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Avis au Public.

On fait savoir à toutes personnes de quelqu'état, rang, con dition ou dignité qu'elles soient, habitans de cette cité ou des provinces voisines, que ceux qui auraient connaissance, ou en leur pouvoir des sommes, biens, meubles, bijoux et effets quelconque, appartenant, à queque titre que ce soit, à Don M. Godoy, Prince de la Paix, d'en faire la remise ou la déclaration, dans le plus brief délai, à MM. D. Philippe-iguacio Canga, etc. conseillers du roi au tribunal suprême de Castille, tous les trois chargés de cette commission par ledit tribunal.

On prévient que, si on ne se hâtait d'obéir aux ordres dudit tribunal, et si on faisait de fausses déclarations, il serait procédé avec la dernière rigueur contre ceux qui cacheraient lesdits objets, ou qui ne s'empresseraient pas de donner avis des dépôts qu'ils connaîtraient.

Et pour que cette loi soit bien connue du public, le conseil a ordonné qu'elle soit affichee dans tous les coins de rue. Madrid, le 2 Avril, 1808.

D. B. MUGNOZ.

Paris, le 2 Mai.

Rapport de S. A. I. le grand-duc de Berg, lieutenant de l'empereur, commandant ses armées en Espagne.

Monseigneur,

Conformément aux ordres de V. A. I. je me suis rendu à Aranjuez avec la lettre de V. A. pour la reine d'Etrurie. Ii était huit heures du matin; la reine était encore couchée; elle se leva de suite et me fit entrer. Je lui remis votre lettre. Elle m'invita à attendre un moment, en me disant qu'elle allait en prendre lecture avec le roi et la reine. Une demi-heure après je vis entrer la reine d'Eturie avec le roi et la reine d'Espagne.

S. M. me dit qu'elle remerciait V. A. I. de la part que vous preniez à ses malheurs d'autant plus grands, que c'est un fils qui s'en trouve l'auteur. Le roi me dit que cette révolution avait été machinée; que de l'argent avait été distribué, et que les principaux personnages étaient son fils et M. Caballero, ministre de la justice; qu'il avait été forcé d'abdiquer pour sauver la vie de la reine et la sienne; qu'il savait que sans cet acte, ils étaient assassinés pendant la nuit; que la conduite du prince des Asturies était d'autant plus affreuse que s'étant apperçu du désir qu'il avait de régner, et lui, approchant de la soixantaine, il était conveun qu'il lui céderait la couronne lors de son mariage avec une princesse française; ce que le roi désirait ardemment.

Le roi a ajouté que le prince des Asturies voulait qu'il se retirât avec la reine à Badajoz, frontière du Portugal; qu'il lui avait observé que le climat de ce pays ne lui convenait pas, qu'il le priait de permettre qu'il choisit un autre endroit ; qu'il désirait obtenir de l'empereur la permission d'acquérir un bien en France et d'y finir son existence. La reine m'a dit qu'elle. avait supplié son fils de différer leur départ pour Badajoz, qu'elle n'avait rien obtenu, et qu'il devait avoir lieu lundi prochain. Au moment de prendre congé de LL. MM. le roi me dit: "J'ai écrit à l'empereur dans les mains duquel je remets mon sort. Je voulais faire partir ma lettre par un courier, mais je ne saurais avoir une occasion plus sûre que la vôtre." Le roi me quitta alors pour passer dans son cabinet. Bientôt après il en sortit tenant à la main la lettre ci-jointe qu'il me remit, No. 1 et 2) et il me dit encore ces mots. Ma situation est des plus tristes. Ou vient d'enlever le Prince de la Paix qu'on veut conduire à la mort. Il n'a d'autre crime que celui de m'avoir été toute sa vie attaché. Il ajouta, qu'il n'y avait sorte de sollicitations qu'il n'eût faites pour sauver la vie à son malheureux ami, mais qu'il avait trouvé tout le monde sourd à ses prières, et enclin à l'esprit de vengeance; que la mort du Prince de la Paix entraînerait la sienne et qu'il n'y survi vrait pas. B. de MOUTHION

Aranjuez, le 23 Mars, 1808.

(Signé)

No. I.

