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moteurs secrets de cette assemblée, de changer d'avis, et, pour agir avec sûreté dans cette usurpation impie, de traiter cette affaire dans une assemblée particulière et sans appareil. Ainsi, quelques jours après, traitant avec un mépris insupportable les compagnies qui avoient été convoquées à la première assemblée, et sans leur donner avis, ils se sont contentés d'une assemblée composée du premier échevin, avec quatre conseillers de ville, qui sont toutes personnes attachées et vendues aux intérests des jésuites, les uns ayant leurs fils ou leurs neveux dans leur société, les autres étant congréganistes, l'un leur avocat à gage, et les autres ayant leurs enfans au collége; si bien que les uns les aiment et les honorent, les autres les craignent, n'y ayant rien de plus ordinaire dans la bouche de ceux qui les ont favorisé, ou qui avoient dessein de le faire, qu'ils ne pouvoient refuser cette grâce aux pères, parce qu'ils avoient leurs enfans chez eux, et lorsqu'on les pressoit, en leur demandant s'il falloit les craindre et faire une injustice pour cela, ils répondoient que les pères les maltraiteroient, et qu'ils étoient fort puissans. Mais, quoyque cette dernière assemblée ait été faite par complot, et sans y garder les formes, Dieu, qui ne veut pas que tous fléchissent les genoux devant Baal, et qui sçait conserver le grain parmi la paille, a permis que quelc'un de cette assemblée ait parlé avec vigueur, et remontré qu'étant question d'aliéner le patrimoine de la ville, il étoit besoin d'un consentement général de tous les corps; qu'il n'y avoit pas d'apparence de détruire ce que la piété de nos pères a édifié avec tant de magnificence; enfin qu'il ne falloit pas attirer sur soy le reproche de la postérité; et quoyque cet avis ait été suivi de trois autres, on n'a pas laissé de conclure et accorder aux jésuites ce qu'ils demandoient, et d'ordonner qu'on leur donneroit les cent pieds de long, avec une arche et demi du cloître qui retourne, à condition qu'on laisseroit deux portes, l'une au-dessus de cet espace, l'autre au-dessous, fermées chacune à deux clefs qui seroient gardées par les jésuites, et pour la sûreté publique, les autres seroient mises dans l'hôtel de ville, pour les avoir lorsque le chapitre de la cathédrale et les chapelains du cimetière y font des processions et autres cérémonies aux jours solemnels; que les particuliers bourgeois de la ville, non-seulement conserveront leurs droits de sépulture dans cet endroit du cloître, mais même y pourroient mettre des épitaphes, et qu'ainsy les curés de la ville demeureroient dans le droit et la possession d'y enterrer leurs paroissiens, aussy bien que dans tout le reste du cimetière; et parce que messieurs de la cathédrale, la compagnie des curés, les chapelains du cimetière et plusieurs corps d'artisans qui ont des confréries dans l'église du cimetière, ce qui est cause qu'ils y font plusieurs processions à quelques jours de l'année, s'estoient opposés à cette aliénation, il a été

dit par cette conclusion, que les jésuites feroient lever toutes oppositions. Mais cette résolution ayant été communiquée au recteur des jésuites, par le greffier de la ville, au lieu de faire des remercîmens, il a été assez insolent pour témoigner qu'ils n'en étoient pas contents ny satisfaits, et cependant on ne doute point qu'ils ne se mettent en possession, s'assûrant bien qu'ayant eu le crédit d'être maîtres de la chose, il leur sera facile de se rendre maîtres des conditions: mais, quand ils accepteroient toutes celles qu'on leur propose, il est certain qu'ils n'en observeroient aucune. Ils sont déjà en possession d'en user de la sorte dans cette ville, où ils ont été reçûs à condition d'être soumis à l'ordinaire, comme il paroît par les pièces que feu monseigneur l'évêque d'Amiens a fait imprimer dans le procès qu'il eut contre eux, et cependant lorsque messieurs les curés les ont dénoncés à M. d'Amiens d'aujourd'huy, au sujet de leur mauvaise morale, ils n'ont pas voulu reconnoître sa jurisdiction. Voilà l'état où est maintenant cette affaire; le greffier, ensuite du mauvais accueil du recteur, n'a point encore délivré la permission qui leur a été accordée par des gens qui ont mieux aimé détruire les monumens de la piété de leurs ancêtres que de déplaire aux jésuites.

