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trajet de mer aussi considérable, que celui qu'il faut faire pour passer à Naples. Si son amitié pour vous lui ferme les yeux sur les suites fâcheuses qu'elle en doit craindre, vous êtes obligé d'y faire encore plus d'attention, et d'assurer votre commun bonheur, en songeant à la conservation de sa santé. Vous savez combien elle a souffert des fatigues de la mer, seulement depuis Nice jusqu'à Toulon; vous pouvez juger de celles d'un voyage infiniment plus long, où la commodité de descendre tous les jours à terre, est absolument interdite. Au lieu de la satisfaction que vous vous proposez l'un et l'autre à faire ensemble ce voyage, vous vous préparez des sujets continuels de tourment et d'inquiétude. Je les borne sur mer à la mauvaise santé de la reine, et j'espère que vous n'essuierez aucun péril; mais après votre arrivée à Naples, vous regretterez bien des fois d'avoir pris la résolution de l'y conduire. Si les esprits sont encore agités, que ne craindrez-vous pas pour elle? et pourrezvous la laisser en cette ville, pour aller vous mettre à la tête des armées en Lombardie ? Demeurerez-vous à Naples, uniquement pour la reine, quand vous passez en Italie pour la défense de vos Etats? Si tout est tranquille à Naples, il ne vous convient pas d'y faire un

long séjour; la reine aura fait un voyage trèspénible pour demeurer seulement peu de jours avec vous; vous la laisserez ensuite exposée à tous les périls que vous craindrez pour elle pendant tout le cours de la campagne, ou du soulèvement des peuples, ou des entreprises des Anglais et des Hollandais dans la Méditerranée. Que V. M. fasse réflexion sur la juste inquiétude qu'elle auroit, si leur flotte venoit à bombarder Naples, si la reine étoit obligée d'en sortir que n'auriez-vous pas à craindre pour elle, de l'émotion des peuples dans une pareille conjoncture? Considérez l'embarras où vous serez, après la campagne finie, pour retourner avec elle en Espagne. Il est impossible de juger certainement du temps que vous serez obligé de demeurer en Italie. Vous ne quitterez apparemment l'armée, que lorsque la saison sera contraire à toute navigation, principalement à celle des galères. Il vous seroit également difficile de passer à Naples, pour aller chercher la reine, et de la faire venir à Milan, pour retourner ensemble en Espagne. Le seul parti que vous auriez à prendre, seroit de la renvoyer en Espagne, dans le temps que vous partiriez de Naples; ainsi vous l'auriez obligée à un voyage aussi fatigant qu'inutile, pour demeurer seulement

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quelques jours de plus avec vous, et vous seriez contraint d'employer, pour son retour, les mêmes vaisseaux dont vous pourriez vous servir utilement à Naples contre l'ennemi.

grand, pour

Le projet que V. M. entreprend est trop , pour embarrasser son exécution par de nouvelles difficultés ; il vous convient de passer sans beaucoup d'équipages, lorsque vous allez vous-même défendre vos Etats; mais il est contre la bienséance que la reine marche sans l'accompagnement nécessaire à son rang. Le dessein de la mener avec vous est regardé à Madrid, comme l'effet d'une résolution prise d'abandonner l'Espagne à la maison d'Autriche. Cette raison seule suffiroit pour vous obliger à laisser la reine dans ce royaume. Elle vous donnera des marques bien plus sensibles de son amitié, en contenant par sa présence les peuples d'Espagne dans le devoir, qu'en s'exposant, pour vous suivre, aux périls et aux incommodités de la mer, dont personne ne vous aura gré, et que les malveillans vous reprocheront. Elle a trop de raison pour ne le pas comprendre, lorsque vous lui montrerez ma lettre. Vous devez avoir assez de force sur vous-même pour lui demander, comme une preuve essentielle de sa tendresse, ce que vous pourriez obtenir par autorité. Vous console-.

rez vos fidèles sujets d'Espagne, en leur laissant ce que vous avez de plus précieux : ils attendront votre retour avec confiance; les artifices de vos ennemis ne pourront ternir votre gloire, en faisant regarder comme une fuite; votre départ pour aller défendre vos Etats d'Italie. Vous savez apparemment que c'est ainsi qu'ils en parlent.

que

On diroit inutilement, que l'espérance d'une prochaine succession vous oblige à mener la reine avec vous: on sait l'on n'est pas encore en état que nous puissions nous en flatter. Si elle pouvoit bientôt vous donner des enfans, seroit-il de la prudence de l'exposer, pendant une grossesse, aux fatigues d'un long voyage par mer; et conviendroit-il que l'héritier de vos royaumes naquît hors de l'Espagne?

J'entre dans tous ces détails, persuadé qu'il faut des raisons bien pressantes, pour surmonter la peine que la reine et vous aurez à vous séparer. Je n'espérerois pas même de la convaincre, si son esprit solide n'étoit aussi avancé qu'il l'est au-dessus de son âge. Elle doit s'en servir pour se dire elle-même, qu'ayant autant d'années que vous en avez vraisemblablement à passer ensemble, ce n'est pas un • malheur d'être séparés pour quelques mois,

quand il y va de votre gloire, de la consolation de vos peuples, et de la conservation de vos Etats.

Je crois que pendant votre absence, vous devez fixer le séjour de la reine à Saragosse comme à Madrid. Marcin vous en parlera de ma part. Je souhaite que Dieu bénisse vos justes desseins, et qu'elle vous revoie bientôt plein de gloire et victorieux de vos ennemis. Ce que je vous marque est le pur effet de mon amitié, et vous devez suivre mes conseils; il vaut mieux encore que vous n'alliez pas en Italie que d'y mener la reine. Vous en voyez les raisons; je les ai toutes pesées. J'espère que vous prendrez le bon parti, et que vous passérez seul.

PHILIPPE V, A LOUIS XIV.

10 mars 1702.

J'AI été mortifié de ce que V. M. paroissoit croire, que j'hésiterois à me séparer de la reine, lorsqu'il s'agiroit de passer en Italie. Louville vous pourra dire, que m'ayant représenté deux jours après qu'il fut arrivé ici, tout ce qu'on y diroit, aussi-bien qu'à Madrid, sur le départ de la reine, et m'ayant demandé, si au cas que V. M. crût qu'il convînt au bien de mes affaires de la laisser en Espagne, je pourrois m'en sé

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