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ministériel, demandait qu'il fût renvoyé à la commission avec tous ses amendements, afin d'y introduire un article relatif au rétablissement du jury d'accusation; mais cette demande fut rejetée. On entendit encore en faveur du projet de loi MM. Rémusat et Gaillard de Kerbertin; après quoi la Chambre ferma la discussion générale et passa à celle des articles.

La question, jusqu'alors presque uniquement controversée, de la réduction du nombre des juges s'agita de nouveau. Les deux premiers articles furent attaqués par MM. Ricard, Amilhau, Vatimesnil, de Schonen, et défendus par MM. OdilonBarrot et Guizot. Mis aux voix, ils furent adoptés (8 janvier), après deux épreuves; et à une faible majorité prise dans tous les rangs de l'assemblée.

La Chambre examina ensuite deux articles additionnels, proposés par MM. Martin et de Montigny, l'un portant que la liste des jurés, qui, aux termes de l'article 394 du code d'instruction criminelle, doit être notifiée à l'accusé la veille du jour déterminé pour la formation du tableau, ne pourrait comprendre que les noms de ceux devant composer réellement le jury lors du tirage au sort, à moins que, dans l'intervalle de la notification au tirage, la cour n'ait dû remplacer un ou plusieurs jurés pour motifs légitimes; l'autre, que les défenseurs de l'accusé pourraient assister au tirage du jury pour la formation du tableau, conformément aux articles 299 et suivans du code d'instruction criminelle. (10 janvier) La Chambre consultée rejeta la première addition, modifiée par MM. Ricard et Girod (de l'Ain): elle rejeta aussi la seconde, d'après l'observation de M. Ricard, que la jurisprudence permettant au conseil des accusés d'assister au tirage, cela suffisait, bien que les accusés dussent exercer eux-mêmes leurs récusations, pour atteindre le but que se proposait l'auteur de l'article (1).

(1) La disposition proposée par M. de Montigny a passé dans la loi du 18 avril 1832.

Arrivée à l'article 3 du projet ministériel, la discussion prit un nouveau degré d'intérêt. Plusieurs membres, adoptant le principe de cet article, mais ne trouvant pas encore assez ample le bénéfice qu'il réservait aux accusés, cherchèrent à l'étendre. Ainsi M. Dumont de Saint-Priest proposa comme condition indispensable de la condamnation l'unanimité du jury. Cet amendement, développé au milieu du bruit et des murmures, fut mis aux voix et rejeté, après quelques observations du ministre de l'instruction publique. Une autre proposition, qui occupa plus long-temps la Chambre, tendait à établir que la peine de mort ne pût jamais être infligée que sur une déclaration rendue à l'unanimité, et qu'autrement la peine la plus forte après la peine de mort fût seule appliquée. Cette proposition avait été faite par M. Gaujal, auquel se réunit M. de Tracy, auteur d'un amendement dont le troisième paragraphe rentrait dans la première disposition de celui de son collègue. M. de Lafayette demandait en outre, pour tous les cas autres que ceux qui emportent la peine capitale, une majorité de dix voix contre deux, c'est-à-dire, ainsi que le rappelait en peu de mots l'honorable général, un retour au principe établi par l'Assemblée constituante, lorsqu'elle introduisit le jury en France.

A l'appui de son amendement, M. Gaujal invoquait d'abord cet axiome, que la nécessité seule peut légitimer la peine de mort. « A qui s'adresse la justice, demandait-il, pour consta«ter cette nécessité? Aux jurés, c'est-à-dire au pays. Mais «pour que le pays constate cette nécessité, il faut qu'il soit <«unanime; car s'il n'était pas unanime, il n'y aurait pas évi«dence, et s'il n'y avait pas évidence, il n'y aurait pas néces«<sité. » Interrompu par quelques murmures, l'orateur contiet soutint que si, dans le cas où il s'agissait d'appliquer une peine temporaire, ou même perpétuelle, il suffisait de la certitude morale, c'est-à-dire, de la conviction des deux tiers ou des trois quarts des jurés, il n'en était plus de même lorsqu'il s'agissait de la vie d'un homme. Dès lors il fallait qu'il

nua,

y eût présomption d'infaillibilité, car l'erreur devenait irré parable. M. Gaujal faisait ensuite remarquer que son amendement n'avait point pour but de consacrer l'impunité, puisque la peine immédiatement inférieure serait toujours appliquée. Il réfutait, en alléguant sa propre expérience, l'opinion que l'unanimité ne pourrait jamais s'obtenir; et terminait par cette réflexion :

On dira peut-être que ces condamnations à l'unanimité deviendront de plus en plus difficiles. Eh bien! ne cherchons-nous pas à arriver à l'abolition de la peine de mort? cette idée n'est-elle pas dans le cœur des hommes animés de sentiments généreux? Ce que je vous propose est un état de transition entre l'état actuel et l'état d'une abolition complète de la peine de mort. »

M. de Tracy, auteur de la fameuse proposition qui, au mois d'octobre 1830, avait provoqué dans le sein de la chambre une discussion mémorable sur la peine de mort, s'exprimait en ces

termes :

Je me flatte, comme le préopinant, que la société marche vers une amélioration tellement considérable, que j'attache tous les jours un plus grand prix à mes sentiments au sujet de cette grave question. Mais elle ne peut pas être traitée d'une manière transitoire aussi ce que je réclame dans mon troisième paragraphe est seulement une mesure qui m'a paru conforme aux plus saines notions de l'équité et de la raison. En effet, ma raison se refuse à comprendre qu'une société bien organisée puisse souffrir qu'une peine irréparable, qu'une peine d'une gravité telle, que son inconnu doit frapper d'étonnement, puisse être appliquée sur une simple probabilité. En vérité, quand je pense à un fait aussi extraordinaire, il me semble que j'entends la voix d'un fanatique du moyen âge, qui, dans l'épouvantable guerre des Albigeois, s'écriait : « Tuez toujours, Dieu choisira les bons. »

«Eh! Messieurs, quel est donc ce système! Comment, vous envoyez à la mort lorsque des hommes désintéressés hésitent sur la culpabilité! Je ne connais qu'un seul système qui puisse appuyer une pareille doctrine: c'est celui d'un publiciste moderne, malheureusement trop fameux, qui, dans ses débats législatifs, a dit : « qu'un jugement à mort n'était qu'un jugement en première instance, et que l'on était renvoyé en appel « devant Dieu. (Mouvement en sens divers.)

