Page images
PDF
EPUB
[blocks in formation]

fant. Les Portugais, auxquels on exagéroit la difficulté de rendre une dot d'environ quatre millions, le trouvoient fort bon; mais il falloit une dispense qu'on eût difficilement obtenue à Rome. Pour le bonheur de la reine, son oncle le cardinal de Vendôme, se trouvoit alors à Paris en qualité de légat du saint-siége, et M. de Lionne sut étendre les termes de ses bulles, de façon à y trouver le pouvoir nécessaire pour cette dispense. Le régent ne tarda pas à épouser sa belle-sœur. Le pape Clément IX (1), après quel ques difficultés, approuva le mariage.

On demande ce que devint le roi Alphonse. Il fut envoyé dans une forteresse des îles Tercères; mais vers la fin de 1673, on découvrit un complot tramé pour l'en tirer, et pour le rétablir sur le trône, complot qui coûta la vie à plusieurs seigneurs. Il parut nécessaire de veiller de plus près sur le roi, et il fut mis dans le château de Sintra, à cinq lieues de Lisbonne : il ne sortit jamais de la chambre qui lui servoit de prison; en sorte qu'un voyageur a remarqué les carreaux de l'espace dans lequel il se promenoit, tout creusés et marqués de l'empreinte de ses pas. C'est ainsi que pendant quinze ans il attendit la mort, devenu sans doute tout-à-fait furieux ou imbécille.

Les puissances alliées du Portugal abandonnèrent ce prince à son sort. Louis XIV n'avoit garde de se brouiller pour lui avec le prince-régent; au con

(1) Voltaire dit Alexandre vii; il se trompe. Ce pape étoit mort le 22 mai 1667.

ŒUV. DE LOUIS XIV. TOME VI.

25

37

traire, on voit, par ses lettres (1), qu'il excita don Pedro à prendre le titre de roi ; et même que lors de la conjuration de 1673, il proposa de se charger de faire garder le roi détrôné dans quelqu'une de ses forteresses; espèce de service fort dangereux, puisqu'il eût dépendu de lui de troubler le Portugal; aussi fut-il refusé. Quant au roi d'Angleterre Charles II, il se soucioit peu quel de ses deux beaux-frères régnoit en Portugal. Ainsi Alphonse, dans son malheur, regretta peut-être la fille cadette de Cromwell, à laquelle on avoit voulu le marier en 1659, et qui apparemment ne l'eût pas traité comme fit mademoiselle de Nemours.

L'historien remarquera que ce qui porta plusieurs seigneurs portugais à favoriser les desseins de l'infant don Pedro, c'est qu'ils y voyoient l'occasion d'établir leur droit de donner ou d'ôter la couronne: Southwell tenoit cela de l'un d'entre eux. Cette révolution, en effet, arrivée vingt ans après celle qui avoit fait tomber la tête de Charles rer, et vingt ans avant le détrônement de Jacques II, parut d'un fâcheux exemple en Europe. La preuve de l'impression qu'elle avoit faite, est dans l'histoire de Hume: il rapporte qu'en 1688, les Anglais, dans leur discussion sur le mode à suivre pour établir le prince d'Orange à la place de son beau-père, citoient comme une autorité, ou, suivant l'expression anglaise, un precedent, ce qui avoit été fait dans le royaume de Portugal. Au sur

(1) On trouvera ces lettres dans le tome v.

plus, un fait singulier et peu connu, est que celui qui avoit détrôné son frère pour cause de démence, faillit avoir le même sort. On trouve dans les Mémoires pour servir à l'Histoire d'Espagne sous le règne de Philippe v, par le marquis de Saint-Philippe (tome 1er, page 308), qu'en 1705, le roi don Pèdre étoit quelquefois sujet à des accidens si terribles, qu'on déses→ péroit de sa santé. On ne lui connoissoit aucune maladie décidée, mais il souffroit un ennui mortel de lui-même, il avoit des mélancolies noires, et des inquiétudes accompagnées d'un silence morne. Soit lassitude, soit dérangement dans ses idées, sa tête n'étoit plus capable du gouvernement; ce qui fit concevoir aux grands du royaume la pensée de le remettre entre les mains de son fils.

Marie de Savoie, si l'on en croit quelques Mémoires, n'eut pas toujours à se louer de son second mari : il avoit fini par la négliger (1); et, quoiqu'elle le nie dans ses Lettres, leur ton mélancolique le feroit croire. Le mauvais succès du mariage qu'elle avoit projeté entre sa fille et le duc de Savoie, l'affligea vivement; et peut-être fut-ce un malheur pour le Portugal même, qui eût tiré de grands avantages de la fortune que fit dans la suite Victor-Amédée. Ce ne fut point d'ailleurs le chagrin seul qui la fit mourir à 57 ans la manie sanguinaire des médecins de ce temps épuisa ses forces. Ils ne lui ôtèrent pourtant ni l'esprit ni le courage : l'un d'eux, aux approches de

[merged small][ocr errors]

sa fin, lui tâtant le pouls, témoignoit qu'il en auguroit mal; elle l'entendit, et dit en souriant: Plus il est mauvais, plus il est bon». Le P. d'Orléans qui rapporte ce trait, exalte sa dévotion, et cite de longs fragmens de ses pieux soliloques, qu'on ne lit pas sans intérêt. Il y respire une sensibilité délicate, mais inquiète. Ce qu'il y a de singulier, c'est qu'à travers les reproches qu'elle se fait de bien des peccadilles, il n'y perce pas un scrupule sur ses procédés envers son premier mari, tant les bons Pères avoient bien su calmer sa conscience.

LETTRES

DE LA REINE DE PORTUGAL.

AU DUC D'ENGHIEN (1).

Lisbonne, le 2 février.

QUOIQU'IL y ait long-temps que je n'aie reçu des mar

ques de la continuation de votre amitié, j'ai trop bonne opinion du cœur d'un héros comme vous, pour le juger capable de se laisser vaincre au temps; et puisqu'il n'a pas eu le pouvoir de diminuer l'estime que j'ai conçue pour vous depuis tant d'années, je me persuade que je vous trouverai toujours avec la même considération pour moi que je vous ai connue autrefois; c'est ce qui me fait résoudre sans peine, à vous prier de m'aider dans l'exécution d'une affaire que j'ai fort à cœur, et qui est absolument entre vos mains. Mais pour vous faire mieux comprendre de quelle importance elle est à ma

(1) Cette lettre est tirée de la même source que la suivante. Si, comme on peut l'induire de ce qui est dit de madame de Schomberg, elle en avoit été personnellement chargée, c'étoit sans doute lorsqu'elle quitta le Portugal avec son mari, quand la paix, faite entre ce pays et l'Espagne, ce général ramena en France les troupes qu'il y avoit commandées : ce qui fixeroit la date de cette lettre au plus tard vers la fin de 1669. Le duc d'Enghien, auquel elle est adressée, est le fils du grand Condé.

« PreviousContinue »