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« J'ai mis mon coer en un lieu puis un peu.
Ma dame dist: fuiés, fuiés, Hareu!
Quant recorder je li voeil mon affaire.

Une lettre de Philippe-Auguste, à la date de 1320, offre le Haro redoublé, accompagné d'exclamations qui ne laissent pas de doute sur

sa nature:

<< Ad tumultum et clamorem dicti Reliqui conveniunt in villa de Kala cum armis, qui dictum Reliqum clamando Haro, Haro! ad focum! ad focum abstulerunt. »

Une charte de 1328, de St.-Lazare de Montfort, présente cette clameur dans le sens de: A l'aide! au secours!

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Ipsum guardiatorem clamantem in plenis nundinis: Haro! violentia fit domino regi (Ducange, vo. HARO).

Les femmes, à l'entrée de Philippe-Auguste en Normandie, poussent la clameur :

<< Fames dont les voies sont plaines
Crient Harou a grant alaines. »

C'est encore comme cri d'alarme et de soulèvement que ce mot est employé dans une plainte qu'au siège de Rouen, en 1418, un des magistrats adresse à Charles VII.

Il m'est enjoint par les habitants à crier contre vous le grand Harou, lequel signifie l'oppression qu'ils ont des Anglois. »

Quelquefois le Haro offre une nuance et alors il porte jusqu'à l'évidence son caractère d'interjection : c'est lorsqu'il est synonyme de Hélas! C'est le sens qu'il a le plus souvent dans la langue anglaise. C'est celui que lui conservent encore les dictionnaires anglais, entr'autres An universal etymological english Dict., Bayley, 1742. Mais les citations suivantes le montreront encore dans cette langue comme synonyme de Hourra!

Haro, mes pieds! Haro, ma teste!

Despite, effrenée rage.

Je n'en puis plus, si je n'enrage.

(Mystère de la Conception N.-S. J.-C.)

Ainsi lasse, fait ele, je criasse haro!

(Berte aus grans pies, st. 32, v. 10.)

Why let be (quod she) let be Nicholas
Or I wol crie: harrow and alas.

(Canterbury tales, v. 3285.)

Johnson, dans son excellent Dictionnaire, regarde le Haro comme une interjection et cite un exemple de Spenser où il est synonyme de Hourra : . Harow, Interjection; an exclamation of sudden distress now out of use.

Harrow now out and weal away, he cried.
What dismal day hath sent this cursed light
To see my lord so deadly damnify'd. »

SPENSER.

Le premier vers est très-remarquable par l'accumulation d'interjections d'encouragement et d'entrain. Nous y signalons le Out! cri de guerre des Anglais à Hastings, en opposition avec le Dex aïe, cri militaire des Normands:

Normans escrient: Dex aïe!

La gent englesche: Ut! s'écrie. »>

(Rom. de Rou.)

Maintenant il importe de rapprocher du Haro un mot qui a la même signification et s'emploie, comme lui, en substantif, et qui est l'analogue français et anglais du Haro scandinave. Il s'agit de Hue! auquel on ne contestera pas sa nature d'interjection, et auquel il n'a manqué, pour une identité complète, qu'une étymologie du XIII. ou du XVI. siècle, qui le dérivât de Hugues-Capet.

Il était aussi employé pour courir sus aux malfaiteurs. Ducange dit qu'il est employé en ce sens chez les praticiens de France, d'Italie et d'Angleterre. In coactionibus oportet quod coactus strepitum et hutesium faciat, levet. »

Villehardouin a employé ce mot plusieurs fois :

Et li hus ere si grans que il semblat que terre et mer fondist.

Et fu li uz et la noise grans

Li hus de la noise fu si grans que il sembla que terre fondist.

Et le roman de Florimond:

Quant se furent entretenu
Le cri leverent et le hu.

Et le roman de la guerre de Troie :

Lors leisserent cheval aler

La ouissies uns hus lever

Et une noisse et un cris.

