Page images
PDF
EPUB

de l'opposition de ces barbares aux réformes du grand seigneur. Le 2 août les flammes dévorèrent le faubourg de Péra. L'espace qu'elles parcoururent, en semant la destruction à droite et à gauche, fut immense; c'est là que se trouvaient les palais des ambassadeurs européens, ainsi que les principales maisons des Francs qui se livraient au commerce et à l'industrie (1). Des richesses incalculables périrent dans ce désastre, qui donna une nouvelle preuve que la vieille haine des Musulmans contre les Giaours n'avait rien perdu de sa force. Ils montraient une impassibilité stupide en présence de l'affreux spectacle étalé sous les yeux, et disaient aux malheureux qui venaient de tout perdre : « Dieu est grand! voilà la punition de votre crime de Navarin. Voilà ce qu'a fait le prophète pour apprendre au renégat (le sultan) à obéir à ses préceptes et à ne point souiller le siége de son empire en se liant avec les infidèles. >>

De ce moment on ne douta plus que S. H. ne fléchît devant la nécessité de cette protestation terrible du parti national. C'était encore une erreur. Peu de temps après, Mahmoud célébra une fête toute européenne, à l'occasion de la distribution des insignes d'un ordre civil et militaire, divisé en quatre classes, comme presque tous les ordres de chevalerie. Il fit plus, et confondit les Musulmans par sa hardiesse, en autorisant la publication d'un Moniteur écrit en français et en turc.

De nouveaux incendies attestèrent un surcroît d'irritation dans le peuple, et comme si l'empire eût dû à cette épo que réunir toutes les calamités dans son sein, la peste et le choléra en ravageaient plusieurs provinces., La Valachie et la Moldavie éprouvèrent principalement les fureurs de ce dernier fléau, qui envahit ensuite le reste de la Turquie d'Europe. A Jassy, où il avait paru en juin, il emporta pendant quelque temps 300 individus par jour, et au commencement d'août

(1) Le nombre des incendiés fut évalué, à 80,000, et celui des mai. sous détruiter à 10,000.

7,000 habitants y avaient succombé. D'un autre côté, la peste faisait d'affreux ravages à Smyrne et à Bagdad que la mort et l'émigration concouraient à dépeupler.

Ce fut sans doute une compensation à tant de désastres, que de voir, vers la fin de l'année, la rébellion des pachas de Bagdad et de Scutari étouffée autant par des négociations que par la force des armes; mais le pacha d'Égypte préparait alors à la Porte des embarras dont il lui serait plus difficile de sortir.

D'anciens différends, qui avaient pour cause principale la protection que trouvaient en Syrie les paysans égyptiens, existaient entre le vice-roi d'Égypte et Abdallah, pacha d'Acre. Méhémet-Ali avait sollicité du divan l'autorisation de se venger d'un ingrat qu'il avait sauvé du courroux de la Porte, et qui lui refusait, en termes peu mesurés, l'extradition des paysans réfugiés en Syrie, ainsi que le remboursement d'une grande somme payée pour obtenir sa grâce. Le divan s'expliqua nettement et avec justice sur le premier point, en proclamant que les fellahs égyptiens étant sujets de l'empire et non les esclaves du pacha d'Égypte, il leur était loisible de se transporter où bon leur semblait. Quant au reste, on se renferma dans le système ordinaire en Turquie, des réponses évasives, au moyen desquelles on gagna du temps, jusqu'à ce que la révolte du pacha de Scutari venant mettre le comble aux difficultés de la Porte, on songeât à acheter les secours de Méhémet-Ali, ou tout au moins sa neutralité, en lui concédant l'autorisation de marcher en Syrie, sous les ordres du capitan-pacha, dont l'escadre à cet effet se joindrait à celle du vice-roi.

Cette expédition sauvait les apparences et mettait en garde contre l'abus de la victoire, par la présence du premier diguitaire de l'empire. Il partit et arriva jusqu'à Rhodes, où il s'arrêta en apprenant les ravages du choléra qui sévissait en Égypte avec une fureur telle que le nombre des victimes dans la seule ville du Caire, pendant les mois d'août et de septem

bre, s'éleva à 60,000 en 29 jours: plusieurs villages perdirent la moitié de leurs habitants. L'épidémie s'apaisa; mais la flotte ottomane, au lieu de continuer sa route, revint aux Dardanelles, on ne sait par quelle raison. C'était le moment où le grand visir remportait des avantages signalés sur le pacha de Scutari: peut-être pensa-t-on que, découragé par les nouveaux événements, Méhémet-Ali n'oserait rien entreprendre sans un firman exprès de S. H., qu'on s'était gardé de lui donner.

