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N° 13.

Le marquis de La Valette au baron de Talleyrand, ambassadeur de France à Saint-Pétersbourg,

Paris, le 24 mars 1869.

Monsieur le Baron, M. l'Ambassadeur de Russie m'a donné connaissance d'une dépêche adressée par le Prince Gortchakoff à M. le Baron de Brunnow à Londres, et relative à la question récemment soulevée par le Cabinet d'Athènes, quant à la condition des sujets Hellènes résidant en Turquie. Le Chancelier, en se prononçant pour la solution la plus large, déclare que le concours du Cabinet russe est pleinement acquis aux démarches dont la France et l'Angleterre seraient disposées à prendre l'initiative dans le but d'appuyer les demandes du Gouvernement Hellénique. Le Prince Gortchakoff exprime, en outre, le vœu que les Puissances s'entendent à cette occasion pour examiner les mesures adoptées en dernier lieu par la Porte en matière de naturalisation.

Cette dernière question est importante par elle-même comme par ses conséquences, et ce n'est pas d'ailleurs la première fois qu'elle se présente en Turquie. Personne n'ignore, en effet, que la Porte s'est toujours élevée contre les facilités que ses sujets trouvaient pour obtenir la nationalité étrangère et pour échapper ainsi aux charges du pays tout en continuant à résider sur le territoire Turc. Il est impossible de contester qu'elle soit fondée à se préoccuper de l'extension qui a été donnée à ce système de naturalisation, surtout lorsqu'il est appliqué par la Grèce. On évalue à un chiffre considérable, et chaque jour croissant, le nombre des individus qui, par cela seul qu'ils parlent la langue grecque, cherchent à obtenir et obtiennent la nationalité grecque. Un tel état de choses constitue certainement un véritable danger pour la Porte, et l'on conçoit qu'elle ait eu le désir d'y pourvoir au moyen d'une loi.

Cependant cette mesure, d'après la dépêche du Prince Gortchakoff à M. de Brunnow, soulève deux questions que M. Chancelier de Russie a également indiquées dans un entretien avec vous. La première est celle de savoir si la loi est d'accord ou non avec les priviléges assurés aux étrangers en vertu des capitulations; la seconde porte sur la rétroactivité, et le Prince Gortchakoff demande s'il est possible que la nouvelle loi soit appliquée aux sujets Ottomans naturalisés Grecs avant la rupture des relations entre la Turquie et la Grèce.

Sur le premier point, je n'hésite pas à dire que, si la loi dont il s'agit portait une atteinte quelconque directe ou indirecte aux capitulations, il y aurait lieu certainement de faire des représentations à la Porte, et nous ne serions pas les derniers à nous en expliquer avec elle. J'ajouterai que je n'ai point, quant à présent, d'idée arrêtée sur les dispositions de la loi turque du 19 janvier. Je me propose de la déférer à l'examen du Comité du contentieux institué auprès de mon Département, et je dois attendre le résultat de cette étude avant d'exprimer une opinion. Je me borne à constater que jusqu'ici les dispositions législatives adoptées par le Gouvernement Ottoman ne paraissent avoir soulevé d'objections de la part d'aucune Puissance au point de vue des garanties acquises en vertu des capitulations.

Quant à la question de rétroactivité, je crois que la difficulté est plus apparente que réelle. Et d'abord, rien ne prouve que le Gouvernement Ottoman ait l'intention d'appliquer la loi qu'il vient de faire aux sujets du Sultan naturalisés étrangers à une époque antérieure. Pour déterminer leur situation, il n'a besoin que d'invoquer les capitulations, ainsi qu'il l'a fait toutes les fois qu'il a voulu réagir contre les abus de la protection; en un mot, la difficulté se réduit à rechercher, non pas si les individus qui se trouvent en cause ont été naturalisés conformément aux principes de la loi récemment promulguée, mais s'ils ont obtenu cette faveur dans des conditions compatibles avec l'esprit et les termes des capitulations. Il est clair que le Gouvernement Turc n'était pas dans la nécessité de faire une loi pour être autorisé à ne point reconnaître la qualité d'étrangers à ceux de ses anciens sujets qui n'auraient pas de titres réguliers à produire.