Et le roman de Garin:

Car Bordelois, sire, nous tiennent a vil
Sovent nos cacent et a hus el a cris.

Cette clameur est citée sous des formes variées dans le Leges forestarum scoticarum: «Debet levare Huy et cry - Hoy et cry ubi cry est clamor popularis.

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Les auteurs anglais se sont souvent servis de cette locution; elle est dans Shakespeare et même dans Addisson. En voici plusieurs exemples:

Hue and cry! villain, go, assist me, knight,

I am undone : fly, run, hue and cry! villain,
I am undone.

SHAKESPEARE.

The hue and cry went after Jack to apprend him dead or alive wherever be could be found. (Arbuthnot's John Bull.)

Immediately comes a hue and cry after a gang of thieves, that had taken a purse upon the road (L'estrange).

If you should hiss, he swears he'll liss has high
And like a culprit, join the hue and cry.
ADDISSON.

L'expression, comme substantif, a disparu de la langue française; elle est restée dans la langue du peuple, conservateur par excellence. Les Anglais disent encore: Hue and cry. Du reste, cette onomatopée subsiste

en français comme dans la plupart des autres langues. Une définition l'assimile complètement au Haro: « Hue et crie est une poursuite de un ayant commis felonie par le hault chemin.

Le Haro existe encore dans plusieurs patois comme cri, comme interjection c'est le hari des âniers languedociens; c'est le harao des BasBretons, pour encourager leurs bêtes. Dans le Palatinat, il y a un chant que l'on dit en chœur autour d'un brâsier, symbole de l'hiver, et dont le refrain renferme le Haro dans la signification de Hourra. Il est cité dans un article de la Revue des Deux-Mondes:

Ri, ra, ro, voilà l'été qui vient! Haro sur le vieillard !

Si l'onomatopée de Hue se rencontre dans presque toutes les langues, le cri de Haro se rencontre surtout dans le Nord et en particulier dans la famille germanique et scandinave. Ainsi notre étude le montre dans le norse, l'allemand, l'anglais et le français du Nord, dans les pays qui l'ont transformé en Hourra.

Enfin, il est resté dans la langue française avec cette signification, et c'est le plus gaulois de nos poètes classiques qui en a fait une application célèbre dans son vers:

Haro sur le baudet!

EN NORMANDIE

PENDANT L'OCCUPATION ANGLAISE AU XV. SIÈCLE;

PAR M. L. PUISEUX,

Secrétaire adjoint de la Société.

L'éducation d'un peuple est une œuvre longue et laborieuse; elle demande des siècles ajoutés aux siècles, de rudes et solennelles épreuves. La Providence a voulu qu'à chacun de nos progrès fût attaché le mérite du sacrifice, qu'il fût acheté de notre labeur, quelquefois de notre sang. Nulle nation n'a plus complètement que la nôtre donné la démonstration de cette grande loi de l'humanité; c'est dans la lutte, c'est dans l'excès de la souffrance et sous l'austère discipline du malheur qu'elle a puisé la conscience d'elle-même ; c'est à la fin de son long duel de trois siècles avec l'Angleterre, que la France a eu l'entière révélation de sa nationalité.

Qu'était la France jusque-là, sinon une agglomération d'éléments informes, vivaces à la vérité, mais inharmoniques et souvent hostiles? C'est d'abord une royauté intelligente et qui marchait patiemment à la conquête de l'unité, lorsqu'elle tombe tout-à-coup en défaillance avec le pauvre fou Charles VI; au-dessous, une aristocratie batailleuse, qui avait autrefois porté fièrement et glorieusement l'étendart de la croix, mais oppressive pour les pauvres gens, indocile dans ses terres, indisciplinable sur les champs de bataille, et portant au front les taches non encore lavées de Crécy, de Poitiers, d'Azincourt; à côté le clergé, avec ses immunités, ses immenses domaines, mais jeté hors des voies de la grande unité catholique par le schisme d'Avignon et les germes de la réforme

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