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Le général Gardane crut que la dignité de la France, celle de son souverain ne devaient pas être exposées. La mission avait rempli son but provisoire. Elle ne pouvait plus rien faire d'utile en Perse.

Le général Gardane pensa que son départ, sans inconvénient dans ces circonstances, aurait l'avantage d'éviter à notre politique, sur un théâtre lointain, de nouvelles complications. Il informa son gouvernement de la résolution qu'il prenait, ajoutant qu'il se retirerait de Perse lentement, de manière à pouvoir recevoir des ordres si son cabinet jugeait à propos d'en donner.

La mission française prit solennellement congé du roi de Perse le 12 février 1809, et quitta Téhéran le lendemain. L'ambassadeur

d'Angleterre, sir Harford Jones, connu par des talents qui valaient mieux que ses principes, y entrait avec un grand éclat quelques jours après.

L'Angleterre était plus heureuse que nous. Mais si on compare, à l'occasion de cette mission, la conduite des cabinets de France et d'Angleterre, on en voit la raison.

Tandis que la mission française, si importante, était abandonnée par son cabinet, n'osant rien, dans des circonstances difficiles et au moment d'une crise, l'action de l'Angleterre, au contraire, était incessante, sa décision partout puissante et résolue. Déjà mieux placée que la France pour agir, elle agissait en Perse, au dedans, secrètement par ses actifs agents, au dehors parses habiles

consuls. Elle prodiguait l'or. Elle était instruite de tout. Nulle part sa vigilance n'était en défaut. Ses agiles vaisseaux portaient partout les ordres et la pensée de son vigoureux gouvernement.

Car, il faut bien le reconnaître, quelque

sentiment qu'on lui porte, qu'on la haïsse ou qu'on l'envie, l'Angleterre, dans la guerre périlleuse qu'elle soutint contre son grand adversaire, montra une force, une habileté une résolution extraordinaires. Et les grands hommes ne lui manquèrent pas. Tandis que les uns conduisaient sa politique, les autres portaient à la tribune cette éloquence qui, dans certains moments, agite les peuples et les entraîne, en s'adressant aux plus nobles instincts de la nature humaine. De

l'Angleterre passait sur l'Europe comme un souffle ardent de liberté. Rome libre, seule, en des jours de péril aussi, connut cet esprit, cette politique, ces accents. L'Angleterre menacée était un cratère ardent. Et cependant la Russie a plus fait échouer le plan de Napoléon en Perse que l'hostilité de l'Angleterre !

Voilà ce que nous valait son accord en attendant qu'elle nous fût plus fatale. Nation infiniment dangereuse, parce qu'elle est plus jeune que ses rivales, la France et l'Angleterre, et qu'étant une puissance partie européenne, partie asiatique, la civilisation se trouve au service des instincts, d'un principe, d'une politique et d'une morale asiatiques.

Qui donc a gagné à la retraite de la France

de Perse? La Russie seule.

L'hostilité aveugle de la France et de l'Angleterre l'a servie. Elle en a habilement profité!

Qu'on mesure le chemin qu'elle a parcouru depuis, on verra combien étaient éclairées et sages l'ancienne politique de la France et les vues de Napoléon lorsqu'il envoya la mission du général Gardane. Combien fut fatale l'erreur de son alliance, et combien désormais opportun l'accord de la France et de l'Angleterre pour sauver la liberté, la civilisation de l'Europe! Car pour l'Amérique il n'y a rien à craindre. Malgré une crise sanglante, tout indique que ses institutions continueront à se développer avec éclat à

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