En ce qui regarde particulièrement les Hellènes, il résulte d'un télégramme de M. Bourée en date du 11 janvier1, dont j'ai donné connaissance aux Membres de la Conférence, que les mesures qui concernent les naturalisations abusives étaient décidées depuis longtemps; elles ont coïncidé avec la rupture, mais elles n'en étaient pas la conséquence et ne se rattachent pas d'une manière directe à l'ultimatum.

Telles sont, Monsieur le Baron, les considérations générales qui nous paraissent dominer la question, et dont il y aura lieu, selon nous, de tenir compte dans l'examen des demandes du Gouvernement Hellénique. Lord Clarendon, à qui M. le Baron de Brunnow a fait la communication dont il était chargé, n'a pas repoussé l'idée d'accorder son appui dans la mesure de ce qui lui paraîtrait juste et possible; mais il s'est refusé à prendre aucun engagement jusqu'à ce que le Gouvernement Hellénique ait fait connaître d'une manière

1. Voir Archives, 1869, t. IV, p. 1663.

exacte et par écrit la nature et la portée de sa réclamation. J'ignore l'avis des autres Cabinets. Quant à nous, ainsi que nous l'avons déjà dit, nous avons toujours pensé qu'il était juste d'établir une distinction entre les individus d'origine ottomane qui ont acquis la nationalité étrangère en vertu d'un titre valable et ceux qui ne l'ont obtenue que d'une manière abusive et contrairement à tous les principes du droit public. Quelle que soit l'opinion à laquelle nous arriverons, après examen, sur la nouvelle loi publiée le 19 janvier à Constantinople, nous sommes toujours disposés à prêter notre concours au Cabinet Hellénique auprès du Gouvernement Turc pour assurer le retour à la nationalité grecque des Hellènes naturalisés de bonne foi qui auraient été obligés d'accepter la sujétion ottomane après la rupture des relations.

En terminant la communication adressée à M. le Baron,de Brunvow, le Prince Gortchakoff rappelle la loyauté avec laquelle la Grèce s'est résignée au verdict des Cours Européennes et y voit pour elle de nouveaux titres à leur intérêt. Nous rendons également justice aux sentiments personnels du Roi Georges et au bon esprit que ses Ministres actuels ont montré dans des circonstances difficiles. Mais nous ne pouvons nous écarter, dans la question spéciale que j'examine ici, des principes de jurisprudence qui règlent partout l'acquisition ou la perte de la nationalité. En ce qui me touche personnellement, je ne fais que rester fidèle aux convictions que je me suis formées à ce sujet pendant mes deux ambassades à Constantinople. Agréez, etc.

Signé: LA VALETTE.

N° 14.

Le prince de La Tour d'Auvergne, ambassadeur de France à Londres, au marquis de La Valette.

Londres, le 31 mars 1869.

(Extrait.) Monsieur le Marquis, je vous remercie de m'avoir communiqué le texte de la dépêche que vous avez adressée, à la date du 24 de ce mois, à M. le Baron de Talleyrand, en réponse aux premières démarches faites auprès de Votre Excellence par M. l'Ambassadeur de Russie. J'ai cru utile, pour faciliter autant que possible l'accord de vues entre nous et le Cabinet de Londres, d'en donner rapidement lecture au principal Secrétaire d'État, qui m'a paru, je m'empresse de le constater, adhérer d'une manière générale aux appréciations qu'elle renferme.

Lord Clarendon ne se montre nullement disposé à considérer la

question de nationalité soulevée par la Grèce comme une question européenne. Il m'a fait remarquer plusieurs fois, et hier encore, que les mesures adoptées par le Gouvernement Ottoman n'avaient soulevé jusqu'ici aucune objection de la part des sujets des autres Puissances, et que ce serait compliquer gratuitement la question que de lui attribuer une portée que, jusqu'à plus ample information, il se refusait à lui reconnaître.

