle demeure ou qui y a conservé son domicile pendant dix ans, Dans la Grande-Bretagne et au Brésil, tout enfant né en Angleterre ou au Brésil d'un père étranger est réputé national. Cette règle était en usage dans notre ancien droit (2). A Haïti, l'étranger devient Haïtien lorsqu'après avoir déclaré qu'il veut s'y fixer, il y séjourne un an sans interrup tion. Le Code Hollandais est encore plus large: il répute Néerlandais non seulement tout individu né dans le royaume, pourvu qu'il y ait fixé son domicile, mạis même l'enfant né à l'étranger de parents étrangers domiciliés dans le royaume ou ses colonies, et absents momentanément ou éloignés pour le service de l'Etat. En Autriche, on acquiert le droit de cité (art. 29) en entrant dans un service publio, qu par l'esprit de se fixer dans le pays à perpétuelle demeure, ou par un séjour continu de dix ans. En Angleterre, l'Anglaise mariée à un étranger reste Anglaise, et si ses enfants naissent en Angleterre, ils sont Anglais. Dans les autres pays, on admet le principe de l'art. 12 du Code Napoléon, et la femme suit la condition de son mari.

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Le principe que l'enfant, dont les père et mère sont inconnus, est national, est admis en France par la jurisprudence; il résulte pour la Sardaigne de l'art. 23 du Code Sarde, pour le duché de Parme de l'art. 17 du Code de Parme et pour les pays allemands de plusieurs dispositions des divers Codes,

1) Le projet de ne plus former qu'une seule nation sur la terre est sans doute une coception également hardie et généreuse; mais ceux qui en sont capables ont-ils vu les bmmes tels qu'ils sont ou tels qu'ils les désirent? (Rapport de Treilhard sur la jouissance la privation des droits civils).

(2) Pothier, Traité des personnes et des choses, Tit. II, Sect. Ire,

La naturalisation est aussi un moyen universellement admis d'acquérir la qualité de national.

Tout national jouit des droits civils. Mais d'après l'art. 13 du Code Napoléon, les étrangers, tout en restant étrangers, peuvent être presque entièrement assimilés aux Français en obtenant du gouvernement l'autorisation d'établir leur domicile en France. Cette disposition est reproduite par le Code Hollandais (art. 8), qui l'étend au cas où l'étranger domicilié en Hollande depuis six ans, déclare simplement à la commune qu'il a l'intention de se fixer dans le royaume, En Angleterre, l'étranger peut également, sans devenir Anglais, acquérir par la dénisation une partie des droits civils des Anglais. Il est alors autorisé à acquérir des immeubles, dont ses enfants nés après la dénisation, peuvent hériter.

En Danemark, en Hollande (sauf pour le droit d'aubaine) et dans une partie de la Suisse, les étrangers, sans avoir besoin d'aucune autorisation, jouissent des mêmes droits civils que les nationaux. En Pologne il en est de même, sauf qu'ils ne peuvent faire de cession de biens, ni être tuteurs de Polonais, ni témoins dans les actes publics. En Autriche et en Prusse, l'exercice des droits civils s'acquiert en même temps que le droit de cité. Dans l'Amérique du Sud, les Deux-Siciles, le Danemark, l'Angleterre, les étrangers, même lorsqu'ils jouissent en partie des droits civils, sont exclus des emplois publics; en Norwége, sauf quelques exceptions, il leur faut un séjour de dix ans avant de pouvoir y être admis.

Le droit d'aubaine qui fut aboli en France par le décret du 18 août 1790, puis rétabli par l'art. 726 du Code Napoléon et enfin définitivement supprimé par la loi du 14 juillet 1819, n'existe pas non plus en Toscane, en Russie (1), en Danemark et dans une partie de la Suisse. Il existe en Angleterre, à Haïti, dans le Wurtemberg, en Turquie pour les immeubles; car les étrangers étant incapables d'y acquérir des immeubles à titre définitif, ne peuvent y succéder qu'aux biens meubles. Mais la grande majorité des pays a adopté la règle de l'art. 726 du Code Napoléon qui appliquait le droit de réciprocité au droit d'aubaine. Ces pays sont la Belgique (2), Bade, les Etats-Romains, les Iles-Ioniennes, la Norwége, la Hollande, la Suède, Parme, Modène, les Deux-Siciles, la Sardaigne, l'Autriche, la Serbie, le Wurtemberg, les cantons d'Appenzell, de Genève, des Grisons, de Fribourg, de Vaud et du Valais. Dans toute l'Allemagne, le droit d'aubaine est aboli seulement entre les Etats de la Confédération; mais, sauf en Autriche, en Wurtemberg et à Bade, il est maintenu en principe à l'égard des autres puissances et ne peut être supprimé que par des traités spéciaux (3).

