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éléments, un à un ou tous à la fois, ce patrimoine n'en subsistera pas moins, attendu que la loi ne permet à personne d'abandonner durant sa vie l'universalité de ses biens à venir.

232. Il en résulte que toute personne possède un patrimoine; et, réciproquement, les personnes seules peuvent en avoir un, car le propre de la personnalité est de se voir reconnaître, et à elle seule, par la loi, des droits et des charges.

233. Droits réels, droits personnels. — Tous les droits qui entrent dans la constitution du patrimoine ont été distingués par les juristes en deux grands groupes: celui des droits réels et celui des droits personnels.

234. Pour avoir une notion exacte et précise de ce qu'est un droit réel, il faut le considérer comme résultant d'une obligation de ne pas faire plus ou moins générale, dans laquelle le titulaire du droit figure seul comme créancier alors que tout le monde sauf lui figure comme débiteur. Ainsi, si nous considérons le droit de propriété, expression la plus complète du droit réel quelles que soient les choses sur lesquelles il porte, nous constatons que le propriétaire, créancier dans l'obligation, peut exercer ses droits sur la chose qui en est l'objet et peut contraindre tout le monde à s'abstenir de les exercer. Le droit est absolu en ce sens qu'il s'exerce à l'égard de tout le monde, de là l'expression droits absolus quelquefois employée pour caractériser les droits réels.

Au contraire, un droit personnel est un droit résultant d'une obligation quelconque (de donner, de faire ou de ne pas faire) dans laquelle figurent, comme créancier, le titulaire du droit, et, comme débiteur, soit une seule personne, soit un nombre limité de personnes. A l'encontre de ce qui se passait dans le premier cas, le titulaire du droit ne pourra, ici, l'opposer qu'à une seule personne ou à un petit nombre de personnes, ce qui fait dire que le droit est relatif. Ainsi par le contrat de fermage, le propriétaire garantit au fermier le droit de cultiver la ferme à son profit et le fermier s'engage à payer une redevance au propriétaire. Chacune des deux parties possède un droit personnel: le fermier celui de cultiver la ferme, le propriétaire celui de percevoir la redevance. Mais le fermier n'a aucun droit réel. Et si un tiers prétendait s'installer sur

la ferme en lui opposant un droit, le fermier ne pourrait point lui-même agir en justice pour le contraindre à s'abstenir, mais devrait demander au propriétaire, qui a seul qualité pour le faire, d'intervenir et de réclamer cette abstention. En d'autres termes, là où il y a droit réel, tout le monde étant débiteur, le créancier ou titulaire du droit peut demander à quiconque de respecter l'obligation; tandis que là où il y a droit personnel, il y a seulement comme débiteur soit une seule personne, soit quelques personnes nominativement désignées à l'avance, et c'est à celles-là seules que le créancier peut opposer ses droits.

235. Dans le cas où il s'agit d'un droit réel, les deux éléments caractéristiques de l'objet de l'obligation qui lui donne naissance consistent dans une abstention de la part du débiteur et dans une chose au sujet de laquelle cette abstention lui est imposée il en résulte qu'il n'a qu'à ne pas intervenir pour satisfaire à l'obligation. Or, s'il disparaît, le créancier ne se trouvera plus en présence que du deuxième élément : la chose, sur laquelle il exercera ses droits directement. De là cette confusion du droit de propriété avec la chose sur laquelle il porte et de là aussi cette notion ancienne et très répandue: un droit réel est celui que son titulaire peut exercer directement, sans l'intermédiaire d'aucune personne, sur la chose qui en est l'objet et il faut ajouter pour que la notion soit exacte: un droit opposable à tout le monde.

236. Au contraire, s'il s'agit d'un droit personnel, le débiteur, contraint le plus souvent à une certaine action, ne disparaît pas et le créancier se trouve en rapport avec les deux éléments constitutifs de l'objet de l'obligation, ce qui fait dire qu'un droit est personnel quand son titulaire ne peut l'exercer que par l'intermédiaire d'une autre personne, ce qui justifie encore l'expression droit relatif, opposé à droit absolu qui signifie droit réel. 237 Certains éléments du patrimoine sont susceptibles d'en sortir par l'effet de la prescription: les droits peuvent se perdre faute de les exercer, les charges s'éteindre faute, pour le créancier auquel elles profitent, d'exercer ses droits. Ces particularités seront examinées sous le titre : De la prescription (478).

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238. On se sert également des mots droits de créance, ou obligation pour désigner les droits personnels ; d'autre part, l'expression droit personnel est elle-même employée pour désigner des droits attachés exclusivement à une personne en ce sens qu'ils sortent de son patrimoine au moment de son décès et ne se transmettent pas, comme les autres, à ses héritiers (usufruit), ou qu'il n'est pas permis à une autre personne de les exercer (droits incessibles et insaisissables). Enfin, le mot obligation est lui-même employé avec d'autres significations particulières: 1° il sert à désigner l'action imposée au débiteur et est alors synonyme de dette; 2o il s'emploie pour désigner des titres délivrés par des sociétés financières : obligations du Crédit foncier ; 3° on donne encore le nom d'obligation à l'acte écrit qui constate un prêt hypothécaire. Pour peu que l'on soit prévenu, les conditions dans lesquelles ces mots sont employés permettent généralement d'en préciser le sens et d'éviter toute équivoque.