Veuillez agréer, etc.

Signé: Prince DE LA TOUR D'AUVERGNE.

N° 15.

Le baron Talleyrand au marquis de La Valette.

Saint-Pétersbourg," le 6 avril 1869.

(Extrait.) Monsieur le Marquis, j'ai reçu la dépêche que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 24 mars. Je n'ai pas manqué, en m'entretenant avec le Prince Gortschakoff sur la nouvelle loi ottomane relative à la naturalisation, de m'inspirer des considérations que Votre Excellence y développait.

J'ai dit au Chancelier que Votre Excellence avait soumis la loi en question à l'examen du Comité du contentieux, et que, s'il ressortait de cet examen qu'il y eût atteinte directe ou indirecte portée aux Capitulations, nous serions prêts à faire entendre à la Porte, de concert avec les autres Cours, de sérieuses représentations. Cette loi a été l'objet d'un travail approfondi à la Chancellerie d'État. Les conclusions de ce travail se trouvent exposées dans un Memorandum que le Chancelier se propose d'adresser aux Agents diplomatiques de la Russie auprès des grandes Cours.

Veuillez agréer, etc.

Signé: TALLEYRAND.

N° 16.

Le duc de Gramont au marquis de La Valette.

Vienne, le 6 avril 1869

(Extrait.) Monsieur le Marquis, aussitôt après mon arrivée à Vienne, je me suis empressé d'entretenir M. le Comte de Beust de la question soulevée par la loi de naturalisation récemment promulguée par la Porte,

et j'ai constaté tout de suite la presque identité de ses appréciations et des nôtres. La dépêche que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'écrire le 30 mars, m'ayant fourni une seconde occasion de revenir sur ce sujet avec le Chancelier de l'Empire, je crois pouvoir dire qu'il n'existe absolument aucune différence entre la manière de voir du Cabinet de Vienne et celle du Gouvernement de l'Empereur.

Pour justifier cette assertion, il me suffira de résumer en quelques mots l'opinion du Chancelier. La reprise des relations diplomatiques entre la Turquie et la Grèce, étant un fait accompli, ou pouvant être considéré comme tel, entraîne comme conséquence logique et nécessaire l'abrogation de toutes les mesures qui découlaient de l'ultimatum et le retour à l'état de choses antérieur, en tant que cet état de choses aurait été modifié par le différend que la Conférence de Paris a eu la mission de résoudre. Mais il n'en résulte pas pour la porte l'obligation de renoncer aux modifications qu'elle croit devoir apporter à sa législation pour réprimer ou prévenir des abus qui sont notoires.

Le Gouvernement Turc a donc parfaitement le droit de faire une ' nouvelle loi pour régler la naturalisation et la nationalité des habitants de son territoire. De leur côté, les Puissances ont, en vertu des traités dits Capitulations, le droit et le devoir de veiller à ce que la loi nouvelle ne blesse aucune des garanties assurées par ces traités à leurs nationaux.

A cet effet, le Chancelier de l'Empire a soumis la loi turque à l'examen du Comité oriental compétent à Vienne, de même que Votre Excellence l'a soumise à l'étude du Comité du contentieux attaché à son département, et, comme Votre Excellence, il attendra le résultat de cette étude avant de se prononcer.

Si la nouvelle loi renferme quelque clause peu compatible avec les traités existants, le Cabinet de Vienne en fera l'objet d'une communication directe au Gouvernement Turc, et il ne doute pas que ce dernier ne s'empresse d'y faire droit.

Veuillez agréer, etc.

Signé: GRAMONT.

N° 17.

Le baron Baude au marquis de La Valette.

(Extrait.)

Athènes, le 15 avril 1869.

Monsieur le Marquis, M. Th. Délyanni se propose, en admettant que la loi du 19 janvier 1869 puisse être le point de départ d'un ordre de

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