Lettre du roi Charles IV à l'empeur Napoléon. Monsieur mon frère, votre majesté apprendra sans doute avec peine les événemens d'Aranjuez et leur résultat; elle ne verra pas sans quelqu'intérêt un roi qui, forcé d'abdiquer la couronne, vient se jeter dans les bras d'un grand monarque son allié, se remettant en tout à sa disposition, qui seul peut faire son bonheur, celui de toute sa famille, et de ses fidèles et aimés sujets. Je n'ai déclaré m'en démettre en faveur de mon fils que par la force des circonstances, et lorsque le bruit des armes et les clameurs d'une garde insurgée me faisaient assez connaître qu'il fallait choisir entre la vie et la mort, qui eût été suivie de celle de la reine. J'ai été forcé d'abdiquer; mais rassuré aujourd'hui et plein de confiance dans la magnanimité et le génie du grand homme qui s'est toujours montré mon ami, j'ai pris la résolution de me remettre en tout ce qu'il voudra bien disposer de nous, de mon sort, de celui de la reine, et de celui du Prince de la Paix.

J'adresse à V. M. I. et R. une protestation contre les événemens d'Aranjuez et contre mon abdication. Je m'en remets at me confie entièrement dans le cœur et l'amitié de V. M.

Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.

Monsieur mon frère,

De V. M. I. et R. le très-affectionné frère et ami,

Aranjuez, le 21 Mars, 1808.

CHARLES.

No. II.

21 Mars.

leJe proteste et déclare que mon décret du 19 Mars, par quel j'abdique la couronne en faveur de mon fils est un acte auquel j'ai été forcé, pour prévenir de plus grands malheurs et l'effusion du sang de mes sujets bien aimés. Il doit en conséquence être regardé comme de nulle valeur.

Bayonne, le 30 Avril.

MOI LE ROI.

Le roi Charles IV. et la reine Louise sont arrivés le 27 Burgos. Ils ont été reçus avec tous les honneurs dus à leus rang. Le maréchal Bessières leur ayant présenté le corps de officiers français, LL. MM. ont témoigué beaucoup de satisfaction de les voir.

Le lendemain, ie 28, LL. MM. sont entrées à Vittoria, où le général Verdier a eu l'honneur de leur présenter le corps des officiers français. Un détachement de cent gardes-du-corps. qui avait accompagné le prince des Asturies, se trouvait dans cette ville. Ces gardes avaient pris possession, selon leur usage, du palais que devaient occuper LL. MM. Lorsque le vieux roi les a apperçu, il leur a dit: "Vous trouverez bon que je vous prie de quitter moo palais, vous avez trahi tous vos devoirs à Aranjuez; je n'ai besoin de vos services et "je n'en veux pas." Les gardes-du du-corps out été obligés de se retirer. On assure que lorsque le roi leur a parlé ainsi, il a montré une chaleur, une énergie qn'on ne lui connaissait pas encore. Il a prié le général français de lui donner une garde.

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Le beau régiment de carabiniers avait accompagné le roi jusqu'à Burgos. Ces braves gens, dont la conduite a été celle de tous les vrais soldats, lui sont toujours restés fidèles.

Le 29, LL. MM. ont couché à Tolosa. Le général Lasalle a eu l'honneur de leur présenter le corps des officiers français.

Dans toute sa route le roi a été parfaitement accueilli par le peuple. Les seuls hommes que les intrigues d'Aranjuez avaient agités, se sont montrés mornes et consternés.

Le 30, à midi, LL. MM. sont arrivées à Irun, où le géné

ral Lebrun, aide-de-camp de S. M. leur a remis des lettres de l'empereur. Le prince de Neufchâtel les a reçus à l'entrée du territoire français.

A deux benres, LL. MM. entraient dans nos murs. La garnison était sous les armes et formait la haie. Toutes les autorités s'étaient portées sur les glacis de la place. La citadelle et la rade saluaient de tous leurs canons. A l'arrivée de LL. MM. dans le palais qui leur avait été préparé, le grand-maréchal Duroc leur à présenté les officiers de l'emperear désignés pour être de service auprès d'elles.

Une demi-heure après, l'empereur est allé faire visite LL. MM.; il est resté fort long-tems avec elles.

Du 1er Mai.

Nous jouissons ici du spectacle le plus extraordinaire et le plus imposant. Nous y voyons en même tems LL. MM. l'empereur et l'impératrice; le roi et la reine d'Espagne; le prince des Asturies qui, il y a peu de jours, prenait aussi le nom de roi; plusieurs ministres espagnols et plusieurs grands d'Espagne.

