Page images
PDF
EPUB

donc d'indemniser en argent les États éloignés de la coalition, et de demander pour les autres des pays.

D. Quant aux garanties, l'expérience prouve que rien n'est plus fait pour aigrir une nation que de lui demander des garanties temporaires. Des cessions permanentes s'oublient, il n'y a que le trait de plume de la cession qui coûte; des cessions temporaires rappellent à chaque individu d'une nation le joug sous lequel elle se trouve, et ces souvenirs se répètent chaque jour, chaque semaine, chaque mois, chaque année, aussi longtemps que cet état de choses dure, puisque la charge d'une occupation pèse sur chacun, et le pousse par son intérêt même à se soustraire à ce joug et à le repousser, témoin l'occupation des forteresses de la Prusse de la part des Français, qui prouve entièrement cette vérité.

Veut-on se brouiller avec la nation française en lui demandant des stipulations temporaires? Si l'on ne le veut pas, si l'on veut une paix solide, qu'on établisse entre elle et ses voisins des limites qui garantissent à l'une et aux autres une défensive naturelle ou artificielle.

E. Lorsqu'une nation a surpassé sa défensive marquée par la nature ou par l'art, elle devient offensive et menaçante par ce pas même; son activité, sa force, sa politique, ses institutions, son esprit national, son opinion publique, tout prend alors la direction de sa situation géographique, et elle conservera cet esprit aussi longtemps que sa situation géographiqne restera la même.

La France se trouve dans ce cas depuis Louis XIV; par une ambition démesurée et quelques campagnes heureuses, elle parvint à ôter aux pays voisins la défensive que leurs ancêtres avaient établie, savoir: dans les Pays-Bas et sur la Meuse, les forteresses qui forment à présent la première et la deuxième ligne des forteresses françaises, et vers l'Allemagne, en ôtant à cet empire l'Alsace et les places fortes de la Moselle et de la Sarre.

Dès ce moment, l'histoire nous montre l'inclination de la France de pousser ses conquêtes plus loin et de subjuguer les autres États. Pourquoi?

Puisque la France voyait la facilité qui existait pour elle et la difficulté que les États voisins avaient de lui résister, puisque son offensive se trouvait dans sa situation géographique, et que cette situation l'y poussait et l'y induisait à chaque moment.

Veut-on donc une paix durable et solide, on l'a annoncé et prononcé tant de fois! La France elle-même veut-elle une telle paix avec ses voisins, la défensive qu'elle leur a ôtée, c'est-à-dire l'Alsace et les forteresses des Pays-Bas, de la Meuse et de la Sarre.

Ce ne sera qu'alors que la France se verra dans une vraie ligne défensive, savoir dans les Vosges et dans les deux lignes de forteresses

:

depuis la Meuse jusqu'à la mer, et seulement alors elle restera tranquille. Si on ne la fait pas rentrer dans ces limites, marquées plus spécialement encore sur la carte ci-jointe, les nations voisines n'auront pas recouvré leur défensive contre la France, et l'avantage de la situation géographique et militaire de cet empire et la facilité qu'il gardera d'aller plus loin influeront tellement sur sa politique, sur l'ambition et sur le caractère de la nation, enfin sur son opinion publique et sur son Cabinet, qu'il est à prévoir qu'aux premières circonstances favorables qui se présenteront, la France tâchera derechef d'étendre ses frontières jusqu'au Rhin, et dès lors, plus de bornes, puisque dès ce moment son influence sur l'Allemagne sera si grande, qu'elle sera entraînée malgré elle à troubler le repos de l'Europe.

Pour le bien de l'Europe, pour le bien de la France, ne laissons pas échapper le moment favorable qui se présente à nous pour statuer une paix solide et durable.

Aujourd'hui nous le pouvons, la main de la Providence a visiblement amené cette occasion, si on la laisse échapper, des torrents de sang couleront pour atteindre à ce but, et les cris de ces malheureux nous en demanderont raison.

Memorandum du prince de Metternich. Août 1815.

A. La guerre de 1815 n'est pas une guerre de conquête. Elle n'a été entreprise que dans le double but d'abattre l'usurpation de Napoléon Bonaparte et d'asseoir un gouvernement en France sur des bases assez solides pour qu'il puisse offrir des garanties de tranquillité à la France et à l'Europe.