Mais le vice-roi n'avait plus rien à ménager avec la Porte. Cet homme, qui avait recueilli et cultivé avec tant de soin le germe de civilisation deposé sur les bords du Nil par Bonaparte, sentait sa supériorité : trouvant le moment favorable pour secouer un reste de soumission, il avait fait presser avec la plus grande vigueur les préparatifs de l'expédition. Le vainqueur des Wechabites, celui que l'intervention de l'Europe à Navarin avait seule empêché de dompter la Grèce épuisée, Ibrahim-Pacha prit le commandement de l'armée, forte de 30,000 hommes. Elle partit du Caire vers le 20 octobre: bientôt une flotte de 22 bâtiments de guerre se dirigea aussi sur la Syrie. Les premiers progrès d'lbrahim furent rapides; il occupa, sans obstacle, Gaza, Jaffa, qui se rendit le 8 novembre, Caiffa, et parut, dans les derniers jours du mois (le 27), devant Saint-Jean-d'Acre, cette ville que sa résistance victorieuse au premier capitaine des temps modernes a rendue célèbre, mais qui aujourd'hui, malgré la force de sa position naturelle, n'avait plus, contre des moyens d'attaque redoutables, les ressources de la science militaire de l'Europe. Toutefois elle arrêta long-temps Ibrahim, et c'est là que nous le retrouverons l'année prochaine, en reprenant le récit de ses opérations.

Cependant, un envoyé de Constantinople était accouru à Alexandrie, porteur d'un firman sévère, par lequel S. H. s'inerposait juge suprême entre les deux pachas, les sommant de lui soumettre leurs raisons, pour qu'il eût à faire justice

à qui de droit. Il était impérieusement ordonné au vice-roi de suspendre les hostilités à l'instant, de rappeler son armée et de la réduire au pied fixé, il y a quelques années, comme suffisant pour la défense de l'Égypte. Méhémet-Ali ne tint aucun compte des ordres ni des menaces qui les accompagnaient. C'était rompre ouvertement avec la Porte; elle dut le comprendre, et bientôt commencèrent les préparatifs pour · une lutte qui devait mettre aux prises non plus seulement deux souverains, mais deux races diverses, l'Afrique et l'Asie ottomanes; s'élever à la hauteur d'un grand intérêt politique en Europe, prouver d'une manière définitive que la Turquie n'avait plus par elle-même la force de se tenir debout; faire voir enfin avec quels succès différents deux hommes également remarquables, l'un vassal et l'autre suzerain, avaient entrepris de régénérer les peuples soumis à leur domination, et de s'approprier les arts de la civilisation moderne.

[ocr errors]

CHAPITRE VI.

GRÈCE.-Impopularité du président.-Insurrection de Maïna et d'Hydra. Les Hydriotes s'emparent de la flotte grecque à Poros. La flotte russe vient les bloquer dans ce port. Le président attaque Poros par terre. Il est repoussé.

[ocr errors]

--

- Les habitants de cette ile se retirent à

Hydra. L'amiral russe se prépare à attaquer la flotte grecque. Miaulis la fait sauter. Hostilités des Maïnotes contre le gouvernement.— Assassinat du président.— Installation d'un nouveau gouverne

ment.

La Grèce, cette autre preuve vivante de la faiblesse de de l'empire ottoman, la Grèce, toujours rebelle aux longs efforts de l'Europe pour la pacifier, ne fut encore, cette année, qu'un théâtre de violences et de discordes civiles. Le président, Capo-d'Istria, tant à cause de son attachement aux intérêts de la Russie que par la jalousie et le mécontentement des principaux chefs, qui tous étaient inaccoutumés au contrôle d'un supérieur et avides de pouvoir pour eux-mêmes, était promptement tombé dans l'impopularité. Dans les rangs de l'opposition qui s'était formée contre lui, sans lui tenir compte de son désintéressement et des bienfaits d'une administration activement réparatrice des maux de l'esclavage et de la guerre, on comptait Miaulis, Mavrocordato, Conduriottis et beaucoup d'autres des plus populaires et des plus distingués. Ils demandaient la convocation d'une assemblée nationale, que le président refusait; une entière liberté de la presse, à laquelle il ne voulait pas consentir: ils lui reprochaient de violer les premiers principes de la constitution, en concentrant tous les pouvoirs dans sa personne, en gouvernant par l'assistance de son armée, comme le despote délégué de la Russie, non comme le magistrat élu d'un peuple libre; en exilant, en emprisonnant ses adversaires de la manière la plus illégale. Pierre Mavromichalis entre autres, ce bey du Maïna qui avait rendu les services les plus signalés à la Grèce

« PreviousContinue »