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étaient dans un état de blocus continuel, et leurs garnisons pouvaient à peine s'éloigner hors de la portée du canon des remparts: elles n'étaient délivrées que par intervalles, lorsque de fortes divisions venaient leur amener des convois d'approvisionnemens.

Auparavant, l'armée carliste n'avait pour refuge que les vallées de Bastan, de la Borunda et des Amescoas. Son existence, errante et toujours précaire, malgré des succès de détail, entraînait de cruelles fatigues, un grand dénûment, des appréhensions perpétuelles pour ses dépôts, ses ambulances et ses magasins; elle ne régnait d'ailleurs sur une partie des populations que par des apparitions subites, et les habitaus, qui voyaient toujours des divisions de la reine à sa poursuite, pouvaient hésiter quelquefois entre les deux partis. Maintenant les insurgés jouissaient dans l'intérieur du pays de la sécurité la plus complète. On rassemblait et on exerçait des recrues, on levait les contributions, on administrait et on rançonnait la contrée sans contradiction aucune. Depuis bientôt quatre mois on n'y rencontrait plus un seul soldat de la reine. Les carlistes, enfin, ne manquaient ni de munitions, ni d'objets d'habillement, ni de chevaux; la contrebande, si active et si difficile à combattre dans les Pyrénées, les fournissait de tout. Ils recevaient aussi beaucoup d'approvisionnemens par mer; car ils occupaient sans opposition plusieurs points de la côte entre SaintSébastien et Bilbao, et même ils avaient une petite flottille de chaloupes armées, qui faisait tous les jours des captures, malgré la croisière de la marine du gouvernement.

Au reste, une preuve irréfragable de la supériorité des carlistes de la Navarre, c'est le parti qu'ils avaient pris d'envoyer, à travers l'Aragon, une expédition dans la Catalogne, jugeant sans doute que les troubles auxquels cette province était en proie seconderaient puissamment leur projet d'offrir un point de ralliement aux diverses bandes d'insurgés qui parcouraient déjà ses montagnes. Partie le 12

août de la vallée d'Ulzama au nord de Pampelune, cette expédition, forte de 3 à 4000 hommes commandés par le brigadier Guergué, avait pénétré dans le haut Aragon, le 14, par la vallée de Verdun, avait passé le 15 devant la forteresse de Jaca, était entrée le 17 à Huesca, et le 18 à Barbastro sur la Cinca. Jusque-là, sa marche avait été rapide, puisqu'elle avait fait plus de quarante lieues en six jours, imposant les villes et les villages qu'elle rencontrait, à de fortes sommes, commettant toutes sortes de violences, et pillant les églises, même les moins pourvues d'argenterie. Mais, arrivée sur les bords de la Cinca, la colonne navarraise mit treize jours à parcourir les vingt-cinq lieues qui séparent Barbastro d'Organia, village de la Catalogne, situé sur le Segré, à dix lieues au-delà de la frontière d'Aragon, et à quatre au dessous de la Seu d'Urgel.

Dès que la junte gouvernante de Barcelone eut connaissance de l'approche de la division de Guergué, le capitainegénéral don Pedro Pastors fut invité à entrer en campagne avec une partie de troupes de ligne pour se porter vers l'Aragon, et préserver la province d'une invasion aussi dangereuse. Malgré tous les efforts de ce général, qui fut mal secondé, Guergué, avec sa brigade navarraise, parvint à s'installer dans la Catalogne. Bien que cette brigade eût éprouvé des pertes par suite des fatigues, des marches forcées, de quelques échecs, et par la désertion de beaucoup d'hommes qui étaient retournés en Navarre, elle avait servi de noyau à l'insurrection catalane, en ralliant vers un but commun les bandes errantes qui jusqu'alors opéraient chacune isolément. L'anarchie qui régnait en Catalogne ne leur avait pas été d'un médiocre secours. Vers la fin de septembre, les carlistes s'emparaient de tous les villages voisins de la frontière, et les populations de ces différentes localités, populations entièrement dévouées à la cause constitutionnelle, se jetaient en toute hâte sur le territoire français, traînant après elles leurs meubles, leurs effets les plus précieux,

leurs troupeaux, tout ce qu'elles pouvaient soustraire à un pillage inévitable. Enfin, les carlistes formaient maintenant dans le nord de la Catalogue une force agglomérée, que l'on évaluait à 8 ou 10,000 hommes, sans compter d'autres guérillas éparses, qui ne cessaient d'inquiéter le reste de la province et de harceler toutes les garnisons, toutes les communications.

