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Mahrattes, dont elle avait fait ses tributaires ou ses alliés, et dont les états se croisent et se confondent comme leurs noms, de manière à rendre l'histoire de leurs débats confuse et difficile (1). On ne peut nier que l'Inde n'offre sous la domination anglaise plus d'opulence et d'industrie; que les Indiens ne vivent plus heureux sous sa protection que sous celle des barbares qui l'ont tour à tour asservie. Mais la dislocation du territoire, l'esprit inquiet, vagabond et avide des Mahrattes, sans doute aussi l'impatience du joug étranger, et les prétentions toujours croissantes de la compagnie y renouvellent à chaque instant des lignes qu'on espère avoir dissoutes, et des guerres qu'on croit terminées. Ainsi tout y paraissait tranquille à la fin de 1816. Le traité de Bassein conclu le 2 décembre, avait forcé le rajah de Nepaul,

(1) Voici, d'après un ouvrage publié en 1815 (the last india gazetteer by waller Hamilton), quelles étaient la distribution, l'étendue et la population des trois classes d'états qu'on reconnaissait dans l'Inde à cette époque :

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et le Peishwa à céder quelques portions de territoire; mais l'un et l'autre en éludaient l'exécution par les embarras qu'ils faisaient naître, et par les ennemis qu'ils suscitaient à la compagnie, entre lesquels il faut distinguer les Pindarées ou Pindarries, dont nous aurons souvent à parler. Venus du nord, mélangés d'Indiens et d'Arabes, espèce de Kosaques, comme eux cavaliers et maraudeurs, ils ont peut-être tiré leur nom actuel de la rivière Pindar, dans la province de Serinaghur, où ils ont d'abord paru. Chassés en 1816, et rappelés au commencement de 1817 par les manoeuvres secrètes du Peishwa et du rajah de Nepaul, ils s'étaient montrés en corps considérables, sur les bords de la Nerbuddah, tandis que des troupes de Mahrattes pénétrant dans le Cuttack, et soulevant les rajahs tributaires, s'emparaient de Jaggernaut, place mal fortifiée, mais riche et célèbre par son temple, où les Indiens se rendaient de toutes parts en pèlerinage.

Ces corps irréguliers se dispersaient à l'approche des troupes anglaises, mais leurs incursions répétées au mépris du traité de Bassein, récemment renouvelé, inquiétaient à la fois Madras et Calcutta, et donnaient lieu de soupçonner entre les puissances du pays l'existence d'une confédération secrète, dont on verrà dans la suite l'explosion et les résultats..

L'Angleterre avait encore au dedans d'elle-même d'autres motifs d'inquiétude. Cette nation si fière de la supériorité de sa marine, de son commerce et de son industrie, de l'accroissement de son empire et de son influence politique, de l'agglomération de ses capitaux, et surtout de sa constitution, semblait néanmoins porter dans son sein les gerines d'une maladie mortelle ; elle offrait Jes besoins de l'extrême indigence à côté des jouissances de la richesse excessive.

Sa fortune est un phénomène qu'on ne pourrait expliquer, qu'en entrant fort avant dans l'économie intérieure de son existence. La cause des agitations et de la misère de son peuple, ne fait que commencer à être aperçue.

Des recherches faites par des comités chargés d'examiner sa situation, ont prouvé que l'exagération du système industrieky

avait ruiné ou tendait à y ruiner absolument l'agriculture, source de toute richesse solide; que les bénéfices de l'industrie, du commerce et des spéculations de bourse, tendaient toujours à se resserrer dans une classe peu nombreuse. Il devait en résulter d'une part, le renchérissement des denrées nécessaires à la vie, de l'autre la diminution des moyens de travail pour la classe labo, rieuse. L'expérience l'a démontré. Une quantité innombrable d'artisans a enfin été réduite à recevoir les secours des paroisses, et la taxe des pauvres seule, montée à 10,000,000 1. sterlings (240,000,000 de francs), est devenue, pour l'agriculture, d'un poids plus intolérable en Angleterre que la contribution foncière. en France.

Quant à cette constitution plus vantée que connue, le temps èt la civilisation y ont fait des brèches que la vanité nationale ne veut pas apercevoir, et que l'acte d'établissement ( act of settlement) n'a que superficiellement réparées. Le vice de cette grande construction est dans ses fondemens. Des bourgs qui en→ voyaient à la chambre basse des députés, à raison de leur po pulation, se sont dépeuplés, et quelques propriétaires ont hérité de leurs droits, tandis que des villes de vingt, trente à cinquanté mille habitans ne sont pas représentées. D'un autre côté, le droit électoral, fixé dans l'origine à quarante schellins de rente, en propriété ou en ferme, est maintenant illusoire en raison de l'accroissement du prix des denrées et de la multiplication du signė monétaire; d'où l'on conclut qu'il est bien que le parlement sé compose pour les quatre cinquièmes au gré du ministère, des lord's ou de quelques riches propriétaires presque toujours à la dévotion du gouvernement. Ainsi, quòi qu'en disent ceux qui ne veulent voir en Angleterre et dans la constitution anglaise qu'une vaste aristocratie, l'institution primitive est évidemment pervertie; la représentation nationale y est dénaturée; ainsi l'énormité des taxes, les erreurs du système politique, et l'inutilité des représentations constantes d'une minorité trop faible pour obtenir des changemens ou des économies dans l'administration publique, ont fait ́désirer une réforme parlementaire. D'ailleurs, ce mot mal compris