Nous étudierons en deux sections distinctes les droits réels et les droits personnels. Parmi les premiers, nous trouverons successivement la propriélé, l'usufruit, l'usage, l'habitation et quelques autres droits réels rattachés à des créances. Mais nous devons tout d'abord consacrer quelques pages à un état de fait qui sous le nom de possession présente toutes les apparences de la propriété, sans en être, parfois, la réalité.

VII. DE LA POSSESSION.

239. La possession est, non pas un droit, mais un certain état de fait duquel la loi fait résulter des droits, et qu'elle protège, en accordant au possesseur, dans le cas où il s'agit d'immeubles, le bénéfice d'actions en justice connues sous le nom d'actions possessoires. En outre, la possession peut aboutir à conférer le droit de propriété par la prescription.

240. Posséder une chose, c'est agir vis-à-vis de cette chose comme si on en était propriétaire. Cette situation est caractérisée par la réunion de deux éléments connus des juristes sous les noms de corpus et d'animus. L'animus, ou élément intentionnel, est d'ordre immatériel et consiste dans l'intention d'être propriétaire de la chose possédée, d'agir pour son propre compte; le corpus, d'ordre matériel, consiste à détenir matériellement la chose et accomplir à son égard les actes de

jouissance ou de transformation qu'accomplit communément un propriétaire. Les actes de pure faculté et ceux de simple tolérance ne peuvent pas fonder la possession (C. civ., 2232). L'absence de l'un des deux éléments suffit pour empêcher qu'il y ait possession. Ainsi, chez le fermier, l'élément intentionnel faisant défaut, il y a détention, mais non point possession. L'élément matériel peut être réalisé directement, par la personne mème du possesseur, ou indirectement, par son représentant, régisseur ou fermier, etc. Au contraire, l'élément intentionnel doit résider dans la personne même du possesseur, sauf cependant pour les fous et les enfants, qui peuvent en ce cas ètre remplacés par leur tuteur ou administrateur légal.

241. Sont susceptibles de possession, toutes les choses susceptibles de propriété privée, mais non les choses qui, comme les routes, font partie du domaine public.

242. Il faut, pour acquérir la possession de toute chose susceptible de possession, réaliser les deux éléments qui la constituent corpus et animus. A l'encontre, la perte de l'un seulement de ces deux éléments, suffit pour entraîner la perte de la possession à l'égard des meubles. A l'égard des immeubles, la persistance de l'élément intentionnel suffit à maintenir la possession pendant une année après la perte de l'élément matériel : ainsi, le possesseur d'un immeuble qui en est dépouillé par autrui conserve en droit la possession pendant un an, à dater du jour où il a été dessaisi, c'est-àdire dépouillé de l'élément matériel, à la condition qu'il n'ait point fait abandon de l'élément intentionnel, ce qui se produirait, en particulier, s'il avait vendu son bien ou renoncé à en revendiquer la possession. Mais la persistance de cet élément intentionnel ne produit d'effets que pendant un an : passé ce délai, il y aura possession annale acquise en faveur de la personne qui avait été saisie de l'élément matériel si elle l'a, depuis, toujours conservé, c'est-à-dire en faveur de la personne qui s'est emparée effectivement de l'immeuble et ne l'a plus abandonné. Cette possession annale suffira pour conférer à son titulaire l'action possessoire:

243. Pour produire ses effets juridiques, la possession doit - Législation rurale.

JOCZIER.

OF THE

UNIVERSITY

CF

CALIFORNIA

se présenter avec certaines qualités (C. civ., 2229) ou, ce qui revient au même, elle doit être exempte de certains vices qui sont 1° la violence; 2o la discontinuité; 3o la clandestinité; 4o l'équivoque.

244. La possession est entachée de violence lorsque son élément constitutif matériel a été réalisé, ou mème simplement conservé au moyen de voies de fait, c'est-à-dire lorsque celui qui invoque la possession s'est emparé de la chose qui en est l'objet ou n'est parvenu à la retenir que par ce moyen. Toutefois, la gravité du vice n'est point la même dans les deux cas si la violence a eu lieu à l'origine pour procurer la possession, le vice est capital et le temps seul peut l'effacer; mais si elle a été employée simplement pour conserver la possession, elle ne devient vice capital qu'en se prolongeant et reste sans influence si elle s'est exercée seulement de loin en loin. Telle est la jurisprudence de la Cour de cassation. Interprété à la lettre, le Code civil ne considérerait même la violence comme un vice que dans le cas où elle a servi à fonder la possession (C. civ., 2233).

245. Le vice de violence n'est que temporaire : dès que la violence a cessé, la possession utile recommence et, après s'ètre prolongée de nouveau une année, elle confère le droit d'exercer une action possessoire. Le vice de violence n'est que relatif il peut être opposé non pas par toute personne, mais par celle-là seulement à l'égard de laquelle il a été exercé. Par exemple, X ayant dépossédé Y, au moyen de voies de fait, ne possède pas utilement à l'égard de celui-ci, la violence l'en empêche. Mais il possédera à l'égard de toute autre personne contre laquelle il n'aura commis aucune voie de fait et qui viendra le troubler dans sa possession: contre cette personne, il pourra, s'il possède depuis un an, se défendre en exerçant une action possessoire, ce qu'il ne serait pas admis à faire contre Y, qu'il a dépossédé.

246. On exprime ces particularités en disant que la possession doit être paisible dans son origine et dans son cours, au moins entre le défendeur et le demandeur.

247. La possession est discontinue quand il y a interruption dans les actes d'où elle découle. Toutefois, il ne faut point

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