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seconde sont grandes et si bien accusées qu'on les reconnaîtrait au toucher; les terrassiers et des enfants de dix ans les lisaient sans difficulté. Ensuite sur le premier vase, le pied des lettres touche le bord, tandis que la tête en est tournée vers le centre; sur le second, c'est le contraire le pied des lettres est tourné vers le centre et la tête suit l'inflexion circulaire des bords.

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Ges différences, quoique légères, sont caractéristiques et elles suffisent pour démontrer que ces deux vases, tout en sortant de la même fabrique, ne proviennent ni du même moule, ni du même fabricant et par conséquent ne sont pas totalement contemporains. La nature du verre est également différente le premier est blanc et le second est vert. Enfin, si d'une part il est évident qu'ils appartiennent tous deux à cette fameuse fabrique frontinienne qui brillait parmi nous au II. siècle de notre ère, de l'autre les variantes de nom et de forme prouvent qu'il y a eu dans le personnel de la fabrication des mutations que le temps dut nécessaire

ment amener.

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Maintenant on demandera à quelle époque on peut reporter ce cimetière, et où était placée la population à laquelle il appartenait.

Quant à l'âge, je suis très-porté à croire qu'il est tout à la fois du IIo. et du III. siècle de notre ère. Une des meilleures raisons que j'en pourrais alléguer, c'est que l'usage de brûler les corps avait à peu près cessé au temps de Constantin. J'ajouterai que la forme des vases est celle des cimetières de Cany, de Thiétreville, de Dieppe et de Lisieux généralement attribués aux époques dont nous parlons. La cuiller à parfums et la petite bouteille de verre ont une ressemblance frappante avec les objets de ce genre trouvés dans le cimetière de Neuville qui est du temps des Antonins. Les doliums, au contraire, paraissent avoir été en grande faveur dans les Gaules au milieu du III. siècle; j'admettrais volontiers que les nôtres sont de ce temps. Enfin je citerai par dessus tout les produits de la fabrique frontinienne qui florissait chez nous au II. siècle et qui ne dut pas dépasser le III. Donc, sauf meilleur avis, je placerai le cimetière des Loges entre Trajan et Constantin; il a pu même voir les règnes de ces deux empereurs; car s'il est, comme je le pense, la sépulture d'une famille indigène, celle-ci a bien pu s'y faire inhumer pendant un ou deux siècles. Les différentes espèces de vases concourent à fortifier cette opinion.

Où résidait de son vivant la famille qui venait successivement peupler ce champ de la mort ? Quelle était sa condition? Aux Loges passait la voie romaine qui allait de Lillebonne à Étretat; en 1815, elle a été aperçue et détruite au hameau des Reniax (1). Une villa romaine très-considérable a été fouillée, en 1843, sur le territoire de Bordeaux, près du Petit-Val (2); mais cette riche habitation, composée de galeries et de colonnes, ne devait pas porter ses morts à ce cimetière, éloigné d'elle de plus de 2 kilomètres. Le bois des Loges est loin de ressembler à la forêt de Brotonne, toute pavée de villas et de ruines romaines; cependant on a trouvé, dans les divers défrichements pratiqués depuis soixante ans, ici, des chaudières d'airain; là, des clés en bronze; plus loin, des meules à broyer et enfin des médailles du Haut- Empire. Dans les terres nouvellement cultivées par M. Piednoël, ancien maire de St.-Valery, situées précisément en face de notre cimetière, j'ai reconnu, en mars 1849, les restes de plusieurs maisons romaines; les murs, les tuiles, les poteries et les meules en poudingue le démontraient incontestablement. Enfin, en 1842 et en 1850, j'ai mis à découvert, au triage du Château-Gaillard, une charmante habitation romaine dont j'ai donné le plan et la description dans la Revue de Rouen (3) et dans le Bulletin monumental (4); cette modeste demeure se composait au plus de trois ou quatre pièces : l'une était chauffée par un hypocauste; l'autre était pavée en pierre de liais; dans une troisième se trouvaient quinze médailles en bronze d'Adrien, de Trajan, d'Antonin et de Faustine.

Le Château-Gaillard est juste au bas de la côte, éloigné d'environ 1,000 à 1,200 mètres de notre cimetière; les alentours du vieux Câtel sont semés de tuiles et de poteries antiques; jusqu'à ce que l'on ait retrouvé une habitation romaine plus rapprochée de notre cimetière, il semble tout naturel d'attribuer ces sépultures aux habitants du Château-Gaillard. Quant à la condition des pauvres familles dont nous trouvons ici les restes,

(1) Voies romaines de l'arrondissement du Havre, dans les Mémoires de la Soc. des Antiq. de Norm., t. XIV, p. 168.

(2) Revue de Rouen, année 1844; Bulletin monumental, t. X; l'Etretat souterrain, deuxième série, 1844.

(3) Année 1843.

(4) T. IX, p. 206 à 211.

j'incline fort à les ranger dans la classe des agriculteurs; la petite clochette de fer (1), semblable à celle que l'on suspend au cou des brebis, paraît indiquer la tombe d'un berger, comme au Pollet les huîtres, les moules. et les hameçons trahissaient la dépouille d'un pêcheur.

(1) Deux clochettes semblables, mais plus grandes, ont été trouvées à Étretat et à Neuville-le-Pollet; la première a été déposée au musée de Rouen, la seconde à la Bibliothèque de Dieppe.

DÉCOUVERTS A NOTRE-DAME-DE-LIVOYE,

PRÈS AVRANCHES ;

Note lue à la Séance du 2 janvier 1851,

PAR M. A. CHARMA,

Membre de la Société.

MESSIEURS,

Dans le courant de mai 1851, les journaux d'Avranches révélèrent au public la découverte, faite à Notre-Dame-de-Livoye, d'objets remontant à une haute antiquité. Votre président d'alors crut devoir recueillir sur cette découverte, afin de vous en faire part, tous les renseignements utiles; il s'adressa donc à l'un de vos correspondants, M. Eugène de Beaurepaire, et bientôt, grâce à son obligeante entremise, nous eûmes entre les mains les dessins des objets découverts et les conjectures des antiquaires de la localité sur leur destination probable.

La Société, à laquelle ces pièces furent aussitôt communiquées, les renvoya à sa Commission d'impression, laquelle décida que trois de ces dessins seraient publiés dans nos Mémoires avec une note que je fus chargé de rédiger et d'y joindre; c'est cette note que je viens vous soumettre aujourd'hui.

Le 23 avril 1851, en creusant sur la commune de Notre-Dame-deLivoye, arrondissement d'Avranches, le chemin de Brecey à la HayePesnel, l'entrepreneur, M. Daniel, rencontra, près d'un lieu nommé le Carrefour-de-la-Mare-aux-Pourcets, dans un terrain totalement formé de tuf et qu'on ne pouvait fouiller sans le secours de la pioche, un emplacement dont le sol avait été évidemment remué à une époque plus ou

me par M. E. Renault.

Mémoires de la Soc des Antiqs de Normandie,T. X1X . P.

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G. Bouet, Lith. Imp. Mercier

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