Le roi et la reine d'Espagne habitent le palais du gouvernement; le prince des Asturies et l'infant Don Carlos, l'ancien hôtel de l'intendance; l'empereur et l'impératrice, le château, de Marrac; les ministres et les officiers de LL. MM. les campagnes environnantes,

Lorsque le canon annouça hier l'arrivée du roi et de la reine d'Espagne, le prince des Asturies et l'infant Don Carlos allèrent à leur rencontre. Aussitôt que LL. MM. furent entrées dans leur palais, tous les Espagnols qui se trouvent ici, firent la cérémonie du baisement de main, qui consiste à se mettre à genoux, et à baiser la main du roi et de la reine. Les spectateurs français qui avaient lu le même jour, dans la Gazette de Bayonne, les pièces relatives aux événemens d'Aranjuez et la protestation du roi, et qui voyaient cet infortuné monarque arrivé sans suite, sans gardes, sans cortége, recevoir ainsi l'hommage des mêmes hommes qui avaient tous trempé dans la conspiration du mois de Mars, éprouvè rent des sentimens pénibles, qui se lisaient également sur le visage du roi et sur celui de la reine. LL. MM. n'adressèrent la parole qu'au comte de Fuentes, que le hasard avait conduit à Bayonne. Fatiguées de cette cérémonie, LL. MM. se retirèrent dans leur appartement. Le prince des Asturies voulut les suivre. Le roi l'arrêta et lui dit en Espagnol: "Prince, n'avez-vous pas assez outragé mes cheveux

blancs?" Ces mots parurent produire sur le prince l'effet d'un coup de foudre, et porter la confusion dans le cœur des Espagnols qui l'accompagnaient et qui se retirèrent avec

lui.

LL. MM. firent leur toilette pour recevoir l'empereur TT

TOME III.

qui vint à cinq heures leur rendre visite. L'entrevue fut lon gue et touchante. Le roi et la reine tirent à l'empereur le récit des outrages auxquels ils ont été en butte depuis un mois, et des dangers auxquels ils avaient été constamment exposés. Ils exprimèrent le chagrin qu'ils avaient ressenti de l'ingratitude de tant d'hommes comblés de leurs bienfaits, et le mépris que leur inspiraient les gardes-du-corps, ces lâches qui les avaient trahis. Le roi répéta plusieurs fois ces mots : " Vo "tre majesté ne sait pas ce que c'est que d'avoir à se plaindre "d'un fils; ce malheur est le plus douloureux de tous ceux "que l'on peut éprouver." L'empereur après être resté plus d'une heure avec LL. MM. retourna au château de Marrac. Le roi d'Espagne, fatigué de son voyage et tourmenté de la goutte, paraissait avoir plus que son âge. Il n'est accompagné que d'un écuyer, d'un chambellan et d'un colonel de carabiniers qui avait été destitué par l'un des premiers actes de l'administration du prince des Asturies, et qui fait les fonctions de capitaine des gardes. L'empereur a attaché au service de LL. MM. son aide-de-camp, M. le général Reille, comme gouverneur du palais; MM. Dumanoir et de Barol, chambellans, et M. d'Oudenarde, écuyer.

LL. MM. le roi et la reine d'Espagne, ont dîné anjour d'hui à Marrac, avec LL. MM. l'empereur et l'impératrice.

Bayonne, le 6 Mai.

On lit dans une lettre écrite de Madrid, le 2 Mai, à sept heures du soir, les détails suivans: "Le peuple de Madrid a toujours été en fermentation depuis les événemens d'Arânjuez. Sa présomption et son orgueil étaient portés à un point dont on ne peut pas se faire d'idée. La victoire qu'il avait obtenue sur son roi, les trophées qu'il s'enorgueillissait d'avoir conquis sur les 200 carabiniers qui formaient la garde du Prince de la Paix, lui faisaient croire que tout devait fléchir devant ses caprices et ses passions effrénées.-Des insultes journalières étaient faites à des Français. Souvent les coupables ont été exemplairement punis. Mais toujours les Français ont opposé le sang-froid et le calme de la force à cette effervescence de la multitude. Il est vrai que le bon esprit de la masse des honnêtes habitans de Madrid soutenaient ces dispositions des Français.

"Depuis deux jours les rassemblemens étaient plus nombreux; ils paraissaient dirigés vers un but. Des bulletins à la main, des proclamations couraient les campagnes. Les observateurs de sang-froid, Français et Espagnols, voyaient une crise s'approcher, et la voyaient avec plaisir. Sans une leçon severe il était impossible, de ramener à des idées de raison cette multitude égarée."

"La reine d'Etrurie et l'infant don Francisco, indignés des

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