L'Espagne offrait donc en ce moment cette étrange circonstance que l'unité dans laquelle trois siècles de monarchie absolue avaient essayé de fondre tous ces royaumes divers de Léon, de Navarre, de Castille, d'Aragon, de Valence, etc., était victorieusement attaquée par deux insurrections provinciales, n'ayant ni la même nature, ni le même drapeau, ni le même but. L'insurrection des quatre provinces du nord, qui puisait en réalité toute son énergie dans un opiniâtre attachement des Basques pour leurs priviléges locaux, leurs fueros, luttait contre l'établissement du régime constitutionnel, dont le résultat serait évidemment de consolider l'unité espagnole au détriment de ces priviléges; au contraire, les autres provinces ne s'étaient dernièrement soulevées que parce que le gouvernement de Madrid refusait, à leur gré, de donner à ce régime toute sa latitude, toute son extension. On a vu combien le ministère était peu disposé à rien céder sur ce point; et, loin qu'il se sentît découragé par le mauvais succès de ses mesures de résistance, M. de Toreno attendait impatiemment M. Mendizabal, comptant sur son nouveau collègue pour corroborer les dispositions hardies qu'il avait prises, et poursuivre de concert avec lui son système de répression et de force contre les juntes.

CHAPITRE IX.

ESPAGNE. Formation d'un nouveau ministère par M. Mendizabal. - Promesses et manifeste de ce ministère. — Réponse aux adresses des juntes. — Premières mesures du ministère. — Décret qui établit les députations provinciales. - Révocation du décret rendu contre les juntes. — Garde nationale. -Convocation des Cortès. — Nomination de plusieurs ministres. — Libertė de la presse.-Mesures de réforme relatives au clergé.— Décret qui ordonne une levée de 100,000 hommes. — Réhabilitation de Riégo. — Soumission générale des juntes. —Ouverture de la session des Cortès. — Composition des bureaux. Vote de l'adresse. — Déclaration des Chambres sur l'armée. Décision de la Chambre des procérès en faveur de M. Burgos. — Présentation de plusieurs projets de loi aux Cortès. — Vote de confiance accordé au ministère. — Situation parlementaire. Suite des opérations militaires. —Arrivée de l'infant don Sébastien au camp de don Carlos. Envoi d'une nouvelle expédition carliste en Catalogne. des carlistes contre plusieurs places.-Exécution militaire. - Etat de l'insurrection carliste en Catalogne. — Mise en état de siége de cette province. Résumé de la situation générale.

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Attaque

M. Mendizabal arriva enfin le 6 septembre à Madrid, après avoir passé par Lisbonne; mais il n'abonda nullement dans le sens du chef du cabinet. Il déclara que, si le décret du 3 pour la dissolution des juntes était le programme du ministère, il renonçait à en faire partie, et qu'il fallait, au contraire, que le gouvernement se pressât, pendant qu'il en était temps encore, d'entrer volontairement dans la nouvelle voie que lui traçait si évidemment la majorité de la nation. Après huit jours de négociations, M. de Toreno crut devoir se retirer. Resté maître absolu du terrain, M. Mendizabal reçut de la reine régente des pouvoirs illimités pour former une nouvelle administration. En conséquence, divers décrets furent rendus le 14 septembre, qui nommaient don Manuel Ricardo de Alava ministre des affaires étrangères et président du conseil des ministres; don Mariano Quiros,

ministre de la guerre par intérim; don J. Alvarez de Mendizabal, qui avait déjà le ministère des finances, ministre det la marine par intériu; et don Ramon Gil de la Quadra, ministre de l'intérieur. M. Alava, pendant son absence, serait remplaé par le sous-secrétaire d'état des affaires étrangères. M. Gil de la Quadra ayant refusé le portefeuille qui lui était offert, M. Martin de los Heros, chef de division au ministère de l'intérieur, fut nommé par intérim à sa place. *M. Arguelles avait, dit-on, refusé également un portefeuille par des considérations de position personnelle; il adhérait du reste au système de M. Mendizabal, et lui promettait son appui et celui de ses amis.

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Des courriers extraordinaires furent chargés d'aller annoncer dans les provinces l'avénement du nouveau ministère, et d'y répandre un article de la Gazette de Madrid, qui fut généralement regardé comme l'expression de ses vues principales. Il promettait la cessation de la guerre civile, la consolidation du trône d'Isabelle II, et la marche lente, mais progressive, régulière et douce, mais certaine, de la liberté. Le gouvernement ne tarderait pas à publier le décret des députations provinciales. Elles pourraient se consacrer légalement à réclamer du trône toutes les améliorations nécessaires au bien-être positif du pays, soit en indiquant de nouvelles sources de prospérité, soit en proposant des travaux d'utilité publique, soit enfin en dénonçant les abus qui gêneraient le développement de l'industrie dans toutes ses branches et subdivisions. Le ministre des finances, qui pendant un séjour de plusieurs années en Angleterre avait étudié les causes du crédit de ce pays, n'ignorait pas que les moyens de soutenir cet élément essentiel des sociétés consistent dans la réforme des abus qui entravent la liberté de l'industrie. Le journal officiel annonçait ensuite la prochaine convocation des Cortès, auxquelles serait aussitôt présenté un projet de loi sur la responsabilité ministérielle. Alors la voix des représentans de la nation, jointe à celle du gouvernement,

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