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riode historique complétement indépendante de celle qui l'a précédée; car tous les autres changements importants, survenus en France, datent de 1831. C'est dans cette année que surgissent les plus grands obstacles à la marche du gouvernement sorti de la crise de juillet, que les passions politiques se développent dans toute leur force, que se fait l'épreuve d'une représentation nationale fondée sur des bases plus larges. C'est encore à l'année 1831, ou à la suivante, qu'appartiennent les grandes modifications exécutées dans notre législation, et particulièrement toutes les lois organiques de la Charte; la loi municipale, la loi sur la garde nationale, la loi électorale, la loi sur la pairie, la loi départementale, etc.

Voilà quelques-unes des raisons qui nous paraissent justifier d'une manière péremptoire le parti que nous avons adopté de commencer une nouvelle série. Nous devons ajouter que par suite des circonstances, l'Annuaire historique est devenu nécessaire à une foule de personnes qui, jusqu'alors, avaient pu s'en passer. L'administration, en France, a été renouvelée de fond en comble; d'autres personnages occupent les hautes fonctions civiles, tiennent les premières positions dans l'armée, siégent sur les bancs de la Chambre élective et de la Chambre des pairs. Pour eux aussi, l'Annuaire historique devait ouvrir une nouvelle série; car il conservera toujours, qu'il nous soit permis de l'espérer du moins, la place que les hommes d'État lui ont donnée jusqu'ici dans leur bibliothèque.

Cette série, qui continuera à se distinguer par un

esprit de modération et d'impartialité inaltérable, et recevra également le tribut de l'expérience et des lumières de M. Lesur, a été confiée à un autre écrivain. Heureusement inconnu à tous les partis, étranger à toute querelle politique, sans engagements sur quoi que ce soit, ne voulant que la gloire et le bonheur de sa patrie, cet écrivain offre aujourd'hui son premier volume au public.

Notre récompense serait que ce volume, qui a déjà pour lui le suffrage de M. Lesur, parût porter partout le cachet de l'indépendance, de la justice; en un mot, qu'il fût juge omme il a été écrit, dans un amour vif et sincère de la vérité historique.

Maintenant faut-il parler de l'intérêt que présente ce volume en raison des grands événements qu'il raconte? En Europe, où deux principes, représentés par des millions de soldats armés, sont à chaque instant sur le point de recommencer les guerres de la révolution et de l'empire, la France avec ses luttes intestines et le développement plus ou moins rapide des conséquences de la révolution de juillet; l'Angleterre qui essaie de régénérer ses institutions politiques par des voies purement parlementaires, et sans avoir à subir la grande crise sociale de la France dans les dix dernières années du xvIII° siècle; la Belgique où la carte de l'Europe, telle que l'avait dessinée le congrès de Vienne, reçoit une modification si importante; le Portugal où don Miguel peut déjà prévoir que le détrônement de don Pédro sera cause de sa chute à lui-même; l'Espagne qui voit étouffer dans des flots de sang des

tentatives de liberté prématurées; la Suisse complétant une révolution qui a aussi emprunté sa plus grande force à celle de juillet; l'Italie comprimée par les baïonnettes autrichiennes dès quelle tente d'imiter la France et la Suisse; l'Allemagne travaillée d'un besoin de réformes non moins profond peut-être que les autres parties de l'Europe, mais où les faits s'accomplissent avec une lenteur que l'impatience et la vivacité française s'expliquent difficilement; la Russie et la Pologne luttant corps à corps dans un duel qui, après d'héroïques exploits, ne rapportera encore qu'une gloire stérile à l'infortunée patrie des Sobieski et des Kosciuszko; la Grèce déchirée par des discordes au milieu desquelles le président, Capo-d'Istria, tombe sous les coups de deux assassins; enfin, à l'extrémité de l'Europe, la Turquie dont les efforts de Mahmoud pour la réveiller de son engourdissement ne font que précipiter la décadence, à l'approche d'une guerre, qui attirera l'attention de toute l'Europe, entre le sultan et un vassal plus puissant que son suzerain.

Sans doute, en regard de cet immense théâtre, où tant d'événements d'une si vaste portée se pressent devant les yeux du spectateur, pour l'émouvoir, le frapper, le captiver au plus haut degré, comme dans la plus féconde et la plus animée des chroniques dramatiques de Shakspeare, sans doute l'Amérique n'offrira pas le même attrait. Cependant, il ne faut pas croire que le Nouveau-Monde n'ait pas aussi fourni en 1831 son contingent de révolutions et de catastrophes à l'histoire. Et quand nous n'aurions eu qu'à raconter

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comment s'est développé, aux États-Unis, le germe d'une désunion fédérale, qui a son origine dans la diversité des intérêts commerciaux; comment la république de Colombie a cessé d'exister presque en même temps que Bolivar, pour se scinder en trois États indépendants; comment, en dernier lieu, et presque à l'autre bout du continent américain, le Brésil a suivi l'exemple de la France de juillet et s'est délivré, au nom de la liberté, d'un empereur que la liberté va prendre pour son champion en Portugal; réduite à ces seuls événements, nous penserions encore que l'histoire de l'Amérique doit piquer la curiosité.

Tant et de si grandes choses qui remplissent l'Annuaire historique de 1831 exigeaient certainement plus de temps que de coutume pour recueillir tous les documents nécessaires à leur intelligence complète dans leurs causes et dans leurs effets. Peut-être n'aurions-nous pas besoin d'alléguer d'autre motif pour justifier le retard extraordinaire qu'a éprouvé la publication de ce volume. Mais, s'il n'a pas paru beaucoup plus tôt, il faut aussi en accuser l'affreuse épidémie qui est venue désoler la France en 1832. Combien n'ont pas vu par elle interrompre toutes leurs occupations, surtout celles de l'esprit, soit qu'ils en aient été frappés avec plus ou moins de rigueur, soit qu'en sévissant au sein de leurs familles, elle ait été pour eux une cause de regrets douloureux!....

Il est inutile de s'étendre ici longuement pour assurer que c'est la dernière fois que l'Annuaire se sera fait attendre si long-temps. Nous reconnaissons avec

sincérité que le public est en droit de se défier de toute promesse de ce genre. Aussi ne demandonsnous à être jugés que sur un fait sans réplique : c'est la publication prochaine de l'Annuaire historique de 1832 qui est sous presse en ce moment. Il y a, au surplus, une relation si étroite entre les événements de 1831 et de 1832, que cette apparition presque simultanée des deux volumes ne sera pas sans un avantage qui compensera le retard, involontaire de notre part, de l'Annuaire de 1831.

Paris, ce 10 décembre 1833.

U.-TC.

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