Cette guerre ne doit pas dégénérer en guerre de conquête, parce que les déclarations des Puissances et les termes des Traités seraient en opposition à un pareil but. Une saine politique ne doit pas moins retenir les Puissances de la laisser dégénérer de conquête, parce qu'une altération notable dans l'état de possession, tel qu'il se trouve établi par le Congrès de Vienne, entraînerait un revirement général dans lequel le but de la guerre, l'urgente nécessité de mettre un frein aux principes subversifs de l'ordre social, sur lesquels Bonaparte a fondé son usurpation, quelque courte qu'elle ait été, a donné les plus dangereux développements, se perdrait incessamment dans la foule des nouveaux intérêts qui résulteraient de pareils revirements.

Il est temps enfin de donner un nom au mal que nous combattons en France, le jacobinisme armě, seul, pourrait espérer de tirer un avan

tage réel d'un bouleversement nouveau dans les relations toujours liées à leurs rapports géographiques et statistiques.

J'exclus en conséquence de nos calculs tout arrangement entre les Alliés qui entraînerait des revirements territoriaux.

B. Plus je suis convaincu que tel doit être le principe qui devra guider la marche des Puissances, plus il me paraît d'un autre côté qu'elles ne doivent se faire illusion sur la nécessité d'exiger des garanties à celles qu'elles ne pourraient vouloir chercher que dans les institutions politiques et dans une occupation militaire momentanée.

La France, de longtemps, ne sera pas dans le cas d'asseoir le système de son gouvernement de manière à offrir à l'Europe, dans ses seules institutions, des gages de sûreté.

L'occupation militaire, si elle devait avoir lieu sur une échelle étendue, heurterait autant et plus le sentiment national de la France que des cessions auxquelles on s'attend.

Nous risquerons sans doute non moins de manquer notre but si cette occupation était restreinte, et si elle n'était appuyée sur aucune garantie. Il est donc certain que les efforts immenses que vient de faire l'Europe ne peuvent être couronnés d'un plein succès qu'autant que les quatre grandes Cours se réuniront franchement sur un système fondé également sur l'esprit des Traités, sur la position réelle des choses en France, sur la nécessité de rendre le calme à cette partie du continent par des garanties qu'elle devra aux Puissances, et qu'elle est en droit de lui demander à son tour.

J'essayerai de développer les principes que je crois les plus conformes. à ces divers points de vue.

Les Puissances alliées ont le droit de demander à la France: 1° Une indemnité pour les frais de la guerre;

2° Une garantie réelle et permanente, en changeant son attitude offensive en une attitude défensive plus rapprochée de celle des autres Puissances;

3° L'adoption d'une forme de gouvernement et d'institutions qui se concilient avec celles des autres grandes Puissances de l'Europe, et qui, par un juste balancement de pouvoir, assurent à la France et à l'étranger des garanties de leur stabilité;

4° Que la France enfin se soumette à des mesures de police intérieure et momentanées qui offrent au gouvernement royal un juste soutien et à l'Europe des gages de repos;

5o Cette indemnité ne pouvant avoir lieu qu'au moyen d'une contribution forcée, il suffit que, pour ne pas sortir du but du présent memorandum, d'admettre cette contribution en théorie, en réservent la fixation de sa quotité à une discussion séparée.

L'Europe, et surtout les Puissances limitrophes de la France, ont

le droit de demander que cet État ne demeure pas dans une attitude offensive.

L'attitude offensive de la France se fonde sur des positions offensives qu'elle a trouvé moyen de se ménager depuis le règne de Louis XIV, par l'établissement de grandes places d'armes et de forteresses placées à des postes assez avancés pour empêcher la formation et le déplacement d'armées qui n'auraient d'autre but que la défense de leur propre

territoire.

Sur un système de fortifications qui se trouve hors de proportion avec les moyens de défense des États voisins, et non moins hors de proportion avec tous ceux dont ils puissent jamais disposer pour établir un balancement dans leurs attitudes militaires réciproques.

Le système de fortification de la France a été formé ou par la conquête des places fortes que son gouvernement a conservées et augmentées, telles que les forteresses dans la Flandre française, ou par la construction de nouvelles places dans des provinces conquises, et de ce nombre sont les forteresses de l'Alsace et de la Franche-Comté et de la ligne du Midi.