Pour ces pères, on n'a pas sujet de s'étonner de leurs entreprises; ils pratiquent ce qu'ils enseignent. Le factum des curés est un ramas de ce qu'ils ont autrefois enseigné dans la ville, et qu'ils continuent d'y enseigner tous les jours, et cette entreprise sur le bien d'autruy est une pratique de leur méchante doctrine.

Ils promettent de faire enterrer chez eux, cela pourra être, pourvû qu'il leur en revienne de l'argent; mais autrement, il n'y a pas lieu de l'espérer. Que s'ils font cette usurpation, ils pourront bien dire avec saint Augustin dans la Cité de Dieu, que les chrétiens qui méprisent tout en ce monde, ne se soucient pas de la sépulture de leurs corps, et comme dit un ancien, cœlo tegitur qui non habet urnam; mais cela n'empêchera pas que les os et les cendres de nos pères ne s'élèvent à la résurrection contre ces harpyes, qui nous veulent ôter la consolation d'être dans la sépulture que nos pères ont choisie, et qu'ils ne s'élèvent aussy contre nous-mêmes, si nous n'apportons une généreuse résistance contre une entreprise si extraordinaire. Si tout ce qu'on leur représente ne les peut arrêter, et qu'on ne trouve point d'azile contre leur violence auprès des juges de ce monde, ils doivent s'attendre à éprouver les effets les plus sévères de la justice de ce juge des vivans et des morts, qui les punira d'un attentat si criminel.

Mais les tribunaux de la terre ne nous sont point fermés; nous y pouvons adresser nos plaintes, et nous devons même espérer qu'elles y seront favora

blement écoutées, puisqu'elles seront des marques de notre piété, de notre religion, et du zèle que nous devons avoir pour conserver ce que nos ancêtres nous ont laissé.

RÉPONSE DES PÈRES JÉSUITES.

1o Le prieuré de Saint-Denis, appellé, il y a plus de deux cens ans, le prieuré de Saint-Denis-du-Pré-lès-Amiens, et du depuis appellé le prieuré de SaintDenis au fauxbourg d'Amiens, enfin renfermé dans l'enceinte de la ville, est un prieuré dépendant de l'abbaye de Marmoutier.

2o La moitié du cimetière de Saint-Denis, qui a pour bornes les images de saint Jacques et de saint Denis, est de l'ancien domaine du prieuré, comme il est aisé de le voir par le dénombrement des terres.

3o Les prieurs ont permis que cette terre servît de cimetière, se réservant toujours le domaine direct et utile, et cecy est encore évident par les titres où il est vérifié que, depuis plus de deux cens ans, jamais il ne s'est rien fait dans ledit cimetière sans la permission, l'agrément et le congé desdits prieurs ; si bien qu'il ne s'est pas dressé une croix, un mausolée, ny un oratoire, ny fait une fosse, ny coupé un arbre, que par le congé desdits prieurs; et même, en l'an 1540, il appèrt que le mayeur, le prévost et les eschevins ont demandé congé et permission de bâtir le cloître qui est vers la porte de Noyon; et en l'an 1543, il se voit qu'ils ont demandé la même permission, pour continuer le cloître qui est le long du jardin et du mur du prieuré, lequel congé leur a été libéralement accordé. En l'an 1579, se voit une descente d'experts et de massons, pour aviser aux moyens de continuer le cloître le long de la chapelle de Saint-Denis.

De tout cecy résulte: 1o que les prieurs sont seigneurs spirituels et temporels dudit cimetière, et qu'ils ont réservé non-seulement la seigneurie, mais la propriété. 2o Que messieurs de ville, consentant que les pères jésuites bâtissent une chapelle, n'aliènent et ne donnent pas le bien de la ville, mais seulement changent l'usage d'un bout du cimetière inutile et le réceptacle des immondices en usage saint, pour agrandir l'église du collége qui est un bien public. 3o Que les messieurs de la ville accordent avec grande raison cette grâce aux pères jesuites, puisque la ville n'a usage du cimetière de Saint-Denis et du cloître que par la permission et le congé des prieurs de Saint-Denis: ainsy c'est reconnoître une grâce par une autre grâce, qui ne peut être déniée au prieur du Saint-Denis sans luy donner un juste sujet de se plaindre.

T. III.

18

1665.

23

juillet.

XLI.

SENTENCE DU BAILLI D'AMIENS RELATIVE A LA JUSTICE CIVILE
DE L'ÉCHEVINAGE.

