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affaiblis et dispersés sous l'impulsion habile et puissante de la maison d'Autriche; l'Angleterre, déçue dans ses projets sur le continent, épuisée par la guerre des Deux-Roses, remet sa fortune à la politique despotique, mais intelligente, des Tudors; l'Espagne et le Portugal arrachent à l'Océan ses secrets, ouvrent au commerce des routes inexplorées, et triplent en quelques années la carte du globe; l'Italie, flambeau allumé aux foyers du passé pour éclairer le seuil des temps modernes, convie l'Europe entière au magnifique spectacle de ses sciences et de ses arts; la France enfin, rentrée en possession de son sol et de sa nationalité avec Charles VII, resserrée par Louis XI dans les liens d'une forte unité, rajeunie, batailleuse et souriant à l'avenir, s'élance avec Charles VIII à la conquête de l'Italie et d'un nouveau-monde moral et intellectuel.

SUR

ROBERT BLONDEL,

POÈTE, HISTORIEN ET MORALISTE DU TEMPS DE CHARLES VI;

PAR M. A. VALLET DE VIRIVILLE,

Membre correspondant de la Société.

M, de Bréquigny, dans les dernières années de sa carrière, a consacré à l'un des écrits de Robert Blondel quelques pages de notice (1). Auparavant ce personnage était presque absolument ignoré. On ne savait de lui que son nom et le titre de trois de ses ouvrages, énoncé d'une manière plus ou moins exacte (2) dans les catalogues imprimés des manuscrits de la Bibliothèque du roi (3), de D. Bernard de Montfaucon (4), et de Fevret de Fontette (5). Une quatrième production, peu importante du reste, et que nous lui restituerons comme à son véritable auteur, échappa, sous le voile de l'anonyme, aux recherches spéciales et limitées de l'illustre académicien, de même qu'elle avait échappé aux investigations d'autres bibliographes.

M. de Bréquigny, nous devons le dire, n'a parlé qu'avec une médiocre

(1) Notice des manuscrits de la Bibliothèque du Roi, etc. ; in-4°., t. VI, p. 92 à 106. (2) Ce reproche d'inexactitude s'adresse exclusivement à la dernière des indications bibliographiques qui vont suivre (Fontette).

(3) Mss. latins, nos. 5964, 6195, 6196, 6196 A, 6197, 6198 et 6707.

(4) Bibliotheca bibliothecarum, etc., nos. 180, 181, 182 de St.-Germain-des-Prés et 349 de la reine de Suède.

(5) Bibliothèque historique de la France, no. 17128, 17170, 17249 et 17249 *.

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estime du seul livre de Blondel qu'il ait réellement examiné (La réduction de la Normandie), et par suite, de l'auteur lui-même. On voit qu'il s'était borné à une étude très-superficielle de ses deux autres ouvrages qu'il se contente de mentionner, se réservant d'y revenir, en donnant la notice des mss. qui les renferment (1). » Si la mort de ce critique éminent, arrivée à peu de temps de là, ne l'avait prévenu, nous sommes persuadé que son opinion se fût modifiée par la connaissance qu'il eût prise de ces autres écrits. Pour nous, attiré par un premier morceau, nous nous sommes livré à ces recherches ultérieures, et nous espérons que les résultats de notre travail seront favorablement accueillis des amis. de l'histoire nationale.

