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Mardi matin.

Je ne m'apperçois point, Madame, de la faveur dont vous m'assurez. Il me paroît qu'on ne sait que me dire quand on se trouve seul avec moi; mais peut-être suisje prévenue là-dessus. Madame la duchesse de Bourgogne alla hier à Meudon : elle n'y vit personne, et on lui fit jouer gros jeu, qui est sa passion dominante. On est très-embarrassé avec tous ces gens-là. M. d'Antin m'a écrit pour le faire duc: il remue tout pour cela ; l'affaire ne me paroît pas en bon train. Il ne faut pourtant répondre de rien. Je suis charmée, Madame, de M. le coadjuteur de Strasbourg, et bien fâchée d'avoir vu un homme comme lui sur le grand chemin. Rien n'est égal à la retenue et à la véritable modestie dont il reçut mes louanges; car il n'est pas possible de s'empêcher de lui en donner. Vous êtes trop heureuse, Madame, d'avoir mis au monde un prélat qui, selon toutes les apparences, servira Dieu, l'Eglise et le Roi. J'ai peine à finir sur ce sujet, et je prends grand'part, Madame, à la satisfaction que vous devez avoir, &c.

Ce 2..... (1).

Le Roi me dit hier au soir qu'il consentoit que M.votre fils fût sacré ainsi, Madame, j'espère qu'il n'y aura plus de difficultés. Je m'en vais parler à M. de Chamillart, et je n'oublierai rien pour vous persuader, Madame, combien je suis à vous.

(1) Cette lettre doit être de l'été de 1701.

On m'a prévenue à Marli, pour me dire que la dame est déconcertée, et pour m'assurer qu'on me tiendra la parole qu'on m'a donnée. Souvenez-vous, Madame, que vous m'avez promis de m'avertir de ce qui vous reviendroit de mal sur madame la duchesse de Bourgogne, &c.

N° 16.

AVERTISSEMENT.

y

LE 1er 1er février 1702, le prince Eugène surprend, au milieu d'une nuit d'hiver, la ville de Crémone ; il enlève le maréchal de Villeroi qui commandoit l'armée. Par un concours de circonstances heureuses, et par la bravoure de quelques corps français, la même ville est reprise dans l'espace de quelques heures. Tout le monde connoît l'épigramme qui courut alors.

(Ce sont les soldats qui parlent.)

Palsambleu, la nouvelle est bonne,
Et notre bonheur sans égal:
Nous avons recouvré Crémone,
Et perdu notre général.

La lettre inédite que nous publions, et qui est tirée du cabinet de M. de Grimoard, est l'apologie du maréchal de Villeroi. Elle réussit mieux auprès de Louis XIV et de madame de Maintenon qu'auprès du public. Ce favori acheva de ruiner sa réputation, en perdant, en 1706, la fameuse bataille de Ramillies.

LETTRE

Du maréchal de Villeroi au cardinal d'Etrées, au sujet de l'affaire de Crémone.

A Inspruck, le 18 février 1702.

QUOIQUE je sois persuadé que ma lettre courra bien des hasards avant que d'arriver à V. E., n'ayant rien de particulier à lui mander que le détail de ce qui m'est arrivé, je l'expose sans scrupule à la curiosité de ceux qui auront envie de la lire. Si j'avois pu avoir l'honneur de lui écrire plutôt, j'aurois prévenu les faux avis qu'on a peut-être répandus, sur l'action qui s'est passée à Crémone le premier de ce mois, dont V. E. doit être pleinement instruite présentement.

Je partis le 23 janvier de Crémone, laissant tous nos quartiers dans la meilleure disposition que je les pouvois desirer, notre pont sur le Pô bien établi, avec son retranchement à la tête dudit pont en bon état, et entière. ment fini; le 24j'arrivai à Milan, où je demeurai jusqu'au 29; le 30 j'en repartis, et arrivai à Crémone le 31 au soir, où j'appris que M. le prince de Vaudemont avec douze ou quinze cents hommes de pié et pareil nombre de cavalerie, marchoit sur le Taro, et que de l'autre côté de l'Oglio, quelques troupes des ennemis s'assembloient aussi à Ustiano et à Canetto. M. le marquis de Créqui, qui en avoit été averti, avoit donné tous les ordres pour la sûreté de ses quartiers. Voilà la disposition générale où nous étions le 31 au soir, ayant pris toutes les pré

cautions nécessaires pour être averti des mouvemens des ennemis, qu'ils pourroient faire tant du côté du Parmesan que dans le Crémonois, s'ils passoient l'Oglio. Toute la nuit du 31 au premier se passa sans que je reçusse aucun avis; à la pointe du jour j'entends tirer sur la gauche de ma maison; et dans le même instant un de mes valets entre dans ma chambre, me criant que les Allemands étoient dans la ville; je m'habillai fort vîte, et demandai un cheval. Comme j'entendois le feu augmenter et s'approcher de ma maison, ne doutant plus que ce ne fût une trahison, et que la première chose par où les traîtres commenceroient, ce seroit de venir à ma maison, j'ordonnai, avant que de monter à cheval, qu'on brûlât tous les chiffres et tous les papiers, ce qui a été exécuté fidèlement. J'ordonnai au capitaine de ma garde d'aller à une porte de la ville, qui n'étoit qu'à cent pas de mon logis, pour en fortifier le poste, ne pouvant me figurer encore que les ennemis pussent être dans la ville, mais seulement une assemblée de canailles, qui cherchoient à se saisir de quelque poste pour introduire les Allemands. Comme je me trouvai le plus diligent de ma maison, je sortis seul à cheval, et poussai à toute bride sur la place, comme le premier endroit où j'étois sûr de trouver des soldats assemblés ; et où je pourrois d'abord rallier du monde, et établir un poste considérable, et que de là je me transporterois sur l'esplanade, où, suivant l'ordre général, plusieurs troupes de cavalerie et d'infanterie devoient s'assembler à la première alarme. Entre ma maison et la place, je trouvai les ennemis, en traversant une rue, qui étoient sur ma gauche, d'où ils me tirèrent quelques coups de mousquet; cela m'obligea de faire un plus grand tour pour

@UV. DE LOUIS XIV, TOME VI.

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