Le document qui va suivre offre l'une des dernières traces de la juridiction civile de l'échevinage d'Amiens. C'est une sentence rendue par le bailli, à la suite d'un procès soutenu par la communauté des seize sergents à masse de la justice civile, prévôté royale et police de la ville d'Amiens, contre la communauté des procureurs du bailliage et siége présidial. Il est enjoint aux procureurs, toutes les fois qu'ils signifieront une pièce de procédure, d'indiquer en tête de l'expédition, si cette pièce est extraite du registre aux causes de la justice civile d'Amiens, ou du registre aux causes du bailliage. Ils ne pourront en outre faire faire les exploits de la justice civile de la prévôté et de la police d'Amiens que par les seize sergents à masse, qui serviront les plaids aux jours ordinaires.

A tous ceux qui ces présentes lettres verront, Guy de Bar, chevalier, seigneur dudit lieu, gouverneur et bailly d'Amiens, salut. Sçavoir faisons que, ce jourd'hui datte des présentes, en jugement entre la communauté des seize sergens à masse de la justice civile, prévôté royale et police de la ville d'Amiens, demandeurs en réglement, contre la communauté des procureurs du bailliage et siége présidial dudit Amiens, défendeurs et assignez; parties ouïes en personnes, et le procureur du roy, par Me Antoine Petit, avocat ; après que les parties ont dit être demeurées d'accord de l'appointé proposé au parquet des gens du roy: Nous avons ordonné que ledit appointé aura lieu et sera exécuté tel que les procureurs seront tenus d'intituler les actes et appointemens qu'ils font signifier, sçavoir, ceux de la justice civile: extrait du registre aux causes de la justice civile d'Amiens, et ceux du bailliage: extrait du registre aux causes du bailliage d'Amiens; et au regard des actes qui commencent par entre, que lesdits procureurs seront tenus, après le nom et qualité du conseiller raporteur ou autres juges pardevant lesquels l'acte aura été rendu, d'ajouter et faire mention si l'acte est du bailliage ou de la justice civile, à peine de cinquante livres d'amende. Comme aussi faisons défenses ausdits procureurs de faire faire aucun acte ou exploit de la justice civile, prévôté royale et police d'Amiens, par

autres que par lesdits seize sergens à masse, aussi à peine de cinquante livres d'amende pour chacune contravention; enjoint aux sergens à masse de servir les plaids aux jours ordinaires. Et sera notre sentence exécutée, nonobstant opposition ou appellation quelconque, et sans préjudice d'icelle. Donné à Amiens, et expédié pardevant nous Jean Thiery, seigneur de Genonville, conseiller du roy en ses conseils d'État et privé, lieutenant général, le vingt-trois juillet mil six cens soixante-cinq. Signé : de Bar.

XLII.

ARRET DU CONSEIL D'ÉTAT RELATIF A LA VENTE DE LETTRES DE MAITRISE DANS LA VILLE D'AMIENS.

Divers édits royaux, promulgués dans les années 1647, 1660 et 1663, à l'occasion du sacre de Louis XIV, du baptême de Monsieur et de la naissance du Dauphin, avaient créé, dans chaque ville de France et pour la plupart des métiers, un certain nombre de maîtrises. Jusqu'à l'époque à laquelle nous sommes parvenus, ces édits, à ce qu'il semble, n'avaient pas été exécutés à Amiens; mais en 1666, un homme dont le nom et le titre ne nous sont point connus, vint dans cette ville pour y placer des lettres de maîtrise, dressées en vertu des édits de 1647, 1660 et 1663. Les magistrats municipaux protestèrent, en alléguant que l'industrie de la ville, l'une des plus florissantes du royaume, serait ruinée par l'introduction, moyennant finances, dans les corps de métiers, de gens qui n'auraient fait ni apprentissage ni chef-d'œeuvre; et malgré la défense contenue dans les édits sus-indiqués de recevoir aucun maître avant que les lettres fussent toutes vendues, ils continuèrent à assister à la réception des chefs-d'œuvre. Poursuivis pour ce fait par les officiers royaux, et condamnés à l'amende, ils appelèrent au conseil d'état, qui, en attendant une décision définitive, ordonna que les magistrats municipaux et les officiers de métiers pourraient, comme par le passé, recevoir des maîtres ayant fait leurs preuves et exécuté le chef-d'œuvre, et qu'il serait sursis à l'exécution des condamnations prononcées contre eux.

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