de la masse du peuple anglais n'a long-temps été pour le ministère qu'un épouvantail. Quelques concessions eussent alors élé sages; maintenant des factieux en ont fait le mot sacramentel de leurs doctrines anarchiques et le germe inévitable d'une révolution. Les premiers partisans de la réforme, et même les membres de l'opposition d'aujourd'hui, ne voulaient et ne veulent sans doute qu'un système d'élection fondé comme en France sur la population des cités et des provinces; ils reconnaîtraient, en admettant ce principe, la nécessité d'attribuer une propriété plus considérable au droit d'élection. Mais des orateurs de carrefour demandent les parlemens annuels, la réforme radicale, et le droit de suffrage universel, sans restriction.

D'après les papiers soumis aux deux chambres, le 4 février 1817, et le rapport des comités spéciaux des 18 et 19 du même mois, il y avait eu, dans le courant de l'automne précédent, une conspiration où il ne s'agissait de rien moins que d'ouvrir les prisons, de corrompre les soldats, et de brûler leurs casernes, d'attaquer la tour de Londres et la banque; de proclamer le partage des terres et des capitaux, l'égalité absolue, le nivellement universel.

Ce projet avait manqué, dirent les rapporteurs, par la bonne contenance des soldats, et par l'indifférence du peuple aux harangues des conspirateurs. Cependant l'existence des sociétés secrètes des Spencéens et du club Hampden, et l'insulte faite au prince régent lors de l'ouverture de la session ( 28 janvier 1817) annonçant toujours les mêmes desseins, le ministère avait proposé et obtenu dans les deux chambres la suspension de l'habeas corpus jusqu'au 1er juillet 1817.

On discutait encore ce bill, que dans plusieurs villes du comté d'Yorck et surtout à Manchester, il se tenait des assemblées tumultueuses où l'on dressait des pétitions contre cette mesure. On

y

était convenu de les faire porter à Londres par cent mille hommes, et de ne pas abandonner la partie sans avoir établi une espèce de république. Cette conjuration fut encore déconcertée par la vigilance des magistrats et par l'arrestation de quelques meneurs.

Des clubs furent dissous, des correspondances séditieuses furent interceptées; mais l'esprit de révolte ne paraissant pas étouffé d'autres rassemblemens s'étant encore formés à Birmingham, à Nottingham, et surtout à Derby, le gouvernement avait cru devoir demander, par un message du 3 juin, la prolongation du bill de suspension de l'habeas corpus jusqu'au 1er mars 1818, qu'il obtint des deux chambres, non sans une forte opposition. Cette mesure extraordinaire, deux fois renouvelée dans un court espace de temps, odieuse au petit nombre de ceux qui regardent la fixité des lois comme le palladium de la liberté anglaise, prouve mieux que tout ce qu'on pourrait ajouter, le crédit dont le ministère jouissait, et la terreur qui se répandit alors dans les classes opulentes et timides de la société (1). L'instruction du procès des conspirateurs de Derby n'a laissé aucun doute sur la réalité de cette conspiration. Mais elle jeta pourtant quelque défaveur sur le ministère qui, par l'emploi des espions, avait aggravé les mécontentemens déjà répandus dans les classes inférieures de la population: la session suivante l'a prouvé. Au reste, l'attention qu'attiraient ces mouvemens séditieux et d'autres altaques contre les ministres, fut bientôt absorbée par l'événement le plus déplorable et le moins attendu.

Le mariage de la princesse Charlotte fille unique du prince régent, avec le duc Léopold de Saxe Saalfeld-Cobourg, donnait enfin des espérances bien chères à la nation. La santé de la princesse lai promettait une heureuse délivrance; mais arrivée à son terme, après quelques jours de souffrance, elle accoucha d'un enfant mort, et succomba bientôt elle-même dans des convulsions. douloureuses, le 6 novembre 1817, à l'âge de vingt ans et dix mois.

L'histoire ne peindra jamais, avec des couleurs trop sombres, l'effet que produisit la nouvelle de cette mort, à Londres et dans les provinces du royaume uni. On eût dit que, dans cette princesse douée de tous les dons de la nature et de l'éducation la plus

(1) Annual register, for 1817,--Préface.

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