Le système de fortifications de la France a acquis dans les derniers temps une nouvelle valeur par deux circonstances qui ne sauraient être portées en ligne de compte.

L'une est l'institution de la garde nationale, de cette grande force défensive qui suffit pour la dotation de toutes les places de la France, et qui permet à son gouvernement de jeter impunément au dehors toute sa force militaire réglée;

L'autre à la destruction de toutes les places fortes dans les Pays-Bas et en Allemagne, et cette dernière opérée par la France elle-même dans toutes ses guerres depuis Louis XIV.

Ehrenbreitstein, Philipsbourg, Ingolstadt et plusieurs autres places de la plus grande importance ont été démolies en entier; toutes les villes telles que Francfort, Ulm, etc., qui avaient une circonvallation et quelques moyens de défense, en ont été privées. La Savoie a dû prendre antérieurement l'engagement de ne pas fortifier les passages de ses montagnes.

Toutes les guerres entreprises par la France sous tous les gouvernements, depuis Louis XIV fournissent les preuves que cette Puissance a poursuivi, avec une constance invariable, l'établissement d'un système de fortifications et de défense aux dépens de tous ses voisins; il ne serait pas digne des Puissances vouées à la noble entreprise de rétablir le repos de l'Europe sur des bases fortes et véritables, de se faire illusion sur des faits aussi incontestables que le sont ceux-ci ;

1° Que ce système de défense offensive ressort bien moins des prin

cipes qui ont provoqué les guerres de la Révolution, qu'il n'est inhérent à celui de la monarchie royale française;

2o Que, vu le système de fortifications de la France, il a fallu et la destruction totale de l'armée française dans la campagne de 1812, et la perte dans cette même campagne de tout le matériel nécessaire à la dotation des places, et surtout les efforts réunis de l'Europe, pour assurer les succès des armées en 1813, 1814 et 1815;

3o La France, conservant sa triple ligne de fortifications sera toujours, et sous une forme de gouvernement quelconque, assez forte pour porter au delà de ses frontières, autant et plus de monde que ne peut lui opposer toute autre Puissance du premier ordre, et pour ne risquer en perdant des batailles, que toujours elle livrera sur territoire étranger, que d'être forcée à renoncer à un projet de conquête; elle sera de même assez forte pour résister dans des temps ordinaires à l'attaque des deux ou trois Puissances du premier ordre réunies pour une même

cause

La conviction que doit avoir le peuple français que les guerres ne lui coûtent que des hommes, et tout au plus de l'argent, mais que les propriétés des particuliers ne sauraient être dévastées, et que les citoyens ne risquent pas d'être exposés aux fléaux inséparables de la présence d'armées ennemies est, sans contredit, une des raisons qui a mis le plus de moyens offensifs à la disposition du gouvernement révolutionnaire.

Il suffit de connaitre l'égoïsme et le manque d'esprit publics qui caractérisent la nation française, pour vouer à cette considération une valeur toute particulière.

Il me paraît donc que l'intérêt permanent de l'Europe exige :

A. Que la France perde les points offensifs que lui a laissés le Traité de Paris.

B. Que des forteresses de la première ligne ou passent sous la domination étrangère et servent dorénavant à la défense des frontières des États voisins, ou que pour le moins elles soient rasées.

Si la première ligne des forteresses de la Flandre devait former la frontière des Pays-Bas, ceux-ci ne seraient pas placés par ce fait dans une attitude offensive contre la France, car il resterait dans ce cas à ce royaume deux lignes de défenses fortifiées.

Si les places de l'Alsace étaient rasées, à l'exception de Landau, qui, à mon avis, devrait être réuni à l'Allemagne pour compenser la perte de Philipsbourg, et à l'exception de quelques autres places qui ne peuvent servir qu'à la défense de cette frontière, sans menacer comme Huningue, la tranquillité d'une capitale voisine, si Strasbourg ne conservait que sa citadelle pour appuyer cette grande et importante cité qui, dans ce moment, n'est qu'un vaste camp retranché, une place d'armes dans laquelle se formera et se concentrera toujours une armée

« PreviousContinue »