La source presque unique d'information qui nous soit restée sur la vie de Robert Blondel, consiste dans ses propres écrits. Or, l'auteur, plein de verve et d'abondance dans la plupart des sujets qu'il a traités, se montre en celui-ci d'une sobriété, marquée au coin de la modestie et de l'abnégation, mais désespérante pour le biographe. En ce qui touche son origine, il nous apprend seulement, et encore d'une manière indirecte et peu précise, qu'il appartenait à une famille noble et riche, établie en Normandie (2). Il fait ailleurs de fréquentes allusions à ses parents les plus proches, morts, dit-il, en combattant pour le service du roi contre les Anglais ou tenant encore l'épée en faveur de cette cause (3). Ces notions sont parfaitement conformes à d'autres documents qui nous sont restés. D'après une généalogie authentique (4), rédigée au XVIo. siècle, et conservée à la préfecture de la Manche, dont nous devons l'obligeante communication à MM. Dubosc, archiviste du département de la Manche, et Léopold Delisle, sa famille, noble et ancienne, était établie depuis 1216 au moins entre Cherbourg et Valognes. Robert était fils de Jean, il était neveu de Robert, sieur de Tournebut et arrière-petit-fils de Guillaume Blondel, écuyer seigneur de Ravenoville, décédé en 1332. La Bibliothèque nationale possède, entr'autres titres, sous le nom de Blondel, quatre quittances ou montres scellées, passées à Valognes et à

(1) L. c., p. 93.

(2) <...

Ante bellum ceptum, omnes fama copiisque potentissimi eramus et nunc incredibili egestate, etc.» ( Oratio historialis, c. 3. )

(3) Ibidem, c. 2, 3 et passim.

(4) Voyez, à la fin de ce travail, appendice, pièce no. II.

Carentan en 1379 et 1380 par ce Blondel de Tournebut, oncle de notre auteur. Cet oncle y est qualifié écuyer servant en Basse-Normandie contre les Anglais, avec quatre autres écuyers, sous les ordres de Jean de Vienne, amiral de la mer, ou de France. En 1408, Robert Blondel, probablement le même, était vicomte de Valognes pour le roi (1), et son fils Georges servait, dès 1388, en qualité d'écuyer aux côtés du père (2). Enfin, en 1418, Tassin Blondel et douze autres écuyers faisant partie de la réserve du dauphin, furent passés en revue à Belabre en Berry (3).

La date de la naissance de notre héros ne nous est pas connue d'une manière certaine. Mais, comme on en jugera par les circonstances de sa vie, on ne saurait se tromper de beaucoup en supposant que cette naissance eut lieu de 1380 à 1400. Il était probablement jeune encore, lorsqu'en 1415 le roi d'Angleterre, Henri V, fit une nouvelle descente en Normandie et entreprit cette campagne, si funeste pour la France, qui s'ouvrit par la prise de Harfleur et se termina par le désastre d'Azincourt. Il paraît que, vers cette époque, Robert Blondel, ainsi que beaucoup de ses compatriotes, fut obligé de fuir sa province natale, et de subir toutes les rigueurs de l'exil (4). De quel côté le jeune proscrit dirigea-t-il sa fuite? Dans quelle ville et sous quelle protection vint-il trouver un refuge? Ce sont des questions auxquelles il est difficile de répondre avec précision. On pourrait être tenté de croire, d'après des documents qui se produiront ci-après, qu'il se rendit à Paris où il aurait trouvé quelques ressources, qu'il fut témoin des événements tragiques dont cette ville ne tarda pas à devenir le théâtre et que là, au sein de ces écoles dont la haute renommée subsistait encore, il employa les tristes loisirs de son infortune à conquérir les grades universitaires. En effet, dans son poëme latin dont nous allons parler, il s'étend longuement sur les massacres des Armagnacs à Paris et sur la prééminence de l'Université de cette ville. Mais il n'emploie jamais de ces expressions qui décèlent positivement un témoin oculaire. Il n'use pas non plus de ces formules presque obligatoires d'attachement filial envers l'Université de Paris, formules qu'on re

(1) Titres scellés, même dossier.

(2) Ibidem.

(3) Ibidem.

(4) ... Ergo, princeps illustrissime, nos, tui fideles, qui ob tue majestatis defensionem a propriis domibus depulsi et longissima clade (jam tricesimus et prope quintus labitur annus ! ) afflicti, elc.Oratio historialis [écrit en 1449] c. 3. )

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