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(4) En Russie, la rente inscrite au grand livre de la dette publique sous le nom d'un étranger passe à ses héritiers suivant la loi du pays auquel il appartient.

(2) Nous ferons remarquer une fois pour toutes, qu'en général, lorsque nous mentonnons le Code Napoléon, nous mentionnons implicitement la législation civile de la belgique, du grand duché de Berg, de la Prusse rhénane, de la Bavière rhénane et de la Pologne (sauf pour le premier livre) qui ont adopté le texte même du Code Napolém. Lorsque nous mentionnons l'Amérique du Sud, nous mentionnons aussi implicitement l'Espagne dont la législation est encore la même.

(3) Tous les Etats de l'Allemagne ont successivement fait avec la France des traités de c

Le système de l'art. 14 du Code Napoléon qui renferme une exception à la règle actor sequitur forum rei, est loin d'être suivi partout, Il ne l'est pas notamment en Toscane, à Bade et dans le droit commun allemand. Celui des articles 15 et 16 est au contraire généralement adopté; en Angleterre même la caution judicatum solvi doit être fournie par l'Anglais demandeur, s'il réside à l'étranger.

Les tribunaux indigènes sont-ils compétents pour juger les contestations enti deux étrangers? Cette question controversée chez nous est résolue dans le sens affirmatif par les législations anglaise et norwégienne. Nous n'insistons pas s'r ces différents points qui sont dans presque tous les pays renvoyés aux Codes do procédure civile (1).

La perte de la qualité de national et par suite celle des droits civils a lieu ders la plupart des pays pour les mêmes causes qu'en France, et de plus à Parme, à Modène et en Prusse, pour un séjour de dix ans à l'étranger; à Haïti, lorsqu'o. abandonne le pays dans un danger imminent. A Parme, à Modène et à Haïti, celui qui devient ainsi étranger perd ses biens, et même à Parme et à Modène, la femme du pays, mariée à un étranger, ne peut disposer de ses immeubles par donation ou testament qu'en faveur d'un indigène. L'Angleterre seule fait excep tion : la qualité d'Anglais ne se perd que par un acte du parlement. Ce qui en France entraîne la perte de la qualité de Français, est puni en Angleterre de peines qui n'enlèvent pas la nationalité.

La privation de certains droits civils est encourue aussi par des condamnations judiciaires déterminées. La mort civile qui est maintenant enfin supprimée en France par la loi du 3 juin 1854, subsiste encore en Angleterre, où néanmoins le mariage du mort civilement n'est pas dissous, dans les duchés de Parme, de Modène et de Bade, dans le canton de Vaud et en Toscane, mais seulement dans ce dernier pays pour les religieux qui ont prononcé leurs vœux. Chez les autres peuples, notamment en Sardaigne, en Autriche, en Belgique, en Bolivie, en Danemark, en Hollande, en Norwége, en Pologne, en Portugal, en Toscane pour tous les Toscans autres que les religieux, à Haïti, dans les Iles Ioniennes et les Deux-Siciles, la mort civile est inconnue; on y applique une interdiction légale plus ou moins semblable à celle de l'art. 3 de la loi française du 3 juin 1854. En Suède, les condamnés à certaines peines et ceux qui abjurent leur foi, sont exclus des successions.

DES ACTES DE L'ÉTAT CIVIL.

C'est à l'église que la civilisation moderne doit la constatation des actes les plus importants de la vie civile au moyen de registres. Cet usage n'est cependant pas très-ancien; on ne commence à en trouver de traces que dans les derniers temps

genre (Voir le répertoire général du journal du palais Vo, Droit d'aubaine). Il existe aussi avec la Turquie une capitulation du 18 mai 1740 qui abolit le droit d'aubaine à l'égard de la France, pour les meubles seulement.

(1) Voir le Traité de droit international privé de Fœlix, p. 169 à 212.

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