«

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▾ Messieurs, mes sentiments sont tout autres, et je ne puis comprendre comment il peut s'élever le moindre doute à cet égard. Je n'ajouterai rien; tous les arguments que je pourrais faire valoir seraient faibles devant l'idée que je me fais d'une peine irréparable, appliquée sur une simple probabilité. Je déclare que, dans ma conviction intime, le droit d'appliquer la peine de mort n'existe pas; mais si la société croit devoir retrancher de son sein un de ses membres, il faut au moins que tous ceux qui concourent à constater le fait soient unanimes sur la réalité. ■

Après quelques observations de M. Girod (de l'Ain), qui, n'admettant point la distinction faite par la proposition entre les cas emportant la peine capitale et les cas passibles d'une peine moins grave, ne refusait pas toutefois un douzième de chances de plus en faveur de l'accusé, et adoptait en conséquence la majorité de neuf voix contre trois, parce qu'elle lui paraissait offrir une probabilité plus forte. M. Renouard, commissaire du gouvernement, monta à la tribune, et combattit les amendements de toute espèce. A ses yeux, la seule question qui dût occuper la Chambre était celle de savoir quels éléments de certitude judiciaire lui semblaient suffisants. La solution de cette question dépendait de l'examen des faits: or, en les interrogeant, on acquérait facilement la conviction que personne ne reprochait au jury, dans sa forme actuelle, une excessive sévérité; personne ne se plaignait qu'il n'offrît pas assez de garanties à l'innocence; rien n'indiquait donc le besoin de changer la législation existante. Quant au système soutenu par MM. Gaujal et de Tracy, l'orateur lui opposait surtout l'impossibilité d'établir dans la loi deux éléments de certitude sans en renverser la base :

« On ne doit prononcer aucune peine, remarquait-il, depuis le bas jusqu'au haut de l'échelle, que sur une complète certitude. Il faut une complète certitude pour prononcer une amende ou quelques jours de prison, comme il faut une complète certitude pour prononcer la peine capitale. Or, si vous établissiez deux tarifs, si je puis parler ainsi, deux modes de certitude; si vous dites qu'on sera certain dans un cas à telles conditions, et certain dans un autre cas d'après d'autres conditions, vous semblez vous jouer de la liberté de l'homme, et tout en vous montrant si scrupuleux pour la vie humaine, vous faites voir peu de respect pour tout ce qui se rapporte à la fortune et à la liberté. »

A cette habile argumentation, M. de Tracy répliquait que les deux ordres de faits que M. le commissaire du gouvernement reprochait à l'amendement de vouloir établir existaient réellement. Entre une peine, quelque sévère qu'on la suppose, mais appréciable, mais réparable de sa nature, et une autre peine inconnue, irréparable, la différence est telle, que rien ne saurait permettre de la faire disparaître. Cette différence,

l'amendement ne la créait pas; elle tenait à la nature des choses, et en nécessitait une autre équivalente dans le jugement. La peine de mort étant irréparable, le jugement devait porter tous les caractères de certitude que les hommes peuvent se flatter de réunir.

D'un autre côté, M. Philippe Dupin objectait, et son opinion entraînait beaucoup de bons esprits, qu'adopter la proposition de MM. Gaujal et de Tracy, c'était trancher d'un seul coup, et par amendement, la question si grave de la peine de mort, sans établir en même temps un nouveau système de pénalité qui pût concilier les intérêts de la société avec le vœu de l'humanité; car il suffirait de l'opposition obstinée d'un seul juré pour empêcher l'application de la peine capitale.

11 janvier. La discussion roula encore quelque temps dans le même cercle. Après avoir entendu, d'une part, M. Gaëtan de La Rochefoucauld, de l'autre, MM. de la Pinsonnière, Mestadier et Barthe, ministre de l'instruction publique, la Chambre rejeta, à une assez grande majorité, l'amendement proposé, malgré les répliques et les nouveaux efforts de MM. Gaujal, de Tracy et de Lafayette. L'amendement de ce dernier, combattu seulement par M. Daunant, fut ensuite également rejeté. MM Daunou et Laisné de Villévêque en présentaient un autre, espèce de terme moyen entre la proposition du gouvernement et celle qui venait d'échouer devant la volonté de la Chambre: ils demandaient que la décision du jury ne pût désormais se former qu'à la majorité de neuf voix. M. Laisné de Villévêque justifia en très peu de mots cette importante modification : il se borna à dire que si elle dérobait quelques coupables à la vengeance de la loi, elle pourrait aussi sauver quelques innocents des suites d'erreurs funestes dont il n'existait que trop d'exemples. Aucune voix ne s'éleva ni pour soutenir ni pour combattre cet amendement, et, après une première épreuve douteuse, il fut adopté à une faible majorité. Ce résultat, auquel, selon toute apparence, ne s'attendaient pas les commissaires du gouvernement, fit quelque sensation

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